Brèves estivales (seconde semaine)

Brèves estivales (seconde semaine)
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En ces temps de pandémie, pourquoi l’Économie Sociale est-elle muette ? Le monde a besoin d’elle, et elle se tait ! Certes, cela vaut mieux, à tout prendre, que de s’aligner sur les déclarations officielles. Mais tout de même !

Actualité de l’économie sociale

Non, je ne vous parlerai pas du COVID. Bien que tout ce que nous fassions, ou plutôt tout ce qu’on nous autorise à faire, en découle plus ou moins directement, et ce depuis 18 mois. Je pense être comme beaucoup de nos contemporains : je n’adhère à aucun discours, ni ceux des alarmistes, ni ceux des sachants, ni ceux des puissants. Je subis, et j’essaye de m’adapter. Je triche un peu, mais je n’irai pas jusqu’à me rebeller. Je fais tristement le décompte de tout ce qui a été annulé, des projets que j’ai dû abandonner, des voyages et des rencontres remis à plus tard, ou à jamais. Déjà qu’en temps normal je ne pèse pas beaucoup sur la marche du monde, en temps de COVID je me sens et je me sais parfaitement impuissant et inutile.

Bon, voici pour votre dévoué et triste serviteur. Mais l’Économie Sociale ? Pourquoi est-elle muette comme moi ? Le monde a besoin d’elle, et elle se tait ! Certes, cela vaut mieux, à tout prendre, que de s’aligner sur les déclarations officielles. Mais tout de même ! La Mutualité n’a rien à dire sur la santé publique, à part qu’il faut bien se laver les mains et faire attention à ne pas contaminer son prochain ? L’UNIOPSS, à part qu’il faudrait plus d’argent pour les EHPAD ? Et les autres ? Voir la société se fissurer, les gens se recroqueviller dans la peur et la défiance, cela ne les concerne pas ?

Allons, réveillez-vous, il est plus que grand temps ! Je n’ai pas de conseils à donner. Je suis dans l’attente de messages à la fois clairvoyants et optimistes, d’appels au courage et à la confiance, de foi dans la force collective… et sachez que si vous manquez ce rendez-vous avec l’Histoire, on aura raison de vous en vouloir. On ne vous entendra plus, après, de la même manière. Pensez-y !

Y a-t-il des idées derrière les mots ?

Cela devrait aller de soi ; à quoi peut bien servir un mot qui n’exprime aucune idée ? Mallarmé avait sans doute trop confiance dans ce postulat, et il pensait que, même massacrés et soumis aux seuls impératifs de la mélodie du vers, les mots allaient conserver intactes leurs idées fondatrices et les restituer en d’inattendues et flamboyantes symphonies.

Mais l’autre tout soupirs, dis-tu qu’elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison ?

Hélas, faire de chaque mot une énigme se heurte aux limites de l’élitisme. Il est bien plus aisé de jouer avec des mots qui n’ont ni musique, ni sens. Que pensez-vous de cette équation :

ADREA + APREVA + EOVI = AESIO

Au temps où les mutuelles s’appelaient La Prévoyante, La Fraternelle, L’Émancipatrice, voire parfois La Cycliste ou La Batelière, il n’était pas trop compliqué de comprendre qu’avant de voter pour un administrateur, il convenait de s’assurer qu’il vous ressemble et qu’il sache compter vos sous. Mais quand vous recevez le rapport d’activité d’EOVI ou celui d’AESIO, vous prenez tout doucement le chemin de l’abstention…

Les cuistres qui vous abreuvent de recettes pour penser autrement, dans leur référentiel inclusif et résilient, ne manquent pas une occasion de vous expliquer combien le bottom up est préférable au top down, C’est qu’ils pensent n’avoir jamais quitté, eux, ni le « top » ni le « up ». Mais plutôt que de savoir comment co-construire avec eux un « territoire win-win« , je préfère les traductions littérales, qui redonnent aux mots leur sens premier : « top down » c’est « baisse la tête » et « bottom up » c’est « lève ton cul ». On peut y ajouter « bougre d’âne ».

Si vous suivez les Jeux Olympiques, ce qu’au demeurant je n’encourage personne à faire, vous aurez remarqué que ceux-ci ont introduit cette année de nouvelles épreuves, dont un sport féminin appelé softball. C’est du moins son nom en français de France. Faut-il rappeler, d’ailleurs, que la langue de l’olympisme est le français ? Nos cousins du Québec ne l’entendent pas de cette oreille et, bravant la terminologie officielle, ils ont nommé cette discipline la « balle molle ». Et subitement, par le simple pouvoir évocateur des mots, ce sport qui m’est totalement inconnu me devient sympathique. Quoi de plus délicieusement polisson que « balle molle » ? Déjà, rien qu’à entendre ces mots, l’on sent les joueuses s’ébattre sur le terrain et y composer des figures contrepétantes du plus bel effet.

La balle est molle, mais la fesse est ferme, et le téton dur
aurait noté le fabuliste observateur.

La palme d’or du mot idiot, inutile et contre-productif revient en tous cas au Comité international olympique (CIO) qui a jugé malin d’adjoindre à sa devise historique citius, altius, fortius un quatrième larron, incongru s’il en est : communis, qui veut dire commun, et rien d’autre. En anglais, c’est together, et en français, ensemble. Avec la prétention bienpensante d’exprimer par là un devoir de solidarité. Je m’entraîne pour courir plus vite que toi, pour sauter plus haut que toi, pour être plus fort que toi et te casser la figure, mais nous faisons ça ensemble, solidairement. Je ne te discrimine pas, je ne cherche pas à t’imposer ma culture, je respecte tes préférences sexuelles, mais c’est moi qui remporte la médaille, alors que toi, tu as été éliminé en série, pauvre plouc minable.

Les plus éminents des latinistes, qui apparemment n’ont pas été consultés, pourront me contredire ; je puis me tromper. Ceci posé, je crois que la question posée est insoluble, simplement parce que le mot ensemble, dans sa forme adverbiale, n’existe pas en latin, du moins en latin classique. Certes il y a l’adverbe simul, mais celui-ci exprime l’idée d’une rencontre fortuite, dans le temps ou dans l’espace. Lorsqu’il s’agit d’une action volontaire, le latin ajoute au verbe concerné le préfixe con-, comme dans les exemples suivants :

cubo, coucher, concubo, coucher ensemble, vivre en concubinage
curro, courir, concurro, courir ensemble, participer à un concours
cors, cœur, concors, union des cœurs, accord ; et concordia, concorde, harmonie
fluo, couler, confluo, couler ensemble, mêler ses eaux
grex, troupeau, congrego, rassembler le troupeau ; d’où congregatio, assemblée

En aucun cas ces constructions ne sauraient être exprimées par communis, qui prend parfois le sens de partage, mais souvent aussi celui d’ordinaire – tout comme le mot commun en français.

Quant aux actions de « participer ensemble » aux mêmes épreuves qui se terminent toujours par un vainqueur et plusieurs vaincus, elles évoquent beaucoup plus l’idée de compétition, de lutte à mort, de chacun pour soi, qu’une quelconque union fusionnelle et inclusive, glauque et moderne transcription d’impératifs consuméristes portés par le cosmopolitisme marchand dont les Jeux Olympiques sont l’un des principaux bras armés.

J’emploie à dessein le mot de cosmopolitisme, car le baron Pierre de Coubertin s’en réclamait avec conviction. Pour exprimer l’idée de solidarité, dans un univers viril de plaies et de bosses, il y avait une devise toute trouvée : Un pour tous, tous pour un. Malheureusement, elle était déjà prise.

Philippe KAMINSKI

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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



 

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