Les « permittents » : la zone grise

Les « permittents » : la zone grise
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Intermittents mais permanents. Deux termes contradictoires, sauf pour un certain nombre de professionnels du spectacle qu’on appelle « permittents ». Ils ont le statut d’intermittent mais travaillent autant qu’une personne employée en contrat à durée indéterminée. Gros plan sur cette zone grise.

Article publié dans le numéro 15 de Profession Spectacle en 2011 mais – malheureusement – toujours aussi actuel.

Les employeurs qui utilisent cette indemnisation comme mode de rémunération permanente existent et sont connus de tous. En 2003, le quotidien Le Monde publiait la liste des 40 principaux employeurs d’intermittents du spectacle. On y retrouvait ainsi des sociétés de production, des grandes chaînes du paysage audiovisuel français et leurs filiales. Si le statut d’intermittent apparaît comme une nécessité dans un secteur où l’irrégularité et la limitation dans le temps des productions artistiques empêchent la pérennité des emplois, cette « zone grise » entraîne des abus.

Ainsi pour l’employeur, ce mode de gestion offre une main d’œuvre flexible et corvéable à souhait. Il fait des gains probants sur l’économie des productions en ne payant pas à l’année des salariés. Moyennant une prime de précarité intégrée au salaire des intermittents, les employeurs paient plus cher, certes, mais peuvent sans difficultés mettre fin à ces contrats.

Bien souvent, ces intermittents n’ont pas d’autre choix : au vu du faible nombre d’entreprises que compte le secteur, dire non serait suicidaire. D’autant que ce type d’employeur n’a qu’à se baisser pour trouver sans difficulté de la main d’œuvre de remplacement.

De plus, l’espoir d’intégration existe toujours. Certains intermittents ne peuvent s’empêcher de penser : « si je me rends disponible, je serais plus souvent rappelé et peut être un jour définitivement embauché. » Dans l’audiovisuel public notamment, cette perspective est alléchante. Quand les espoirs sont déçus, il reste la justice. Devant les prud’hommes, les cas sont fréquents. Et c’est la plupart du temps l’intermittent qui sort vainqueur de ce bras de fer. A la clé, des indemnités ou bien une embauche en CDI. Mais cela peut prendre du temps, en moyenne un an. Une période durant laquelle, il n’est bien évidemment plus question de travailler pour son employeur historique. Il faut alors prévoir un plan de repli durable ou avoir les reins solides.

A France Télévisions, la limitation du nombre de « permittents » au sein de l’entreprise a été fermement exigée par la Cour des Comptes en 2005. Résultat, entre 2004 et 2007, le taux d’emploi non permanent est passé de 22,4 % à 19,4 %. Dans le même temps, dans la filiale « production », qui ne faisait pas partie du champ de surveillance de la cour des comptes, ce taux est passé de 46,1 % à 68,8 %. Les mauvaises habitudes ont la vie dure…

Des pratiques bien éloignées de l’esprit du statut

Les abus peuvent également venir de l’intermittent. Ainsi, un monteur ou un cadreur bien coté n’aura aucune difficulté à enchaîner les jours chez différents employeurs. Résultat, une fiche de paie bien remplie à la fin du mois et personne pour vérifier s’il a bien pris les jours de congés, normalement obligatoires pour une personne en CDI. D’autres s’arrangent avec leurs employeurs pour travailler de manière intensive une partie de l’année de manière à remplir les critères du pôle emploi. Ils peuvent ensuite lever le pied le reste de l’année tout en touchant leurs indemnités.

Avec ce type de situation, on est bien loin de l’esprit du statut d’intermittent créé pour pallier l’absence d’emploi inhérent à la précarité du métier. Mais attention de ne pas mettre tout le monde dans le même panier. Ne pas se focaliser sur une minorité pour oublier tous les autres qui doivent se battre chaque jour pour obtenir leur nombre d’heures et vivre de leur métier.

Des chiffres qui relancent la polémique

En profitant de la notion extensive d’intermittence et de la faiblesse des contrôles, ces employeurs et allocataires contribuent par leurs arrangements à creuser le déficit de l’assurance-chômage. Et les chiffres publiés par le quotidien les Echos dans son édition du 28 janvier vont dans ce sens. Selon le dernier bilan annuel qui porte sur 2009, 105 826 allocataires ont été indemnisés en 2009. L’Unedic leur a versé 1,276 milliards d’euros, pour 223 millions d’euros de cotisations versées.

Résultat : un déficit de 1,054 milliards d’euros. On est bien loin de l’équilibre, certes, mais dans un pays qui a fait de sa production culturelle une fierté, il est sans doute inévitable. En ces temps de crise et de rigueur, il est étonnant (et heureux) que le dossier « intermittent », ne soit pas remonté en haut de pile.

Echec de la réforme Aillagon

Ces chiffres sont une preuve supplémentaire que la réforme de 2003 n’est en rien parvenue à ses objectifs. Les finances ne sont pas rééquilibrées, et surtout le système s’est lourdement complexifié. Ils sont nombreux ces intermittents à se casser la tête sur leur déclaration au pôle emploi : « Ai-je bien fait mes 507 heures au cours des 319 ou 304 jours précédant mon dernier contrat de travail ? » Avec ces dates flottantes, une erreur est vite arrivée, et la radiation jamais loin. Le système est complexe, certes, mais la réforme n’a rien arrangé.

Quelles solutions ?

Le syndicat CGT propose depuis 2005 le principe d’une taxe pour les entreprises qui abusent de l’emploi précaire. Elle permettrait de renflouer les caisses de l’Unedic à hauteur de 4,5 milliards d’euros. Une belle somme qui pourrait décourager les employeurs à revoir leur méthode d’embauche.

Une belle idée , mais ce n’est qu’une idée…

Jacques GUILLOUX

À lire aussi : La victoire d’un « permittent »

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