Retraites d’intermittents : une dette de l’Etat effacée
Pourquoi quelques centaines de retraités intermittents du spectacle ne touchent pas intégralement leur retraite ? Pour quelle raison n’ont-ils pas obtenu un taux de cotisation à taux plein alors qu’un fonds spécifique avait été créé en 2004 par les pouvoirs publics en vue de garantir un revenu de remplacement à une certaine catégorie d’intermittents.
Profession Spectacle a essayé d’en savoir plus sur cette affaire alors que, pour l’heure et ce, malgré de nombreuses discussions et courriers, aucune solution n’a été trouvée.
Une question parue au JO en avril 2014
C’est une question du député Christian Kert, ancien Président de la Commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale et deuxième Vice-Président à l’Assemblée nationale du groupe UMP, qui a alerté la rédaction de Profession Spectacle. Ce dernier attirait l’attention de Madame la Ministre Aurélie Filippetti sur l’existence d’un éventuel disfonctionnement concernant la retraite complémentaire des intermittents du spectacle. Le député a clairement posé la question en ces termes le 1er avril 2014 (question publiée au JO le 01/04/2014 page 2904.) « Il s’avère que plusieurs milliers d’artistes et techniciens en activité ou retraités se trouveraient dans l’attente de versements permettant de compléter leur retraite et qui restent conditionnés au versement des cotisations afférentes aux allocations chômage financées par des fonds publics depuis 2004. » Le député poursuit et demande « quelle est la position de son ministère sur cette question, en particulier sur les différentes pistes explorées par ses services et par les différentes autorités gouvernementales concernées pour corriger ce dysfonctionnement. Une réponse concrète aux attentes de cette catégorie de salariés doit être rapidement apportée en cohérence avec l’ensemble des parties prenantes impliquées dans ce dossier. »
Soixante-quatre millions d’euros qui n’ont jamais été versés par l’Etat
Près de 2 000 artistes soumis au régime de l’ARRCO pendant des années se trouvent privés actuellement de leur retraite complémentaire. Il s’agit bien souvent de quelques centaines d’euros sur lesquels ces personnes comptaient dans leur budget. Comment est-ce possible ? S’agit-il d’un dysfonctionnement des services concernés ? S’agit-il d’un oubli ou d’un retard dû à des lourdeurs administratives ? Rien de tout cela, il s’agirait d’une dette de l’Etat qui s’élèverait à plusieurs millions d’euros et qui n’aurait jamais été versée alors qu’un accord avait été signé en 2004.
Il était convenu, lors de la mise en place de ces régimes que les droits à la retraite complémentaire attachés à ces allocations seraient inscrits aux comptes des bénéficiaires et feraient l’objet d’une contribution financière de l’Etat. Or, cette contribution ne s’est jamais matérialisée. Il est vrai que les artistes concernés ne représentent pas une catégorie professionnelle très nombreuse. Qu’à cela ne tienne pour certains ; pour les autres il s’agit d’une grave injustice à régler d’autant que le manque à gagner s’élèverait à plusieurs millions d’euros. Même si ces retraités ne sont aujourd’hui que quelques centaines à être victimes, cette perte pourrait concerner à terme près de 50 000 cotisants.
Des accords signés mais non honorés
Pour comprendre l’histoire de cette déconvenue, il faut revenir à des accords signés il y a 10 ans en 2004, un fonds spécifique provisoire avait été créé par les pouvoirs publics en vue de garantir un revenu de remplacement aux intermittents qui ne pouvaient bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi du régime d’assurance chômage, faute de justifier de la condition minimale d’activité pendant la période de référence. Une convention est alors signée entre l’Etat et l’ARRCO. L’organisme fédérateur des institutions de retraite complémentaire des salariés, devait en préciser les modalités de financement. Or, depuis 2013, l’Etat se serait vu remettre une dette de près de 64 millions sans aucun motif. C’est alors que cette problématique provoque de nombreux échanges et de discussions, depuis près de 10 ans, entre les pouvoirs publics et dirigeants de la mutuelle Audiens, mais également au sein même du régime dont cette catégorie de ressortissants dépend. La guerre larvée depuis quelques années entre le groupe Audiens et Agirc (retraite complémentaire) et l’ARRCO (retraite complémentaire des salariés) change de registre.
La rédaction de notre journal s’est procuré plusieurs courriers. L’un est daté du 10 septembre 2013 et provient des administrateurs siégeant au Conseil d’administration du groupe Audiens . Il est écrit à l’attention de la ministre de la Culture. « Comme nous avons déjà eu l’occasion de vous en informer, une partie de la population des artistes et techniciens est confrontée à une grave difficulté concernant ses points de retraite, qui ne sont pas générés quand ils bénéficient des allocations spéciales financés par l’Etat » *. C’est dit et écrit.
À la suite de cette initiative et dans un contexte particulièrement tendu entre ces instances, les relations se sont crispées. Des responsables du groupe Audiens argumentent : s’ils ont interpellé l’Etat à savoir le ministre de la Culture et celui des Affaires Sociales, c’est pour faire avancer le débat et surtout dans l’intérêt de ses ressortissants et de sa mission auprès des retraités. La réponse ne sait pas fait attendre. Le bureau national de l’ARRCO suite à ces allégations a décidé de sanctionner les responsables de la Mutuelle : Président, Vice-Président et Directeur général de l’institution, par un avertissement. Il reste que pour l’heure aucune solution n’a été trouvée pour résoudre ces carences dont sont victimes les artistes et techniciens qui dépendent de l’institution de retraite AUDIENS-ARRCO.
Dès lors et peut-être à juste titre, on peut s’interroger sur le fait qu’une dette de l’Etat envers l’organisme de retraite n’ait pas fait l’objet de démarche explicite afin d’obtenir un recouvrement de la somme en question. En effet, en vertu de quel droit, cette somme n’a jamais été versée et quels sont les décisionnaires d’une injustice ?
*À l’heure où nous bouclons notre journal, nous attendons toujours la réponse de Madame la ministre Aurélie Filippetti au député Christian Kert, qui nous le rappelons date du 1er avril 2014. Il est clair que la rédaction de Profession Spectacle reviendra sur cette affaire dans les prochains numéros.