Volker Schlöndorff : « La migration fait partie de l’humanité : on est tous des immigrants ! »

Volker Schlöndorff : « La migration fait partie de l’humanité : on est tous des immigrants ! »
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Le nouveau film de Volker Schlöndorff, Return to Montauk, est en compétition officielle à la Berlinale qui commence aujourd’hui. On ne présente plus le réalisateur allemand, qui reçut la Palme d’or à Cannes et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère pour le Tambour en 1979. Nous l’avons rencontré : du drame sentimental en compétition à son projet sur l’immigration en passant par sa passion pour l’Afrique…

Rencontre avec l’homme, derrière le cinéaste.

Pour Return to Montauk, vous avez fait appel à un casting exceptionnel : Stellan Skarsgård, Nina Hoss, Niels Arestrup… Cette œuvre apparaît à bien des égards comme un de vos films les plus personnels. Comment est-il né ?

Return to Montauk est un drame sentimental sur lequel je travaille depuis cinq ans. Il raconte la semaine d’un écrivain (Stellan Skarsgård) venu présenter son bouquin à New York, accompagné de sa jeune épouse (Susanne Wolff), et qui rencontre à nouveau l’amour de sa jeunesse : une femme qu’il regrette depuis toujours et dont il parle dans son roman prétendument fictif, une femme imaginée, idéalisée, redevenue soudain être de chair, qui est interprété par la vedette n°1 du cinéma allemand, Nina Hoss.

C’est vrai qu’il s’agit d’un film personnel, car j’ai vécu sept ans à New York dans les années 1980, il y a près de vingt ans. Cette histoire est très inspirée et informée par mes expériences propres, ce qui est une nouveauté pour moi, dans un film. C’est en effet rare que mes réalisations ne passent pas par un roman, un auteur, une histoire… Ce fut une grande libération !

On dit que votre prochain film portera sur l’immigration… Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’envisage effectivement de faire une grande fresque sur l’immigration, qui mêlerait documentaire et fiction. J’en suis encore au stade de réflexion, même si celle-ci se précise. La migration fait partie de l’humanité ; cette problématique m’habite continuellement en ce moment. Tout a toujours bougé : on est tous des immigrants !

Une dimension peu connue de votre vie est votre lien particulier avec l’Afrique… Quelle expérience vous a particulièrement marqué ?

volker-schlondorff-5Mon lien historique majeur est avec le Rwanda : je soutiens une école de médias. Il n’y a pas de cinéma là-bas. Ils font de petits films, dans lesquels ils racontent leurs histoires. L’enjeu est de leur apprendre à se servir des possibilités d’une caméra. J’ai réussi à impliquer le gouvernement allemand, le ministère du développement, ainsi que des mécènes privés et officiels. Nous avons pu faire venir à Kigali des équipements pour le tournage et le montage.

Mais plus récemment, il y a environ deux ans, je suis parti avec un guide local marcher trois semaines en Éthiopie, pays que je ne connaissais pas du tout à l’époque. C’était formidable ! Je ne savais pas qu’il existait encore des gens vivant comme à l’Âge de bronze, dans des huttes rondes, loin de tout, sans électricité ni eau courante : la seule chose qu’ils ont en métal, ce sont des grands couteaux. Des voitures passent, ils ont des téléphones cellulaires qu’ils rechargent dans des lieux pour touristes, mais ils vivent comme à l’écart. Cette expérience m’a beaucoup marqué. C’est le seul pays d’Afrique qui n’a jamais été « colonialisé », sauf brièvement par les Italiens, ce qui relève plutôt de la blague pour eux. Le fait qu’il n’ait pas eu les vertèbres cassées par le colonialisme leur donne une fierté hors du commun. Je garde de belles amitiés de mon passage en Éthiopie.

Vous n’avez jamais eu l’envie de faire un film sur l’Afrique ou sur l’aspect colonial ?

J’ai eu l’envie de faire un film sur le partage de l’Afrique à la conférence de Berlin en 1884, lorsque le roi Léopold a obtenu le Congo comme propriété privée. J’y travaille depuis des années, mais côté finances, cela n’intéresse personne. L’Afrique reste un trou noir : on a peur que je donne mauvaise conscience aux Européens, sans parler de la dimension historique qui fait fuir tout le monde. Mais une grande partie de la misère de l’Afrique résulte bien de cette conférence de Berlin !

Il y aurait d’autres entrées possibles, notamment votre engagement en Afrique…

Ce ne sont pas des choses que j’introduis dans mes films ; c’est davantage ma vie à côté de mes films. Mais comme je suis cinéaste et qu’il s’agit de cinéma, j’apporte de ma personne. La vidéo est aujourd’hui une expression à la hauteur de tout le monde. Il est plus facile de faire un film que d’écrire un livre ; les jeunes Rwandais sont plus familiarisés avec l’audiovisuel qu’avec l’écriture. Je donne régulièrement des master-class d’alphabet cinématographique même si, ces dernières années, je suis malheureusement plus occupé à trouver de l’argent qu’à y aller moi-même.

Que pensez-vous du cinéma actuel ?

Je constate qu’il y a une vraie vitalité du cinéma ; il existe comme une urgence à raconter des histoires. En revanche, le média est susceptible d’évoluer : les salles d’art et d’essai, par exemple, n’existent pratiquement plus, sauf peut-être en France. Dans tout New York City, il n’en reste que deux ou trois… A contrario, vous avez des millions de gens qui regardent des vidéos sur l’internet. Ce qui était tout à fait inattendu il y a cinquante ans, c’est de voir qu’un film peut avoir une carrière sur des dizaines d’années, grâce à la télévision, à la VHS, au DVD et aujourd’hui à internet… Cette modernité est formidable !

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER



Crédits Photo : Pierre Gelin-Monastier



 

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