Monumenta 2016 : un serpent qui se mord la queue à coups de millions !

Monumenta 2016 : un serpent qui se mord la queue à coups de millions !
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La création de Huang Yong Ping pour Monumenta 2016 est qualifiée partout d’« exceptionnelle ». Effectivement, les moyens financiers et humains qu’elle a exigés le sont ! Pour le reste, nous assistons à une triple défaite : celle de l’esthétique, celle du symbolique et celle du sens. Pendant que de nombreux festivals sont en train de mourir faute de subventions, le gigantisme mondialisé et tapageur a de beaux jours devant lui, grâce – en grande partie – à l’argent public. Maussano Cabrodor exprime son ras-le-bol.

Chronique : « Humeurs actuelles »

Je sais, il ne fait pas bon d’attaquer l’art contemporain. Remettre en cause l’un des leurs, c’est appartenir à cette caste de barbares incapables d’apprécier la sacro-sainte Culture ! Mais après la visite de la Monumenta 2016, où je me suis rendu comme par erreur, attiré par une invitation gratuite, je ne peux que m’attrister devant la monumentale vacuité philosophique et artistique de l’œuvre proposée. Triple défaite : celle de l’esthétique, celle du symbolique et celle du sens – au final, celle d’une politique culturelle qui privilégie le gigantisme parisien à la créativité de nombreux festivals locaux.

Une démesure dans la dépense

L’annonce fait rêver : « Une carte blanche de 13 500 m² et 45 m de haut, c’est le défi sans précédent lancé aux plus grands artistes contemporains », nous explique l’introduction du dossier pédagogique lié à l’événement. Remplir pareil espace nécessite souvent de sombrer dans le gigantisme, dans le spectacle de grande envergure.

Huang Yong Ping ne s’est pas défilé, en bâtissant une œuvre pesant près de 1000 tonnes. Charge que le Grand Palais est bien incapable de supporter.

Il a donc fallu faire venir 305 conteneurs du monde entier (principalement de Chine), puis mettre en place des étais dans les galeries en sous-sol du Grand-Palais, tandis que 60 techniciens ont travaillé pendant 12 jours et 13 nuits au montage de l’exposition.

Si le Grand-Palais se complaît à étaler partout les chiffres de la démesure, il en est un qui reste malgré tout secret, celui du coût total d’une telle opération. Il est fort à parier que cela ne se chiffre pas en milliers d’euros… Mais qu’importe puisque, derrière le fameux sigle Rmn-GP (Réunion des musées nationaux – Grand Palais), le ministère de la culture ouvre son chéquier.

Défaite de la symbolique et du sens

Nous passerons sur la défaite de l’esthétique, qui appartient au seul jugement subjectif (l’assemblage coloré des conteneurs est joli, reconnaissons-le), pour évoquer ce qui nous semble bien plus grave : la défaite de la pensée.

Que nous enseigne cet « Empire » bâti par Huang Yong Ping ? Bah… rien. Du moins, rien de nouveau, rien que n’ayons vu des dizaines de fois. Il emploie des symboles éculés depuis des années, voire des siècles, pour porter un message… éculé depuis presque aussi longtemps.

Soyons sérieux… le serpent ? Lieu commun.

Le bicorne ? Lieu commun.

Quelques caisses empilées ? Lieu commun.

Nous cherchons en vain la nouveauté… Ah si ! Huang Yong Ping recevant de très grosses subventions publiques, il peut se permettre de reproduire ces symboles en plus grand, jusqu’à 28,7m de hauteur (c’est écrit partout)

Pour la faire simple : une technique de pochoir avec agrandissement à la clef.

Mais pour quoi une telle œuvre ? À lire Roxana Azimi pour Le Monde, Valérie Duponchelle pour Le Figaro, Yasmine Youssi pour Télérama, etc., nous sommes frappés de voir revenir les mêmes analyses, les mêmes phrases, discours formaté qui marque la fin de la critique au profit de l’explication sans recul de l’intention de l’artiste : dialogue Orient et Occident (Ah bon ? Juste parce qu’il y a un serpent ?), critique de la Révolution industrielle et de la marchandisation mondialisée, succession des empires politiques puis économiques…

Les comptes rendus faits de cette exposition ne sont qu’une explication de la seule vision de Huang Yong Ping, sans esprit critique à opposer. Les journalistes de nos grands quotidiens ne s’interrogent que par procuration, en reproduisant les interrogations de l’artiste, presque littéralement reprises du dossier de presse.

