Coronavirus : le festival et le Off d’Avignon auront-ils lieu ?

Coronavirus : le festival et le Off d’Avignon auront-ils lieu ?
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La durée du confinement se prolonge. Les événements multiples, culturels ou sportifs, sont annulés ou reportés au fur et à mesure, faute de pouvoir être préparés convenablement. Et les rassemblements de masse n’auront peut-être pas la priorité pour le public si jamais les barrières sociales, de protection, se lèvent d’ici l’été. Question brûlante, clivante et pourtant nécessaire : le festival et le Off d’Avignon seront-ils maintenus ? Enquête.

Aujourd’hui doit avoir lieu la conférence de presse présentant le 74e Festival d’Avignon. Pour autant, la question qui agite le milieu artistique est de savoir s’il faut ou non le maintenir, de même que le Off, grande fête et vaste marché du théâtre qui se tient au même moment. L’an dernier, près de 1600 spectacles étaient présentés dans le Off, contre 43 pour le festival.

Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, communément appelé le In, assurait encore le 27 mars dernier : « Annuler le Festival d’Avignon n’est pas à l’ordre du jour. » Il devrait donc se tenir du 3 au 23 juillet. Quant au Off, s’il avait lieu, les nouveaux spectacles seraient certainement rares.

In et le Off : des contingences différentes mais une même fragilité face au virus

Événement par excellence pour le milieu théâtral, qui dépasse largement les frontières de la France, l’un des plus prestigieux festivals européens consacré au théâtre risque pourtant sa peau. Si la France retrouvait son rythme normal, les frontières, elles, pourraient rester en partie fermées. Olivier Py lui-même a déjà mentionné l’annulation d’un spectacle d’une production sud-africaine, faute de répétition possible à Berlin ; il faut néanmoins avoir à l’esprit que 60 % des spectacles prévus viennent également de l’étranger. Se pose donc la question du nombre de spectacles programmés si le festival était maintenu.

Autre interrogation cruciale : le compte à rebours. Pour présenter une œuvre, il la faut répéter et, pour la jouer, des infrastructures mises sur pied dans les temps. La scène et les gradins de la Cour d’honneur mettent près de deux mois à être montés. Si le confinement devait se prolonger au-delà d’avril, il y a fort à parier que ce lieu emblématique ne pourrait ouvrir dans les temps. Ce constat nous est confirmé par le père Louis Ardillier, délégué épiscopal à la culture du diocèse d’Avignon, qui fait l’interface entre le diocèse et les événements culturels de la Cité des papes, notamment grâce à l’association Foi & Culture. Selon lui, « s’ils n’ont pas pu le faire début mai, la Cour d’honneur sera difficilement utilisable. À moins que le festival ne soit décalé de quelques jours… » Pour autant, il estime que « ce serait une bonne chose que le Festival ait lieu, si les conditions sanitaires sont évidemment réunies », même s’il doute que le public soit au rendez-vous comme les autres années.

Ces interrogations seraient très subsidiaires si elles n’assuraient pas la subsistance économique de tous les acteurs concernés. Cette question est encore plus prégnante dans le Off, qui ne dispose pas des subventions dont est pourvu le festival d’Avignon. Nikson Pitaqaj, vice-président d’Avignon festival & compagnies (AF&C) et directeur de compagnie, veut ramener les questionnements d’aujourd’hui à la réalité des enjeux, tout en restant lucide : « Annuler le festival Off serait très difficile à supporter pour les théâtres, la ville, la région. Malgré ses défauts, il faut quand même se rappeler que c’est un festival qui réunit 5 000 artistes et techniciens sur trois semaines et cela, c’est une chance. En cette période de confinement, il est important de préserver ces rendez-vous. » Il signale toutefois la complexité de la situation, car « maintenir le Off pour les compagnies pourrait s’avérer dramatique, voire impossible ».

Le vice-président d’AF&C a réagi à l’annulation du festival d’Edimbourg, autre grand événement théâtral européen qui a lieu en août, soit après le Off d’Avignon. Il se veut rassurant et précise que « chaque pays a son fonctionnement, chaque festival sa particularité ». Au sujet de la tenue du festival Off, il rappelle qu’il « engage énormément de parties prenantes : artistes, compagnies, théâtres, partenaires, institutions publiques, etc. » et qu’il n’est donc pas facile à saisir à cause de « cette multiplicité ». « Il a une force démocratique étonnante, s’enthousiasme Nikson Pitaqaj. Souvent les festivals sont dirigés par une personne, voire une équipe. Dans notre cas, l’association coordonne, accompagne, organise le festival mais la composante de cet ensemble est complexe et nous oblige à prendre en compte toutes les parties prenantes et leurs intérêts antagonistes. La manière dont sont organisés les festivals en France ne peut pas être comparée aux festivals des pays anglo-saxons, qui relèvent beaucoup plus du privé. En France, nous avons les institutions publiques, le ministère de la Culture, y compris dans le festival Off. »

Une composante essentielle également rappelée par Olivier Py, qui compte sur les aides publiques pour assurer la bonne marche du festival d’Avignon.

