« Le potentiel érotique de ma femme » : Foenkinos dominé par une troupe hors-pair

« Le potentiel érotique de ma femme » : Foenkinos dominé par une troupe hors-pair
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Après De quoi parlez-vous ? et La vie bien qu’elle soit courte, la Compagnie C’est-pas-du-jeu présente pour la première fois un roman de David Foenkinos adapté au théâtre. Sur un texte assez faible, Sophie Accard signe une mise en scène remarquable, renforcée par une distribution en tous points formidable.

Une plume ventilée

Le potentiel érotique de ma femme, de David Foenkinos, MES Sophie Accard (crédits : Fabienne Rappeneau)À mesure que je découvre son œuvre, David Foenkinos me semble de plus en plus appartenir à cette catégorie de romanciers qui se saisit d’un sujet pour ne le développer qu’en surface, comme s’il fuyait, ainsi que j’ai pu l’écrire dans ma critique de son dernier roman, Vers la beauté, toute possibilité de profondeur, voire – ce qui est plus grave – tout silence, cette part de mystère qui entrave jusqu’à l’auteur lui-même, désormais incapable de circonscrire ses personnages à la compréhension qu’il en a. Non qu’il soit dépourvu de qualités stylistes, évidemment, mais davantage de densité littéraire.

Un de mes comparses participant à l’aventure de la revue Nunc m’a rappelé amicalement que je ne pouvais juger de son œuvre tant que je n’ai pas lu La Délicatesse et Charlotte. Soit. Nous nous en tiendrons, par souci d’honnêteté, à ce que j’ai lu et entendu. Dans Vers la beauté, David Foenkinos a de cette dernière une perception sentimentale, voire sexuelle ; dans Le potentiel érotique de ma femme, il privilégie la cinglante ironie. Dans les deux cas, l’approche psychologique est l’alpha et l’oméga des paroles et des actes, de la liberté et de la volonté de ses protagonistes.

Sa plume dans le vent devient, dans Le potentiel érotique de ma femme, celle d’un écrivain truculent, appartenant davantage au monde structuré et solide d’un Frédéric Beigbeder ou d’un Arnon Grunberg dans L’Homme sans maladie, qu’à un univers foisonnant et mouvant, insaisissable, ainsi qu’en témoigne son style incisif, concis, serré comme le sont ses personnages engoncés dans leur humanité à la névrose triomphante.

David Foenkinos ne déploie une tendresse pour ses personnages qu’en effleurant leurs aspects caricaturaux, aux luttes nécrosées. On rira peut-être de la situation ; je me lasse de la constater partout dans ce monde ambiant, des hyper-journalistes décrits non sans mordant par Pascal Adam aux émissions de télé-réalité et autres plateaux télévisés à sensation.

Totale réussite de la mise en scène

Dans sa note d’intention, Sophie Accard évoque « un véritable coup de foudre pour ce roman », soulignant « la singularité du style, l’humour de David Foenkinos et le surréalisme des situations » qui « ont immédiatement fait écho à ma propre fantaisie ». Nous pourrions discuter longuement de cet humour facile, d’un style que j’ai cru lire des dizaines de fois, de ce surréalisme contextuel dont l’absence de consistance me paraît assez flagrant, comparé aux univers d’André Breton et de Robert Desnos, ou encore à ceux de David Lynch – gentiment égratigné d’entrée de jeu – et d’Alejandro Jodorowsky.

Le potentiel érotique de ma femme, de David Foenkinos, MES Sophie Accard (crédits : Fabienne Rappeneau)Je le lui reprocherais d’autant moins que la mise en scène est une totale réussite, d’une créativité, d’une efficacité remarquables. La scénographie tient en deux décors, la vieille table familiale côté jardin et l’intérieur design d’un couple d’amis côté cour, auxquels vient se joindre un troisième, dominé par une grande vitre, qui symbolise l’intérieur du nouveau couple.

Mais je grille une étape, celle de l’histoire, rythmée par un narrateur exceptionnel de bout en bout, interprété par Léonard Prain. Hector est un jeune homme collectionnant compulsivement tous les objets qui l’attirent, des badges de campagnes électorales aux thermomètres, dans un contexte familial obsessionnel : le père est obsédé par la capillarité faciale, la mère n’existe que par les soupes qu’elle cuisine, tandis que le fils aîné ne parle qu’en dicton, de simples proverbes aux citations de grands auteurs (notamment de Charles Péguy, à la fin).

À la suite d’une tentative de suicide ratée, il se retrouve six mois en convalescence, durant lesquels il prétend voyager aux États-Unis. À son retour dans le monde, il décide de se sevrer de sa dépendance accumulatrice, se rend dans une bibliothèque pour apprendre un peu de ce pays outre-Atlantique qu’il n’a jamais visité afin de nourrir son mensonge, et rencontre Brigitte qu’il épouse. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… à ceci près que l’obsession du héros refait surface lorsqu’il voit sa jeune épouse laver les vitres, les mollets dénudés – allusion évidente au Genou de Claire d’Éric Rohmer, la subtilité en moins. Alors il recommence à collectionner, non pas des objets, mais ces moments où Brigitte monte le petit escabeau.

Une distribution parfaite

Difficile, après autant de réserves sur le texte, de ne pas prendre le temps de mentionner chacun des comédiens, ne serait-ce que pour inviter les lecteurs à devenir spectateurs de cette proposition artistique qui, après Avignon, partira en tournée.

J’ai déjà mentionné l’impressionnant Léonard Prain dans le rôle de ce narrateur qui conte autant qu’il s’inscrit invisiblement et avec aisance dans l’histoire.

Léonard Boissier joue un Hector engoncé plus vrai que nature, tandis que Benjamin Lhommas alterne des rôles irrésistibles, du frère aîné au docteur, en passant par Gérard, le frère rudimentaire et un brin mythomane de Brigitte, incarnée avec douceur par Sophie Accard elle-même. Quant à Anaïs Merienne et Jacques Dupont, ils incarnent eux aussi à merveille différents rôles, des parents monomaniaques d’Hector au couple d’amis improbable, la première par sa nymphomanie unidirectionnelle et touche à tout, le second par sa collection de cheveux en tubes.

Cette troupe complète est incontestablement à suivre… Je me réjouis d’ores et déjà des prochaines mises en scènes que Sophie Accard et sa compagnie C’est-pas-du-jeu nous proposeront.

Pierre GELIN-MONASTIER

 



  • Création : 2018
  • Durée : 1h20
  • Public : à partir de 12 ans
  • Texte : David Foenkinos, adapté par Sophie Accard et Léonard Prain
  • Mise en scène : Sophie Accard
  • Avec Sophie Accard, Léonard Boissier, Jacques Dupont, Benjamin Lhommas, Anaïs Merienne, Léonard Prain
  • Scénographie : Blandine Vieillot
  • Création lumière : Sébastien Lanoue
  • Musique : Cascadeur
  • Costumes : Atossa
  • Chorégraphie : Bolewa Sabourin
  • Diffusion : Ki M’aime me suive

Crédits de toutes les photographies : Fabienne Rappeneau 

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Tournée

– 6-28 juillet : La Luna à Avignon – tous les jours à 19h20 (relâche les dimanches)

– 28 août au 7 octobre : Théâtre 13 / Jardin à Paris

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En téléchargement

Le potentiel érotique de ma femme, de David Foenkinos, MES Sophie Accard (crédits : Fabienne Rappeneau)



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