La grande guerre postpatriotique contre le méchant rhume !

La grande guerre postpatriotique contre le méchant rhume !
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Où notre chroniqueur en exil, installé bien au chaud dans un monde parallèle mais voisin, rapporte la conversation du gentil petit couple de quadragénaires que sa fantaisie imbécile se permet d’imaginer. La fin est tragique.

Restez chez vous

— Nous ne sommes pas assez engagés, tu vois.

— Tu trouves ? Pourtant, nous adhérons à tout ce que l’époque propose et elle propose à jet continu. D’ailleurs, il n’y a pas un spectacle décolonial néoféministe salafo-elgébétéplus-plus que nous ne soutenions pas !

— Même si hélas, nous ne pouvons pas les voir tous puisque grâce aux lumières évanescentes et au progrès progressisant de la sainte subvention culturelle francintérisée il y en a absolument partout, dans tous les théâtres grands-pantruchienss répandus à travers la Francilie. Je me dis quand même, quand je nous regarde avec objectivité, que nous sommes des gens vachement biennes.

— C’est vrai, vachement très biennes, même, c’est vrai.

— Mais je veux dire que nous devrions en plus nous engager dans toutes les choses auxquelles personne n’avait encore pensé ; dans toutes les causes que les plus engagés artistes, loués soient-ils, n’ont pas encore identifiées, les labellisant de leur empreinte citoyenne afin, le cœur battant, de nous vasculariser* le cortex dans un bain moussant d’irrigations révolutionnaires-conformistes !

— Mais à quoi penses-tu ?

— Oh, j’aurais eu encore un peu honte de le dire il y a quelques temps, mais je crois vraiment que le président Tarton montre l’exemple ; et le bon !

— Tarton ? Notre libéral-socialiste ? Que nous n’avons élu que pour éviter le retour des heures les plus sombres, parodie de l’ancien fascisme ?

— Oui, oui, je me souviens, mais qui, avant lui, avait eu l’idée de se lancer ainsi dans une guerre ouverte contre le méchant rhume et la libre circulation planétaire des virus de la mort ?

— C’est vrai. Mais il a un peu pris l’air du temps que chantaient les médias du monde entier !

— C’est vrai, mais quel virtuose, tout de même, quel virtuose !

— Tout à fait, tu as raison, c’est quand tout le monde a la même partition et doit chanter le même air chacun à son tour qu’on peut déceler le vrai virtuose !

— Ah oui, et notre Tarton, ce n’est pas peu dire que dire qu’il castafiorise comme une bête !

— Pourtant le rhume existe depuis plusieurs dizaines d’années !

— Oui, je me souviens que ma grand-mère déjà…

— Oui, elle était en avance sur son temps.

— Bref, cette grande cause nationale du méchant rhume était là et personne ne la voyait !

— Si, les Allemands !

— Oui, c’est vrai, les Allemands !

— Mais nous, n’est-ce pas que nous sommes presque allemands ?

— En tout cas, nous sommes en couple.

— Mais nous avons gardé notre nom de jeune fille, c’est plus moderne. Il y a soixante-dix ou quatre-vingts ans, on aurait dû prendre le nom de notre mari.

— Reich, c’est vrai que ça fait allemand. C’est vrai, on a progressé.

— Même s’ils nous appellent toujours Frankreich !

— Ce sont de petits plaisantins, nos potes über alles. Mais tout de même, cette histoire de grande guerre contre le méchant rhume, il fallait y penser ! Il y avait des virus et on abandonnait ça aux médecins, lâchement !

— Oui, comme disait Clemenceau, le virus est une chose trop importante pour être laissée aux médecins ! En plus, ils sont toujours à se plaindre de ne pas être assez nombreux, pas assez de ceci, pas assez de cela ! Il leur faudrait des ventilateurs dans des services de réanimation ! Et puis quoi encore ?

— Fonctionnaires, oui ! Fainéants ! Payés à rien foutre ! Comme si on ne vous avait pas assez applaudi pendant la première mi-temps !

— Je me demande ce que les artistes attendent pour s’approprier toute la virologie mondiale !

— En même temps, je crois que cette histoire de couvre-feu ne les aide pas tellement.

