« Mariage et Châtiment » : le choix du rire dans les profondeurs du mensonge

« Mariage et Châtiment » : le choix du rire dans les profondeurs du mensonge
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Daniel Russo et Laurent Gamelon sont à l’affiche du nouveau vaudeville écrit par David Pharao, Mariage et Châtiment, vaste mise en abyme du mensonge devant laquelle nous n’avons d’autre choix que de rire. Et nous rions abondamment en regardant les cinq protagonistes se débattre sur scène. David Pharao joue intelligemment avec les codes du genre, au risque parfois de la facilité.
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Une originalité qui se perd, une force d’écriture qui demeure

Nous savions David Pharao excellent dans le genre du vaudeville, notamment depuis sa pièce L’Invité (2003), qui raconte les déboires d’un couple – interprété, lors de sa création au théâtre Édouard VII, par Patrick Chesnais et Évelyne Buyle – faisant appel à leur voisin expert en communication (Philippe Khorsand) afin de les préparer à la venue pour dîner d’un futur employeur. L’originalité du scénario, associée à la qualité d’écriture du dramaturge français, nous offrait un spectacle à la fois traditionnel et contemporain, imprégné de l’esprit des maîtres, d’Eugène Labiche à Sacha Guitry, et s’inspirant de la dictature contemporaine de la communication du paraître.

Si l’originalité thématique s’est quelque peu perdue dans Mariage et Châtiment, la plume de David Pharao continue néanmoins d’habiter son théâtre : l’écriture est enlevée, le rythme intense, et les effets comiques constamment renouvelés. La force de cette nouvelle pièce réside dans son attention pour le moteur même du genre : le mensonge. David Pharao joue avec les codes du vaudeville, en créant une spirale de la tromperie ; sorte de mise en abyme qui, une fois le premier mensonge prononcé, ne fait que s’accroître jusqu’à la chute – réelle pour le coup… aurait-il fallu aller plus loin ? – du rideau.

Une intelligente mise en abyme du mensonge

L’affaire n’est certes pas nouvelle, puisque le mensonge est déjà le cœur de Impair et père de Ray Cooney ou encore celui de la pièce écrite par Sébastien Thiéry, Deux hommes tout nus, mis en scène par Ladislas Chollat avec François Berléand, Sébastien Thiéry et Isabelle Gélinas (2004). Toutefois, reconnaissons à David Pharao une subtilité de dialogue et de situation qui manquait parfois à Sébastien Thiéry. Nous faisons nôtres les mots de Jean-Luc Moreau, qui met pour la seconde fois en scène cet auteur : « Les mots sont pesés, choisis, réfléchis. Les répliques précises comme chez Feydeau. Une écriture si bien calibrée que les comédiens savent le chemin psychologique qu’ils doivent emprunter pour donner vie à leur personnage. »

Nous rions, non de la lourdeur humoristique, mais de l’enfoncement des personnages dans une situation qui ne cesse de leur échapper : Édouard (Daniel Russo), qui n’est finalement pas venu au mariage de son meilleur ami, le touchant et colérique Fred (Laurent Gamelon), ne sait comment se justifier auprès de ce dernier ; dans un moment d’égarement, il invente un mensonge complètement odieux : sa femme, Marianne (Delphine Rich), est morte. Il tente de se reprendre, mais le mal est fait, se répandant comme une tache d’huile, incontrôlable. Les mensonges se succèdent, jusqu’à l’ultime chute affectant les personnages masculins. Car si les hommes ouvrent le bal des tromperies, ce sont bien eux in fine qui en sont les principales victimes.

Une interprétation réussie quoique inégale

Le duo formé par Daniel Russo et Laurent Gamelon fonctionne tout en contrastes, entouré de femmes toutes plus vaudevillesques les unes que les autres : l’épouse offensée et prétendument irréprochable interprétée par Delphine Rich, la stupide promise de Fred qui n’a pour seule qualité que d’être une belle blonde (Fannie Outeiro) et la stagiaire opportuniste prête à tout pour obtenir un gros contrat (Zoé Nonn).

Les interprétations ne sont évidemment pas sans inégalités, certaines répliques tombant même à plat faute d’un jeu tout à fait ajusté. Si Laurent Gamelon excelle dans le rôle du sympathique bourru aux accents colériques, Daniel Russo paraît parfois un peu faible pour exprimer le fébrile et attachant ami, victime de son mensonge. Certains de ses accents, de ses bégaiements, de sa gestuelle, ressemblent à s’y méprendre au jeu de Pierre Arditi dans Joyeuses Pâques de Jean Poiret, mis en scène par Bernard Murat au théâtre des Variétés (2000). La ressemblance est d’autant plus troublante que les deux pièces ne sont pas sans point commun : un mensonge initial énorme, décliné en d’innombrables tromperies.

Une interprétation plus originale, voire inattendue, aurait achevé de donner toute sa force moderne à ce texte classique. Il reste que l’harmonie entre les cinq comédiens fonctionne agréablement, offrant aux spectateurs un moment de détente bienvenue pour les zygomatiques.

Suffit-il de « rire pour rire » ?

Il y a dans le vaudeville une gratuité du divertissement – « le rire pour rire » – qui l’a souvent conduit à être déprécié d’une certaine élite, quand le public ne se privait pas pour rire à gorges déployées. Et puis il y eut Eugène Labiche et surtout Georges Feydeau, pour porter cet art vers la satire sociale. David Pharao s’inscrit dans cette lignée avec L’Invité, pièce qui dévoile une humanité simple se retrouvant écrasée par une communication portée au rang d’absolu mondain et superficiel.

Si nous rions franchement devant les déboires de Daniel Russo et Laurent Gamelon, un regret pointe néanmoins devant l’absence d’une profondeur à laquelle le dramaturge nous avait habitués. Ceux qui voudront « rire pour rire » ne seront pas déçus ; ceux qui attendront un surcroît de sens ne s’y retrouveront pas. Et c’est ainsi que le théâtre est grand !

Pierre GELIN-MONASTIER

Le texte de la pièce a été publié aux éditions de L’avant-scène théâtre (14 €)



CASTING


Mise en scène : 
Jean-Luc Moreau

Texte : David Pharao

Avec :

  • Daniel Russo : Édouard
  • Laurent Gamelon : Fred
  • Delphine Rich : Marianne, femme d’Édouard
  • Fannie Outeiro : Louise, fiancée de Fred
  • Zoé Nonn : la stagiaire Gabriella

Assistante mise en scène : Anne Poirier-Busson

Décors : Jean-Michel Adam

Costumes : Juliette Chanaud

Lumières : Jacques Rouveyrollis et Jessica Duclos.

Arrangements musicaux : Sylvain Meyniac



DOSSIER TECHNIQUE

Informations techniques

  • Durée : 1h35.
  • Recommandation : à partir de 14 ans.
  • Diffusion : Xavier Chezleprêtre – 06 64 63 79 38 – xavier [@] attitude-net.com


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