« Kalakuta Republik » : la généreuse quête d’unité de Serge Aimé Coulibaly

« Kalakuta Republik » : la généreuse quête d’unité de Serge Aimé Coulibaly
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Avec Kalakuta Republik, Serge Aimé Coulibaly envahit le cloître des Célestins de rythmes et mélodies composés par le musicien nigérian et inventeur de l’afrobeat Fela Kuti – revisités par Yvan Talbot. Le titre même de la pièce résonne comme un hommage : « Kalakuta Republik » était le nom de la maison de Fela Kuti, un lieu utopique, une république proclamée indépendante, au cœur de la banlieue de Lagos, au Nigéria. Un nom comme un manifeste, un témoignage atemporel que Serge Aimé Coulibaly parvient à retranscrire par une chorégraphie aboutie.

Deux parties scandent le spectacle, chacune annoncée par un titre projeté sur la voûte extérieure du cloître : « Without a story we would go mad » ; « you always need a poet ». Qu’en comprendre ? Comment interpréter les gestes, les choix du noir et blanc en première partie, ceux de la couleur dans la seconde ? Rien n’est jamais écrit avec Serge Aimé Coulibaly, ce qui rend la lecture de ses propositions artistiques libre.

Un Serge Aimé Coulibaly généreux

Nous n’avons pas devant nous un artiste qui se regarde être artiste, qui s’auto-contemple interminablement en nous partageant – par une impitoyable logorrhée – ses doutes et ses petits états d’âme du jour. Contrairement à Babel 7.16 de Sidi Larbi Cherkaoui ou à la récente Fiesta d’Israel Galván, Serge Aimé Coulibaly inscrit sa réflexion dans ce que son art porte de plus haut, de plus authentique. Il ne prive pas les spectateurs de son savoir-faire ; il fait de ce dernier le creuset d’une parole poétique et politique, militante et contemplative – à l’image de Fela Kuti.

Six danseurs sur scène, bientôt rejoint par un septième, Serge Aimé Coulibaly lui-même, en maître de cérémonie, tantôt figure de Fela Kuti, tantôt leader et marionnettiste, exerçant un terrible contrôle sur ceux qui l’entourent : sa présence ambiguë est portée par la dominante du noir et du blanc, qui inscrit l’Afrique dans un univers en demi-teinte. Les six excellents danseurs semblent souffrir, marqués chacun par une tache de naissance – qui au cou, qui à la bouche, qui au front… Ils ont à fleur de leur peau une détermination, celle d’une ethnie ou d’une croyance, symbolisée par une couleur primaire : jaune, rouge ou bleu.

Une figure ambiguë : Fela Kuti ou dictateur ?

Aucun d’eux ne sourit ; tous sont secoués de spasmes, de tremblements, de gestes éperdus, imitant tantôt la prière, tantôt un désir de liberté. Serge Aimé Coulibaly agit en dictateur qu’en Fela Kuti, un sourire constant aux lèvres devant la misère d’être brisés, en attente d’une libération, dans ce lieu au canapé usé, qui rappelle le « Shrine », cette boîte de nuit-temple que le fondateur de l’afrobeat avait fréquentait, où il priait avec ses spectateurs, en même temps qu’il jouait pour eux.

La fin du premier acte est marquée par la capacité des six artistes de danser enfin ensemble, de se rejoindre en un même mouvement, un même combat. Serge Aimé Coulibaly en perd son sourire ; la révolte semble l’emporte. Reste à savoir dans quel sens…

Une révolution… pour quoi ?

Tel est l’enjeu de la seconde partie, qui débute après un bref changement de décor – l’ajout de nombreuses chaises noires sur l’ensemble de la scène. Tandis que les slogans s’affichent sur les parois – « War is a purification rite », « United divided Africa », « all that glitters is not gold »… –, la musique se fait plus contemporaine, Yvan Talbot élaborant tout un travail de réactualisation à partir de la musique de Fela Kuti. Il se l’approprie, comme un héritage.

L’enjeu se dessine : quel héritage porte une révolution ? Le mouvement de foule a ses facilités ; l’inscription d’une liberté dans le corps politique est une autre affaire. Nous voici à un lendemain de fête, ou à une fin de soirée : une gogo danseuse se trémousse sous les néons, la cigarette aux lèvres, tandis qu’une chanteuse s’essaie au jazz, sous le regard lubrique d’un cowboy attardé qui lui crache sa fumée au visage.

