Plongée dans l’univers de la fiction radio signée France Inter

Plongée dans l’univers de la fiction radio signée France Inter
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Assimilée tantôt au théâtre, tantôt au cinéma, la fiction radiophonique peine encore à se faire connaître comme un art à part entière. Avec 5 formats à France Culture et 2 à France Inter, elle trouve pourtant une large audience hebdomadaire. Mais qui connaît son fonctionnement propre et ses exigences spécifiques ? Profession Spectacle s’est rendu à France Inter pour assister à l’enregistrement d’une fiction, dans le cadre de l’émission Affaires sensibles.

Pour un auditeur néophyte tel que moi, la spécificité de la fiction radio ne saute pas d’emblée aux oreilles ! À écouter différents types d’émissions sur Radio France, je perçois surtout un schéma classique, calqué sur d’autres arts. Certains concepts me paraissent même assez proches de la télévision : La Vie moderne, mini-série en 5 épisodes de 7mn diffusée sur France Culture, ressemble par exemple à s’y méprendre à Un gars une fille ou Scènes de ménages. L’ère de la liberté et de la créativité radiophoniques est-elle donc terminée ? Signé Furax n’est-il plus qu’un lointain rêve ?

Je le pensais jusqu’à ce que j’entende l’étonnante Préhistoire du futur de Benjamin Abitan, metteur en scène et membre-fondateur du Théâtre de la Démesure, récemment arrivé à la réalisation radiophonique. L’envie de briser mes présupposés et de découvrir davantage ce monde peu connu du grand public m’a conduit à pousser la porte d’un studio.

De gauche à droite : Emmanuel Suarez, Sophie-Aude Picon et Vladimir Ant.

De gauche à droite : Emmanuel Suarez, Sophie-Aude Picon et Vladimir Ant.

Déployer la voix

Le tournage a déjà commencé depuis deux heures lorsque je me faufile discrètement dans le studio. Les techniciens ne me prêtent pas un regard, concentrés sur la scène se déroulant devant eux, derrière la vitre : les acteurs sont en contrebas, marchant, bougeant, vivant, enregistrés tantôt par des micros fixes, tantôt par des perches. Ils jouent leurs répliques, sous l’œil attentif de la réalisatrice Sophie-Aude Picon : « On refait une prise. Vladimir [Ant], j’aimerais que tu dises ta dernière phrase en t’étirant. Bertrand [Amiel], peux-tu faire un bruit de carte routière juste après ? » Le résultat sonore est frappant : la voix se déploie différemment ; la seconde prise est la bonne. Je comprends alors qu’il est question de deux hommes partis à la découverte de Coco Chanel.

Discrètement installé sur le côté, Christophe Barreyre surveille attentivement le déroulement, sans intervenir : « J’interviens en amont avec le scénariste et le réalisateur, qui travaillent à partir d’une idée que j’ai donnée, explique le producteur et concepteur de l’émission Affaires sensibles. Si je choisis les scénarios, je ne m’immisce jamais dans la direction d’acteurs. Ce serait une grave faute professionnelle de le faire, car c’est le travail du réalisateur. Je me contente d’être présent à toutes les étapes du processus de création, simplement pour vérifier que tout se passe bien. »

Un important travail d’équipe

L’élaboration d’une fiction radio est avant tout un travail d’équipe, non seulement en amont – entre producteur, scénariste et réalisateur –, mais également tout au long du processus de réalisation : « En récit radio, il n’y a pas ce côté : je vais vous vous montrer comment il faut faire ! On cherche ensemble, on décide ensemble », confirme Christophe Barreyre. Outre le réalisateur, au moins trois personnes sont constamment à pied d’œuvre du tournage au mixage : l’assistant, le chef opérateur (qui s’éclipse uniquement durant l’étape du montage) et l’opérateur – auxquels il faut évidemment ajouter des comédiens et l’inévitable bruiteur.

« Ce dont on ne prend pas la mesure au départ, c’est qu’on travaille en équipe, et que cette équipe est différente à chaque fois. Il faut donc s’adapter sans cesse à de nouvelles configurations », confie Sophie-Aude Picon, diplômée de l’ENS d’Ulm et accréditée en tant que réalisatrice à Radio France depuis le dernier concours, il y a un an et demi. « C’est un métier où il y a constamment des compromis et des décisions à prendre, que ce soit au moment de l’enregistrement, avec les comédiens, au moment du montage ou à celui du mixage. »

Des délais de tournage très courts

D’autant que, si les délais de tournage sur Radio Culture s’étendent généralement sur une semaine, ceux de France Inter se font en deux ou trois jours : 4 à 8h d’enregistrement, puis un ou deux jours de postproduction pour le montage et le mixage. « Tu as intérêt à avoir fait une bonne préparation, choisi minutieusement ta distribution et savoir exactement ce que tu veux, poursuit la réalisatrice, car tu n’as droit qu’à deux ou trois prises par scène. »

Cette restriction ne semble pas faire peur à Benjamin Abitan, qui a lui aussi rejoint récemment le réservoir des treize réalisateurs accrédités par Radio France : « Sur France Inter, nous avons tellement peu de temps, que nous sommes obligés de le prendre comme un jeu. J’en profite pour tester des choses, pour me mettre des petits défis dans la prise de son ou dans les choix techniques. Il y a toujours de la place pour l’impulsion créatrice spontanée ! »

