« Gisèle » : une femme franco-syrienne porte son combat au cœur de l’humanité

« Gisèle » : une femme franco-syrienne porte son combat au cœur de l’humanité
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Le collectif Or NOrmes nous offre avec Gisèle. « Le combat, c’est vivre », une pièce forte sur le destin d’une femme syrienne devenue française. À partir de deux témoignages, Christelle Derré incarne avec force et générosité cette inlassable combattante, porteuse de valeurs universelles, au risque parfois de se désincarner dans une morale totalisante. Une œuvre d’actualité.

Gisèle vit, et c’est déjà assez, nous confie-t-elle d’emblée. À condition de penser la vie comme une force battante, un cheminement qui ne se satisfait jamais, un combat qui affirme l’humanité haut et fort – jusque sur la scène. Un premier lambeau de passé étendu sans un mot, et la voilà qui se tourne vers le public, lui adressant directement la parole, se présentant à nous avec une simplicité désarmante, nous invitant à nous saluer les uns les autres. Car Gisèle n’est pas un personnage de fiction, mais bien une personne à part entière, l’incarnation d’une double vie bien réelle, celle de Gisèle S., féministe engagée, et de Wassim H., jeune érudit syrien de spiritualité soufie.

Une affranchie des frontières

La Gisèle dont il s’agit dans la pièce n’est pas l’otage que l’étymologie de son prénom suggère, mais l’affranchie des frontières qui creuse son humanité pour en dégager la part, même infime, d’universalité. Car elle porte en elle cette parole confiée par Gisèle S. et Wassim H. à la comédienne Christelle Derré. Le texte de la pièce n’est pas d’abord un écrit figé ; il est , témoignages rendus présents – dans le présent d’un soir – comme un flot de brisures et d’espérances inscrites dans cette chair unique, scénique, martelée par l’exclusion, les injustices et l’amour. À l’exception d’une ou deux phrases, nul ajout aux propos des deux témoins : Christelle Derré, accompagnée de ses complices David Couturier et Martin Rossi, interprète avec talent cette vie en éruption, de l’enfermement syrien à l’ouverture culturelle, que le théâtre amplifie encore.

Trois fils parallèles – comme autant d’existences en tension symbolisées par les trois comédiens : la femme, l’Orient et l’Occident – divisent la scène : des fils à linge, sur lesquels s’étalent la simplicité d’une vie quotidienne vécue intensément. Les lambeaux originels cohabitent progressivement avec de grands draps blancs, comme une tentative de réconcilier, dans l’acte théâtral, un destin à la fois morcelé et unifié. C’est sur ses linges, dans l’humble quotidien de Gisèle, que sont projetées les grandes visions de notre temps, de l’immensité de la création symbolisée par les tempétueuses vagues aux élans populaires qui ont envahi la place de la République, au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo.

Des particularismes culturels aux fondamentaux de l’humanité

Après la proclamation d’un extrait du discours prononcé par Gisèle S. à Cayenne, une musique rock déchire le silence : toute la révolte jusqu’alors contenue de Gisèle éclate brutalement ; l’effet est saisissant, pertinent, efficace. Nous sommes projetés dans cette colère qui dénonce toute injustice, qui fait violence à l’humanité, à commencer par la femme. C’est une interpellation directe qu’elle nous adresse, un « indignez-vous » qui pointe les déviances des différentes religions aux quatre coins du monde. La musique s’apaise, pas le combat : la dénonciation d’un pouvoir détenu par les hommes fait suite à la critique des religions. Enfin la tension s’apaise, en une berceuse qui appelle d’abord – de manière un peu rapide et simpliste – à privilégier les valeurs transmises sur l’individu solitaire, ensuite à puiser aux racines de l’amour pour nourrir la révolte.

Durant la première partie, nous vivons chaque rupture de l’intérieur de cette humanité singulière, qui apprend à devenir humaine à mesure qu’elle s’ouvre à l’altérité. Le basculement de Gisèle intervient à l’instant où elle ne perçoit plus le monde comme un « vous vs nous » – Occident vs Orient – inculqué depuis sa naissance. Son émigration en France l’ouvre à la fécondité de la différence, élève l’opposition des particularismes culturels aux fondamentaux de l’humanité. C’est en ce sens que Christelle Derré qualifie son personnage d’humaniste.

Un féminisme moralisateur et totalisant

Toutefois, et c’est notre plus grand regret, cet humanisme se désincarne progressivement dans le seul acte de la parole, un acte aux contours idéologiques. Nous perdons de vue ce qui fait de Gisèle un être unique, un « je » authentiquement personnel ; il ne demeure d’elle qu’un vaste mouvement de révolte, imprégné non plus d’humanisme réel, mais d’un féminisme d’idée, clairement identifié, caricatural : le féminisme moralisateur et totalisant des Femen, celui qui fait profession de liberté à grands renforts d’amalgames – auxquels les grandes tirades de la deuxième partie de la pièce n’échappent malheureusement pas. Le théâtre documentaire laisse alors place à une tribune d’invectives générales, sommaires et superficielles, puisque coupées de la personne de chair qu’est Gisèle ; le sous-titre de la pièce – « le combat, c’est vivre » – est totalement renversé pour devenir : « la vie, c’est combattre ».

Une mise en scène tout en finesse

Cette temporaire désincarnation est néanmoins intégrée dans une mise en scène remarquable, saisie à bras-le-corps par une comédienne généreuse et inventive. La création multimédia des trois compères – dont une commère… parité revendiquée par Gisèle oblige ! – joue pleinement son rôle, avec intelligence et finesse.

Enfin, parce que le contexte nous y invite plus que jamais, nous soulignerons ce que cette pièce tisse entre nous, quand d’autres – de différents bords – nous poussent à la division. En ce sens, Christelle Derré, Martin Rossi et David Couturier font pleinement œuvre artistique pour notre temps.

Pierre GELIN-MONASTIER



Avis technique

La richesse de la mise en scène, des effets sonores et visuels, n’entraîne pas de demandes ni de frais particuliers, autres que la présence d’un régisseur son supplémentaire, en plus des trois comédiens-interprètes. L’ouverture et la profondeur demandées sont d’autant plus importantes que la mise en scène repose sur un espace en profondeur, marqué par les trois fils à linge. Si la pièce ne s’adresse pas au jeune public, son propos est susceptible d’intéresser non seulement les théâtres, mais encore les lycées. À noter enfin que la pièce se prête pleinement à des événements portant sur l’immigration, l’intégration et l’identité.

Informations pratiques

  • Public visé : recommandation à partir de 14 ans.
  • Durée du spectacle : autour d’1h.
  • Espace scénique : jauge de 500 personnes maximum – ouverture : 8m – profondeur : 7,5m – passage en coulisse à jardin, à cour et au lointain.
  • Transport des décors et de l’équipe artistique : 3 comédiens/interprètes, 1 régisseur son.
  • Collectif Or NOrmes – 23-25 rue du général Sarrail – 86000 Poitiers – 09 50 93 20 13.
  • Diffusion : Delphine Colin au 06 62 13 97 76 et dlf.colin.diffusion.rp  -@- gmail.com



 

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