Bruno Dumont : « La comédie n’est pas un art mineur du cinéma »

Bruno Dumont : « La comédie n’est pas un art mineur du cinéma »
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Le cinéaste français Bruno Dumont est un ovni dans le cinéma français : ses huit longs-métrages déroutent, marqués par une recherche de sens et une quête mystique qui font aujourd’hui figure d’exception. Son dernier film, Ma Loute, fait sa première en compétition à Cannes : une comédie d’auteur, inscrit – comme toujours – dans les paysages nordiques, qui réunit des amateurs et des acteurs reconnus tels que Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi, Fabrice Luchini…

Est-ce que vous vouliez raconter une histoire de fous ?

Bruno Dumont : Oui, une histoire de dingues, avec néanmoins une histoire d’amour, une histoire policière, une histoire cruelle, une histoire merveilleuse. Je voulais mélanger les couleurs et faire un film coloré.

Et cet étonnant virage de votre cinéma vers la puissance comique ?

Le drôle, c’est un degré du drame. Il suffit de pousser un peu le drame et on tombe dans le comique. J’ai découvert avec étonnement que la comédie n’est pas un art mineur du cinéma. Elle réclame même plus d’attention pour les cadres car on grossit le trait. Et pour la première fois, j’ai aussi vraiment joué sur le bruitage pour accentuer la perception.

Quand vous traitiez l’instinct bestial dans vos autres films, c’était plutôt perturbant. La même violence est-elle plus acceptable à travers la comédie ?

C’est une évolution. Depuis longtemps, j’avais envie de sortir du drame qui est un cloisonnement. Là, j’ai ouvert une vanne. Mais le drame est contenu dans la comédie. Maintenant, je sais mieux comment joindre une violence et une pirouette, et je suis surpris de voir à quel point la pirouette ôte son épine à la violence. Le cannibalisme par exemple est acceptable parce qu’il est drôle. Cela permet de faire passer des choses graves avec le comique. De toutes façons, nous sommes tous mélangés, à la fois des saints et des salauds, des crétins et des génies, et je filme pour chercher au coeur de cela.

Quid de l’enquête policière dont la résolution est immédiatement dévoilée ?

Dans ce film, elle est périphérique, mais c’est un bon moteur. Elle fait avancer l’histoire, permet à la caméra de circuler chez les uns et les autres. Ce n’est pas totalement nouveau pour moi, déjà dans L’humanité, il y avait une enquête avec un policier bizarre. C’est surtout une bonne façon de représenter la quête d’une façon simple et qui ne soit pas prise de tête.

Auparavant vous ne faisiez appel qu’à des comédiens non-professionnels. Là, des stars françaises incarnent les riches et les non-professionnels pour les pauvres. C’est un dispositif très théorique ?

Oui, car le comique est très schématique. Ce sont des caricatures. Dans ce film, il ne s’agit pas de sociologie, mais de philosophie autour la notion de l’homme tel qu’il est. Mais comme les personnages sont très hauts en couleurs, il fallait des artistes de comédie, ce qu’on appelle des comédiens. Ce sont de vrais acrobates et pour moi, cela a été une expérience extraordinaire, même si c’était très difficile. Mais je ne fais que diriger, un acteur, c’est lui qui fait l’action.

Vous tournez tous vos films dans le Nord de la France et Ma Loute fait penser au style des carnavals de la région.

C’est vrai que c’est une tradition du Nord et j’ai recherché ces masques, ce grotesque, ces déguisements avec de grosses têtes, ces travestissements. Mais sous le masque, sous le divertissement, on va chercher quelque chose de plus fin, de social : c’est comme une purge car cela fait du bien de rigoler. Ensuite, il y aussi les paysages du Nord. Je voulais filmer la brutalité des choses et la simplicité des paysages, tout en n’oubliant pas que le grotesque, c’est également articuler les acteurs et les décors.

Les cadres et l’image font parfois penser à la peinture

Il faut faire attention à la peinture car on fait du cinéma et même si elle l’influence, le cinéma, c’est du mouvement. Pour moi, le pire, ce serait de faire de la belle image. Mais il faut quand même une image soignée. Ce qui m’a inspiré, ce sont des photographies du début du XXe siècle. La difficulté, c’était de lier ça avec le numérique pour raconter une histoire du passé au présent, car il fallait que le film soit en même temps contemporain. J’ai appuyé très fort sur le numérique pour donner de l’hyper-réalisme, notamment avec les gros plans sur les acteurs. J’ai pensé au spectateur et à la manière de l’entraîner dans la vraisemblance de l’histoire. De toutes façons, l’intemporel, on ne peut pas le filmer. Je me suis inspiré des costumes et des moeurs de l’époque pour pouvoir parler d’autre chose, ce que je le fais toujours. Simplement, avant, j’avais un télescope, maintenant j’ai un microscope.

Fabien LEMERCIER

Source partenaire : Cineuropa.

https://www.youtube.com/watch?v=4lU1dR9X9VY

Conférence de presse du festival de Cannes 2016

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