Tiers-lieux, lieux intermédiaires, fabriques… Comment appréhender les espaces culturels émergents ?

Tiers-lieux, lieux intermédiaires, fabriques… Comment appréhender les espaces culturels émergents ?
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Aujourd’hui assistante chercheure pour le Centre des arts et du management culturel de la Burgundy School of Business (ancien ESC Dijon), Cassandre Jolivet a achevé une thèse professionnelle l’an dernier, dirigée par Elena Borin, sur les espaces culturels émergents, autrement appelés « espaces culturels intermédiaires ». Elle propose une synthèse de ses recherches dans une série d’articles publiés, à partir d’aujourd’hui, dans Profession Spectacle.

Lieux intermédiaires (1/6)

Depuis une vingtaine d’années de nouvelles pratiques culturelles se développent partout en Europe, et plus récemment en France. Des bâtiments abandonnés, souvent industriels, sont investis par des artistes et deviennent des squats, des espaces artistiques indépendants, des laboratoires de création artistique… La nouveauté de ces pratiques ainsi que la diversité des projets les rendent difficiles à classer, dans un secteur où l’on est habitué à des modèles institutionnels bien calibrés, surtout en France. Zoom sur ces lieux émergents et leur typologie.

Un nouvel objet difficile à identifier…

En France, la prise de conscience de l’émergence de ces lieux semble se faire au début des années 2000, lorsque Fabrice Lextrait est chargé par Michel Duffour, secrétaire d’État à la décentralisation culturelle et au patrimoine, de mener une étude afin d’être informé sur ces lieux et leurs particularités.

Dans cette étude, ils sont nommés « lieux culturels intermédiaires », mais on parle aussi de « tiers-lieux », « fabriques », « friches », « laboratoires » culturels, ou encore « espaces culturels émergents ». L’absence d’un terme unique pour les identifier montre leur diversité.

Il faut cependant faire la différence entre ces termes, qui font référence à des lieux, et d’autres concepts, également émergents, qui peuvent prêter à confusion.

En premier les « clusters », conglomérats d’acteurs appartenant aux industries culturelles et créatives, qui fonctionnent en réseau et interagissent sur un territoire. Les lieux intermédiaires font eux référence à un projet se développant dans un espace, sous un modèle de gouvernance, mais peuvent être géographiquement intégrés à un cluster.

dans un paysage culturel jusqu’ici très structuré

Ils sont également lieux d’expression de ce qu’Elsa Vivant appelle les « pratiques artistiques off » ou « événements off », ce qui fait d’eux des « lieux off de la culture et des lieux de la culture off »*, en opposition au « in » que seraient les lieux culturels institutionnels reconnus. Cela peut aller du squat temporaire au lieu permanent, en passant par le festival. Certains lieux intermédiaires sont d’ailleurs partis d’initiatives temporaires, comme La Taverne Gutenberg à Lyon ou Les Grands Voisins à Paris.

Cette volonté de rompre avec les institutions traditionnelles, parfois qualifiées d’« élitistes », ressort d’ailleurs dans leurs noms, qui font souvent référence à l’héritage historique du bâtiment – fabrique, friche, abattoirs, gare… – ou à des numéros, en référence aux rues ou usines, une connotation brute et industrielle pour des lieux se voulant accessibles à tous, ouverts, où artistes et visiteurs sont appelés à co-construire. Ce sont des lieux d’ébullition, de laboratoire, où il y a toujours un travail en cours, à l’image du 104 à Paris.

Ces « ovni » de la culture suscitent la curiosité et l’intérêt des chercheurs ; des organisations et collectifs étudient et recensent ces projets atypiques. Artfactories, la CNLII (Coordination nationale des lieux intermédiaires et indépendant) ou le réseau Trans Europe Halles en sont des exemples.

Il ne semble pour le moment pas y avoir de label propre à ces lieux, contrairement aux institutions culturelles très hiérarchisées. Et pour cause, il s’agit d’un phénomène encore très récent, sur lequel de nouvelles études ne cessent de sortir. Intimement liés à l’évolution de la société vers des modèles économiques où « lien social », « échange » et « partage » sont les maîtres mots, ces projets s’inscrivent plus largement dans l’économie sociale et solidaire.

S’ajoutent des statuts juridiques variés : EPIC, EPCC, association loi 1901, SA**…, certains étant soutenus par les pouvoirs publics, d’autres non.

Peut-on donc vraiment les comparer ?

Chaque projet semble unique, car fondé sur l’historique d’un lieu et d’un territoire, dont la taille et donc les ressources varient selon l’attractivité économique de la zone d’implantation et l’intérêt porté par les pouvoirs publics.

On leur reconnaît toutefois des activités et des valeurs communes : recyclage d’un ancien bâtiment, mise à disposition d’un lieu unique pour des résidences de création, temps de représentation et initiation des publics aux pratiques artistiques, autour de projets solidement ancrés dans un territoire et son réseau. Avec quelques variantes, certains mettant l’accent sur la création avec un dispositif fort d’accompagnement des artistes, d’autres sur l’entrepreneuriat avec espace de co-travail ou incubateur, d’autres encore sur l’éducation, avec espace parents-enfants…

On voit bien ici que le terme « lieux intermédiaires » peut s’appliquer à de nombreuses initiatives. Et en termes de modèles économiques ?

Dans son rapport de 2001, Fabrice Lextrait soulignait la résonnance particulière du phénomène en France, où la culture a toujours été majoritairement soutenue par l’État. Ces pratiques témoignent d’une volonté de trouver d’autres modèles dans un contexte de diminution des subventions. Cependant, en regardant de plus près, la majorité de ces lieux fonctionne toujours grâce aux soutiens publics, quand ils ne sont pas directement des initiatives de ceux-ci.

La question de la typologie reste donc, pour le moment, irrésolue. Deux modèles semblent se distinguer : ceux qui refusent ce soutien et se font la voix d’un modèle de fonctionnement non-gouvernemental, regroupés par le réseau Trans Europe Halles, et ceux qui semblent partager ces valeurs mais ne pourraient survivre sans l’aide de l’État ou des territoires.

Cassandre JOLIVET

* Vivant E., « Les événements off: de la résistance à la mise en scène de la ville créative », Géocarrefour, vol. 82, n°3, 2007, p. 131-140

** EPIC : Établissement public à caractère industriel et commercial
EPCC : Établissement public de coopération culturelle
SA : Société anonyme



 

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5 commentaires

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