« Decadence can be en end in itself » est-il projeté, tandis que Serge Aimé Coulibaly – au visage déchiré par le noir et blanc ancestral – se lance dans une tirade au micro qui relève autant de la fureur que du désappointement : « Nous avons peur de nous battre », répète-t-il, en un vaste aveu d’échec. Comme si le combat ne menait jamais à une libération véritable et pérenne.

Unification espérée

Serge Aimé Coulibaly trace alors sur le sol une figure avec de la poudre blanche, avant d’en jeter sur chacun des corps des danseurs. Les taches de couleurs, qui divisaient les hommes, sont symboliquement recouvertes de blanc, couleur dont Fela Kuti recouvrait son visage : l’unification peut advenir.

Mais le metteur en scène et chorégraphe, malin, préfère achever son spectacle, sans donner de réponse. Les trois femmes sont hissées sur une épaule des trois hommes, entamant un enchaînement de petits gestes qui ne sont pas sans rappeler Pina Bausch : sont tour à tour voilés les yeux, les oreilles, la bouche… ceux qui ne préfèrent pas voir, ceux qui ne veulent pas entendre, ceux qui n’osent pas parler… Une lente procession commence, au milieu de nous, public, concerné comme tout un chacun.

Car nous avons toujours besoin d’un poète pour le dire, l’exprimer, le danser, l’actualiser.

Pierre GELIN-MONASTIER

 



DISTRIBUTION

Chorégraphie : Serge Aimé Coulibaly

Musique : Yvan Talbot

Avec : Marion Alzieu, Serge Aimé Coulibaly, Ida Faho, Antonia Naouele, Adonis Nebié, Sayouba Sigué, Ahmed Soura

Dramaturgie : Sara Vanderieck

Scénographie et costumes : Catherine Cosme

Lumière : Hermann Coulibaly

Vidéo : Ève Martin

Son : Sam Serruys

Assistant à la chorégraphie : Sayouba Sigué

Crédits de toutes les photographies : Christophe Raynaud de Lage

Informations pratiques
Public : à partir de 14 ans
Durée : 1h30 (entracte compris)
Diffusion : Frans Brood Productions



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Tournée

Spectacle créé le 15 février 2017 aux Halles de Schaerbeek (Bruxelles).

  • les 8 et 9 août 2017, Theaterfestival Boulevard, Bois-le-Duc (Pays-Bas)
  • les 11 et 12 août, Tanz im August, Berlin
  • du 17 au 19 août, Internationales Sommerfestival Kampnagel, Hambourg
  • le 27 septembre, Les Francophonies en Limousin, Limoges
  • les 3 et 4 octobre, Vooruit Arts Centre, Gand (Belgique)
  • les 6 et 7 octobre, Torinodanza Festival, Turin
  • le 10 octobre, Tandem Douai Arras Scène nationale, Douai
  • le 15 octobre, One dance week Festival, Plovdiv (Bulgarie)
  • le 18 octobre, Cultuurcentrum Brugge, Bruges
  • le 21 octobre, Stadsschouwburg – Utrecht
  • du 25 au 27 octobre, Onassis Cultural Centre, Athènes
  • le 13 janvier 2018, La Filature Scène nationale, Mulhouse
  • du 16 au 19 janvier, Le Tarmac, Paris
  • le 20 janvier, La Ferme du Buisson Scène nationale de Marne-la-Vallée, Noisiel
  • le 3 février, Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper
  • du 6 au 8 février, La Coursive Scène nationale, La Rochelle
  • le 10 février, Le Volcan Scène nationale, Le Havre
  • le 15 février, Le Manège Scène nationale, Maubeuge
  • le 24 février, Stadsschouwburg, Groningue (Pays-Bas)
  • le 28 février, Zuiderstrand Theater, La Haye
  • les 7 et 8 mars, Théâtre de Namur (Belgique)
  • le 10 mars, Rotterdamse Schouwburg, Rotterdam
  • du 13 au 15 mars, La Rose des Vents, Scène nationale, Villeneuve-d’Ascq
  • le 16 mars, Stuk Kunstencentrum, Louvain (Belgique)
  • le 20 mars, L’Apostrophe Scène nationale Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
  • le 23 mars, Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
  • les 6 et 7 avril, Teatro Central, Séville
  • le 11 avril, Teatro Alhambra, Grenade
  • les 17 et 18 avril, Pôle Sud CDCN, Strasbourg
  • les 12 et 13 juin, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg



 

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