Des compagnies divisées

Au sujet de l’état d’esprit global des compagnies, Nikson Pitaqaj constate des réactions « très clivantes », auxquelles il est toutefois habitué. « Nous avons ceux qui veulent absolument que le festival soit annulé le plus vite possible, parce qu’il y a de véritables craintes sur l’aspect financier, et pour beaucoup l’impossibilité de répéter les empêche de présenter des créations. Il y a aussi la peur que les programmateurs et le public ne soient pas au rendez-vous… » Mais parmi les tenants de l’annulation, il n’y a pas que l’aspect économique qui est en jeu : il en va de la santé des Français. « Pour cet été, sanitairement parlant, il ne peut pas y avoir de “cas par cas” », insiste de son côté Éric Zanettaci, auteur, ancien producteur et cofondateur de quelspectacle.com.

Face à eux, il y a ceux qui « pensent que nous devrons à tout prix, dans la limite des autorisations accordées, être là, même peu nombreux ». Au-delà d’un optimisme simpliste, c’est de leur vocation qu’ils répondent, entre « obligation morale » et « devoir d’être au rendez-vous pour le public ». De son côté, Nikson Pitaqaj compte être présent avec sa compagnie, avec une reprise d’une création de l’an dernier : Jusqu’à ce que la mort nous sépare de Rémi De Vos. « Depuis que nous participons au festival, nous sommes toujours venus en prenant le risque d’y présenter une création. Avec cette histoire de confinement, nous avons reporté au fur et à mesure toutes les dates de mars à mai. Mais nous sommes dans les starting-blocks pour aller à la rencontre du public sans réellement savoir avec quoi, quitte à annoncer au public que c’est un travail en l’état. »

Entre ces deux camps, il y a également tous ceux qui attendent du ministre de la Culture de trancher sur le maintien ou non du festival et du Off d’Avignon. Guy-Pierre Couleau, président du Syndicat national des metteurs en scène (SNSM), a ainsi écrit un courrier à Franck Riester lui demandant « des précisions relatives d’une part, à la question du maintien du festival d’Avignon et, le cas échéant, aux modalités techniques de prise en charge des répercussions économiques engendrées par tout aménagement de la tenue de celui-ci ». Les Sentinelles, fédération de compagnies du spectacle vivant, en appellent également à une clarification. Dans une lettre ouverte publiée le 4 avril dernier sur Mediapart, elles évoquent une attente « économiquement mortifère pour les compagnies professionnelles », estimant que l’urgence est à « une parole d’État » sur le maintien ou non du festival et du Off d’Avignon.

« Tout le monde est dans l’expectative, plusieurs compagnies ont déjà annulé leur venue car elles craignent que ce soit un coût financier qu’elles ne puissent supporter, constate le père Ardillier. D’autant qu’elles auront moins de moyens suite au confinement et il leur faudra compenser leur manque à gagner professionnel en retournant au travail. Donc, la tenue du festival est sujette à caution pour cet été. »

En attendant une parole officielle, la préparation continue concrètement. AF&C dit être « en contact régulier avec ses partenaires », évaluant « les coûts en fonction des différents scénarii » et travaillant « à la constitution d’un fonds d’urgence pour soutenir les difficultés financières et humaines qui sont déjà présentes ». Les inscriptions, prévues le 20 mars, ont tout de même été repoussées. L’important, pour eux, est de veiller à ce que « les compagnies et les lieux soient vigilants sur les contractualisations, puisque de toute façon le festival sera hors norme ».

De la place de l’artiste dans cette crise sanitaire

« Cette année, plus que jamais, nous devons nous saisir de la tribune du Festival pour crier notre colère face à ce monde absurde dans lequel nous sommes tombés. Chacun de nous, là où nous sommes, quand le peuple attend, quand il souffre, doit répondre présent », souhaite vivement Nikson Pitagaj. Si le festival et le Off devaient finalement avoir lieu, les nouvelles créations passeraient sans doute à la trappe. Mais les anciennes, comme les bons vins sont faits dans de vieux fûts, pourront certainement donner davantage leur éclat, leur profondeur.

