Julien Caron : « Au festival de La Chaise-Dieu, un supplément d’âme favorise l’éveil esthétique »

Julien Caron : « Au festival de La Chaise-Dieu, un supplément d’âme favorise l’éveil esthétique »
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Pour sa 51e édition, qui a lieu du 18 au 27 août prochain, le festival de La Chaise-Dieu rend hommage aux femmes, avec un florilège d’œuvres sur le thème des figures bibliques féminines. De renommée internationale et situé au cœur du « midi de l’Auvergne », il est l’un des plus anciens festivals de musiques savantes, attirant chaque année quelque 20 000 mélomanes à l’abbatiale Saint-Robert et dans d’autres lieux de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme.

Rencontre avec son directeur Julien Caron, esthète érudit et investi d’une mission connectant musique classique et patrimoine.

Nommé directeur du festival de La Chaise-Dieu à 26 ans, quel est votre parcours ? Votre jeune âge a-t-il été une faiblesse ou un atout ?

J’ai proposé ma candidature car ce poste réunit mes deux domaines d’études : la branche administrative, étant diplômé de Sciences Po en affaires publiques, et celle artistique, car j’ai étudié l’érudition musicale pendant 5 ans, au Conservatoire supérieur national de musique de Paris. En tant qu’ancien bénévole du festival, j’y étais aussi très attaché. Si, lors du recrutement, on pouvait redouter mon manque d’expérience, j’ai finalement passé le premier, le deuxième puis le troisième tour, parmi les vingt-six candidats. Le président de notre association, Jacques Barrot, qui était à l’époque membre du Conseil Constitutionnel, m’a fait confiance et tout a commencé. Comme l’équipe en place fonctionnait très bien, j’ai pu facilement prendre mes marques.

Êtes-vous musicien ? Qu’est-ce que cela vous apporte en tant que directeur artistique ?

J’ai commencé à pratiquer le piano à l’âge de six ans, et suis entré par la suite au conservatoire de Saint-Germain en Laye. Même s’il y a d’excellents programmateurs qui sont seulement mélomanes, cette pratique amateur est un plus pour moi, me permettant d’établir une relation de confiance avec les artistes et de parler le même langage.

Quel sens donnez-vous à l’art et à la musique ?

La musique nous aide à vivre ; plus généralement, l’art nous permet d’approfondir notre connaissance, en cultivant notre sensibilité. La musique savante ne relève pas du simple divertissement : dès lors qu’elle est écoutée dans des lieux patrimoniaux, elle prend toute sa dimension. J’aime me dire que les festivaliers pénètrent dans un espace à l’intérieur duquel règne une certaine aura. Une personne peut être charmée par le rayon du soleil traversant un vitrail ou par une sculpture et en garder un précieux souvenir.

Qu’est-ce qui distingue La Chaise-Dieu d’un autre festival de musique classique ?

Sa particularité est de marier musique et patrimoine. L’abbatiale Saint-Robert, qui est le centre névralgique de l’événement, peut accueillir 900 personnes ; depuis 2008, un auditorium de 200 places a par ailleurs été aménagé dans les anciennes granges de l’abbaye. C’est cet aspect hybride que je trouve très beau, car quand on vient à La Chaise-Dieu, on n’écoute pas la musique comme dans n’importe quelle philharmonie (même si j’apprécie les salles modernes.). Ce supplément d’âme favorise l’éveil esthétique. Et puis il a lieu dans ma région d’origine, qui reste trop peu connue à mon goût : entre la montagne, la forêt de sapins et une architecture du XIe siècle.

Les fonctions de direction et de programmation artistique sont parfois dissociées. Est-ce préférable pour vous d’assumer les deux ?

C’est justement cette double casquette de programmateur et de directeur qui me plaît. Le fait d’assumer les deux permet d’être plus convainquant devant les acteurs institutionnels : on peut vraiment soutenir un projet, et on ne s’ennuie jamais. C’est un métier très prenant, il faut savoir être un caméléon.

Peut-on dire qu’aujourd’hui, la musique savante touche un public plus large ?

Il faut rester lucide car elle est d’abord appréciée par des connaisseurs, mais je suis heureux de voir qu’elle touche par exemple des personnes retraitées qui ont toujours écouté de la variété et qui s’ouvrent peu à peu à ce genre musical. Les actions pédagogiques sèment également leurs graines. C’est une musique exigeante qui fait appel à l’intellect et à la sensibilité. Très différente du format court de trois minutes que l’on écoute sur Youtube, cette musique couvre souvent quarante minutes de concert… Le public doit être concentré.

Que pensez-vous du projet annoncé par Françoise Nyssen d’un Centre national de la Musique ?

Je suis dubitatif face à la montée en puissance des établissements parapublics, qui se fait souvent au détriment de l’administration centrale du Ministère de la culture et des DRAC. Un tel organisme pourrait assurer une fonction d’observation, mais pour la collecte de fonds et l’attribution de subventions, cela me paraît moins évident. Par exemple, à la suite des attentats de 2015, un fonds d’urgence pour la sécurité a été mis en place par le Ministère et confié au Centre national de la Variété. Or ce fonds, pour lequel nous avions fait une demande, semble pour l’instant n’avoir profité qu’à une certaine catégorie d’acteurs.

Comment votre festival est-il financé ?

Moins subventionné que d’autres festivals, nous fonctionnons avec 50 % de ressources propres, dont la billetterie et l’espace boutique. Nous bénéficions de 30 % de subventions, avec les soutiens de la région, grâce à l’appui de Laurent Wauquiez, du département de Haute-Loire, de l’État, de la communauté d’agglomération du Puy-en-Velay et de nombreuses communes et intercommunalités partenaires. Nous avons également beaucoup de mécènes, dont la Fondation d’entreprise Michelin, la Caisse des Dépôts, ainsi que des mécènes locaux qui sont aussi des amis. Le festival est administré par une association qui compte 500 adhérents, dont le président est le sénateur Gérard Roche, originaire du Puy-en-Velay.

Après quatre ans de direction, quels ont été vos choix et quels sont vos objectifs ?

Je suis attentif à proposer un répertoire d’œuvres connues et d’autres plus rares, le renouvellement étant très important. En 2014, nous avons mis en place des thématiques, proposant des chemins d’écoute qui restent ouverts au public. Je suis très fier du fait que nous investissons peu à peu de nouveaux lieux, comme la cathédrale du Puy. Il y a également, depuis 2016, trois rendez-vous à l’année pendant lesquels les artistes viennent en résidence. En octobre 2017, nous accueillerons le claveciniste et organiste Benjamin Alard, qui est le parrain d’un clavecin Frédéric-Bertrand, commandé grâce au mécénat.

Quelles sont les modalités de recrutement pour intégrer l’équipe ?

Nous n’avons pas de poste permanent vacant actuellement, mais nous recrutons chaque année des intermittents techniques, des éclairagistes, du personnel de vente pour la boutique et du personnel de restauration. Des fiches de postes sont mises en ligne sur notre site en début d’année.

Quel est le thème de la programmation cette année ?

Le festival rend hommage aux femmes musiciennes et aux figures féminines bibliques, avec entre autres l’interprétation d’une œuvre de Caldara, mettant en scène Marie-Madeleine aux pieds du Christ, pour l’ouverture. Enfin la Messe solennelle à Saint-Cécile, patronne des musiciens, de Gounod sera jouée le 27 août, par le Chœur Nicolas de Grigny et l’Orchestre National de Lorraine.

Propos recueillis par Morgane MACÉ


Crédits des photographies de concert : B. Pichène

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