Ce dernier mentionne l’élément perturbant du bicorne, comme symbole clivant. Et nous voyons aussitôt les journalistes y aller de leur petit avis sur la question, histoire de montrer que tous ne s’abreuvent pas à la même source. Propos d’une bien abyssale pauvreté donnant l’illusion d’un débat riche et profond.

Soyons sérieux : la réflexion philosophique est quasi inexistante. Il suffit d’un regard, histoire de voir qu’il s’agit d’une œuvre monumentale et sans âme, et vous avez compris le principe. L’installation n’ayant presque aucun intérêt, vous pouvez repartir. Merci d’avoir payé 10 euros. Faut bien rembourser l’investissement !

Plus grand, plus fort, plus impressionnant… que de la gueule !

Quelqu’un peut-il nous dire pourquoi l’État cautionne une telle œuvre ?

Si nous prenons le temps d’y réfléchir, la réponse apparaît comme évidente : pour le rayonnement de Paris et de la France à l’international. L’enjeu n’est autre que médiatique. Cette exposition n’est qu’une simple opération de communication !

Un petit indice de ce fameux dossier pédagogique nous le fait comprendre instantanément. Il est donné par le commissaire de l’exposition lui-même, Jean de Loisy : « C’est le seul endroit au monde dans lequel les plasticiens peuvent se confronter à un espace aussi complexe. Il est plus grand, plus fort, plus impressionnant que la turbine Hall de la tate Modern à Londres ou que l’Armory à New York. »

Voilà… Le Grand Palais est « plus » que tous les autres !

La France montre qu’elle sait faire « plus » que Londres et New York.

Pas en créativité, non, non, surtout pas.

On ajoute à cela un artiste connu, et le tour est joué.

C’est que de la gueule !

Le plus amusant dans l’affaire, c’est que l’œuvre de Huang Yong Ping entre parfaitement dans le système mondialisé qu’il prétend dénoncer… enfin, sauf s’il ne dénonce rien, comme il aime à le répéter dans ses interviews, de peur qu’un avis ne l’enferme : « Je ne porte pas de jugement critique ou moral. Rien n’est mauvais ni bon. C’est une réalité, il faut faire avec. Une mutation, c’est toujours passionnant. »

Une lâcheté autant artistique que politique

Huang Yong Ping appartient à cette catégorie d’artistes mous qui prétendent questionner indéfiniment sans jamais s’engager, sans jamais mettre le poids de son existence dans son art. Leur supériorité tiendrait de leur indétermination. Certains y voient de l’impassible placidité ; j’y vois une improbable lâcheté.

C’est le serpent qui se mord la queue :

le véritable empire à dénoncer n’est pas celui que pointe Huang Yong Ping par son installation,

mais le fait même qu’il ait pu bâtir une œuvre aussi creuse à coups de millions.

L’empire à dénoncer, in fine, c’est celui de notre politique culturelle mondialisée, qui promeut les mêmes artistes de Paris à Pékin, de New York à Berlin. Il n’y a plus de vision, mais seulement une volonté d’être le « plus grand », le « plus fort », le « plus impressionnant ».

Voilà le sommet médiatique à atteindre et…

… tant pis si cela se fait au détriment de choix culturels porteurs d’un sens véritable !

… tant pis si de nombreux festivals, misérables événements provinciaux, meurent dans le même temps !

L’art y perd, la France en ressort grandie : vive la République et vive la France !

Maussano CABRODOR

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1 commentaire

  1. Bravo à la critique de M. Maussano Cabrodor ! Mais réjouissons-nous de voir exposer ces lamentables soit-disant « oeuvres d’art »… Pendant ce temps de véritables artistes travaillent dans leurs ateliers, dans l’ombre, et nous préparent ce qui sera l’ART du XXIè siècle, et que nous découvrirons dans quelques années, quand ces « baudruches » actuelles seront totalement oubliées. ( Elles le sont déjà pour la plupart). Ouvrons les yeux et nous ne laissons pas bernés.

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