— J’imagine une comédie musicale légère sur le thème Moi, Machine Trucmuche, 11 ans, transsexuelle colonisée, victime d’islamophobie patriarcale systémique, et en plus super-enrhumée que c’est pour ça que je chante comme un bidet qui glougloute.

Oui, ça pourrait avoir une dérogation, ça.

— Oui, un peu comme jadis le théâtre aux armées !

— Exactement ! Nous sommes tous des résistants, des rebelles, des moujahidins en guerre contre le Big Gros Rhum.

— Oui, ça pourrait être obligatoire, comme spectacle.

— Et diffusé sur toutes les chaînes publiques !

— Et sur les privées qui soutiennent le président Tarton !

— Avec Cyril Onani, qui est notre Platon républicain !

— Il faudrait quand même penser à lui filer une chaire de sociologie sur Fange Inter !

— C’est vrai que Fange Inter, c’est un peu notre Panthéon à nous.

— Oui, il y a Guimauve Meurisse, toujours prêt à balancer aux chiens des pauvres gens dont il tronque les propos pour les rendre ridicules !

— Oh, oui, lui, c’est notre héros. Du genre qui attend que l’adversaire ait été mis au sol par d’autres pour lui latter la gueule à mort.

— Oui, c’est vraiment l’intellectuel de notre temps ! Et il est beau, en plus !

— Et intelligent !

— C’est sûr. On pourrait prendre un verre, non ?

— On a le droit, tu crois ?

— Je ne sais pas, j’ai envie de pisser, en tout cas.

— C’est le sixième café fermé que nous croisons.

— C’est pour cela que la mairie de Pantruche a fait installer préventivement des urinoirs végétalisés de rue, et il y en a pour dames maintenant !

— C’est trop bien, ça. Quelle antipissation. Même si c’est un peu sexiste.

— Nous vivons quand même dans un monde merveilleux.

— Le couvre-feu, c’est merveilleux.

— Le couvre-feu, c’est la liberté réinventée !

— Voilà, comme l’amour chez Rimbaud ! Le couvre-feu, c’est rimbaldien !

— Guimauve Meurisse, Arthur Rimbaud, même Panthéon sur Fange Inter !

— Je crois que si ça ne suffit pas, ce salvifique couvre-feu contre le méchant rhume, le président Tarton devra faire donner les blindés à Noël !

— Oh oui, j’imagine d’ici ces blindés de Noël, rutilants, décorés, avec des jolies boules multicolores et des guirlandes électriques !

— Ils descendront triomphalement (triomphe allemand ?) les Champs-Élysées devant le Chef de Les Tas ébaubi (le président Tarton portera un costume vert Hubo Goce de Père Noël Laïc de la Nation refaite ensemble, séparatistes inclus), les obsolètes Sénat et Palais Boulon, sur le modèle de la psychiatrie française, auront été transformés en friches artistique de jour, notre cher Jacques Alangui (dit Guili-Guili) sera nommé Ministre de la Gay-Pride aux Armées Solidaires, il recyclera tous les artistes et cafetiers au chômage dans un Service du Tourisme Obligatoire chargé d’accueillir les migrants chinois quittant la République Populaire de Chine pour s’installer chez nous, parce que c’est notre projet !

— Ils sont encore loin, ces urinoirs ?

— Mon GPS dit quatre kilomètres.

— Je ne sais pas si je tiendrai.

— Et ce café là est encore fermé. On va prendre le métropolitain.

— Pourquoi ce policier sort-il son arme en s’approchant de nous !

— Nom d’une pipe égalitaire, je crois que nous n’avons pas vu le temps passer, tout occupé que nous étions par cette recherche d’une sanisette perdue.

— Il est 21 h 18 !

On entend deux coups de feu.

Fin de l’enregistrement.

Pascal ADAM

* Terme employé par le ministère de la Culture dans un document officiel récent : « Centre dramatique national itinérant, la Comédie Poitou-Charentes mobilisera toutes les ressources de son cœur battant pour “vasculariser son territoire”, et à partir à la rencontre des publics les plus divers. » (Communiqué de presse sur la nomination de Pascale Daniel-Lacombe à la direction de la Comédie Poitou-Charentes, le 25 septembre 2020)

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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.



 

 

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