« Nos paroles sont-elles vaines ou bien ont-elles du sens ? Et nourrissent-elles le corps ? », s’interroge pour sa part le délégué épiscopal à la culture. Bien plus qu’une occasion de répondre aux maux de la société, cette période inédite ramène selon lui aux origines de l’art théâtral, à sa fonction première. « Historiquement, le théâtre est un acte liturgique chez les Grecs. C’est un art qui met en scène la condition dramatique de la vie humaine et sa capacité à faire des choix, explique le père Ardillier. L’important n’est pas de rester en vie, mais comment on reste en vie. L’art qui a du sens est celui qui permet de vivre avec une consistance plus forte le drame de la vie. »

Ainsi estime-t-il « ce temps de confinement merveilleux pour retrouver son corps — qui souvent n’est plus un lieu pour nous mais un moyen de déplacement, un outil, plus vraiment notre personne —, pour voir comment notre propre parole a un rapport avec notre corps et comment elle en sort. En ce sens, si le confinement a du bon, au-delà des raisons sanitaires, c’est peut-être pour se rendre compte que le verbe qu’on prononce doit venir de l’intérieur et celui qu’on entend peut nous transformer de l’intérieur. Est-ce que ce que vivent les artistes les aident eux-mêmes à s’enrichir de cette crise plutôt que de s’en appauvrir ou s’en attrister ? » Pour lui, l’occasion est idéale pour enrichir notre humanité, si « nous n’essayons pas d’y échapper ». Car « après la consommation, la sur-information, la sur-stimulation, une autre expérience nous est proposée. Le monde s’arrête au seuil de notre porte. Et les artistes ont quelque chose à nous dire à ce sujet. »

Une cellule d’accompagnement pour les organisateurs de festivals

La frontière étant poreuse entre le festival d’Avignon et le Off, notamment en ce qui concerne la venue des publics, si le premier devait être annulé, le deuxième risquerait aussi de couler. Renoncer au festival Off ferait office de gel dans la « marchandisation » des spectacles. Or, pour beaucoup, tout s’y joue. Briser la vitrine de ce gigantesque événement pour nombre de compagnies et producteurs pourrait avoir un effet ravageur.

Le ministre de la culture, Franck Riester, en a probablement conscience lui qui, dans sa déclaration du 6 avril, vient d’annoncer la création d’une cellule d’accompagnement pour les organisateurs de festivals. Celle-ci s’adresse à ceux pour qui le confinement ne crée pas de retard dans la préparation et qui attendent l’évolution de la situation, comme le festival et le Off d’Avignon. Mais cette réponse de l’État fait déjà l’objet de vifs débats au sein du milieu artistique et culturel. Cette cellule est-elle par exemple adaptée au Off, qui n’a pas d’organisateurs à proprement parler, mais seulement une association qui le coordonne ?

Pour Philippe Touzet, auteur de théâtre et président des E.A.T. de 2014 à 2019, cette « réponse » du ministère n’est pas seulement inadaptée à la marge, mais en son ensemble : « Nous faisons face à une crise sanitaire mondiale, et la réponse que nous donne le ministre, c’est une adresse mail, une succession de cas par cas, se désole-t-il, non sans colère. En ce qui concerne tous les festivals en France, il faut une décision nationale, point. Le problème, c’est que nous avons des décideurs qui ne décident pas. Ils veulent des responsabilités mais en aucun cas les endosser… Il faut annuler tous les festivals estivaux. On parle de festivals qui auront lieu dans trois mois, c’est-à-dire en pleine période de déconfinement gradué… » Plus encore, il dénonce l’image désastreuse que ces atermoiements dévoilent. « On montre aux Français et aux Françaises que nous sommes à côté de la plaque, que nous sommes des gens hors-sol, préoccupés uniquement par notre entre-soi. De tous les côtés, économiquement, socialement, sanitairement, ça va être un carnage pour la profession ! »

Olivier Py, lui, n’en démord pas : « Aucun élément objectif ne nous permet de prendre la décision d’annuler le Festival d’Avignon 2020, explique-t-il dans une lettre d’information publiée le 6 avril, que nous reproduisons ci-dessous dans son intégralité. Le Festival d’Aix, les Rencontres d’Arles ou les Nuits de Fourvière restent sur la même ligne. Nous sommes donc au travail et nous préparons la 74e édition, c’est notre responsabilité. Ce qui précède à ce jour et à cette heure. Seules les autorités sanitaires pourront faire évoluer nos plans […] Nous ne faisons pas de fausse promesse, personne ne peut dire de quoi sera fait juillet, mais nous avons besoin de maintenir l’engagement collectif et de préparer déjà la reconstruction. » La programmation de la 74e édition du festival est donc maintenue ; elle aura lieu aujourd’hui, à 14 heures.

Louise ALMÉRAS

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Festival d'Avignon communiqué

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