À l’origine, « des textes à la fois pleins et troués »

Equipe d'acteurs et de techniciens © Radio FranceCette créativité, spontanée ou non, opère le passage d’un texte à sa mise en bouche et en micro : « Le scénariste est là pour aider le réalisateur à aller le plus loin possible dans son œuvre, nous dit Mariannick Bellot, scénariste formée à la Fémis et qui travaille depuis près de vingt ans pour différents médias. Le texte est une mise en situation, de telle sorte qu’il puisse se passer quelque chose au tournage, qui ne serait jamais arrivé sans cela. »

Mais existe-t-il une spécificité de l’écriture radiophonique ? La réalisatrice de Coco Chanel n’hésite pas une seconde : « Écrire pour la radio, c’est comme écrire pour le cinéma, il n’y a pas de règle. C’est avoir un projet fort, qui vous tient : c’était le cas pour Coco Chanel. » Sur ce point, Benjamin Abitan diverge : « Si un roman peut facilement faire l’objet d’une adaptation, au cinéma comme à la radio, c’est plus difficile pour une pièce de théâtre, écrite pour des conditions de production déjà définies à l’avance. Il est assez rare que l’économie austère de ces pièces serve la dramaturgie radiophonique. »

Sophie-Aude abonde en son sens, quoique pour d’autres raisons : « Une pièce qui met en scène deux personnages qui ne bougent pas et se racontent leur vie pendant une heure, ce n’est pas radiophonique. Il nous faut des textes qui soient à la fois pleins et troués, pour qu’on ait la place d’y aller, de rêver quelque chose autour et de proposer un univers sonore riche et original. » Sans parler de la question de la langue, au cœur du débat comme le rappelle Benjamin Abitan : « Les pièces que je reçois méritent la plupart du temps les planches et la présence physique des acteurs devant le public, sous peine d’en rester à un rapport intellectuel de ce qui est dit. »

Pour Marrianick Bellot, ce n’est cependant pas rédhibitoire : si le réalisateur apprécie un texte et souhaite en faire une fiction radiophonique, il n’hésitera pas. Cela dépend uniquement de lui : « Tout est dans le regard et dans l’écoute du réalisateur, s’il aime ou non avoir des textes qui posent des défis à la réalisation sonore… c’était le cas d’une Marguerite Gateau. »

Atouts de la fiction radiophonique

Fictions radiophoniques à Radio France - Inter 3Tous reconnaissent que la fiction radiophonique développe des qualités particulières : pour Christophe Barreyre, l’art de « travailler ensemble » ; pour Benjamin Abitan, la nécessité d’une « adaptation constante à de nouveaux univers » ; et même plus fondamentalement, pour Sophie-Aude Picon, la joie de redécouvrir « ses oreilles comme un véritable outil d’imagination, au même titre que les yeux ».

Il ne manquerait finalement que l’aspect « vivant » du spectacle. « Après la postproduction, tout est terminé ; il n’y a plus d’évolution possible, ni de risque, regrette Benjamin Abitan. Au moment de la réception par le public, la possibilité de se planter a disparu. Or les failles m’intéressent ; l’intérêt du spectacle vivant est qu’il peut échouer. »

Renouvellement et précarité de la fiction radio

La fiction est une spécificité de la radio publique française : elle coûte chère et, en raison des travaux actuellement en cours à la Maison de la radio, elle ne dispose plus que de deux studios d’enregistrement sur les quatre habituels. Leur reviendront-ils à l’issue de la restauration ? Nul ne peut répondre à cette question.

Des studios polyvalents ne pourraient-ils pas faire l’affaire ? Non, répondent-ils à l’unanimité : la fiction demande des lieux particuliers. « Le studio n’est pas qu’un grand espace vide de 100m2 qu’on viendrait meubler, explique Sophie-Aude Picon. On crée des pièces à l’intérieur de ça, selon que la scène se passe dans une chambre, une rue, une gare ou sur l’océan. Chaque scène a son identité sonore, façonnée par la disposition dans le studio et les effets du bruiteur. »

Il faut donc espérer que la volonté de renouvellement manifestée par Radio France lors de ses deux derniers recrutements, il y a deux et sept ans, ne soit pas un leurre. En choisissant des candidats aux profils très différents, en privilégiant des personnalités originales et décalées telles qu’Alexandre Plank, Christophe Hocké ou Benjamin Abitan, le chaîne montre que la fiction radiophonique a de beaux jours devant elle ! À condition que les moyens à disposition demeurent…

Signé Pierre GELIN-MONASTIER


Album photos – crédits : Radio France

Fiction en cours d'enregistrement © Radio France - 2016

Fiction en cours d’enregistrement

Fictions radiophoniques à Radio France - Inter 2

Emmanuel Suarez et Vladimir Ant.

Emmanuel Suarez et Vladimir Ant.

Nagra à bande magnétique © Radio France - 2016

Nagra à bande magnétique.

Fiction radiophonique à Radio France - Inter 1

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