Mémoire théâtrale : que reste-t-il d’une soirée passée au théâtre ?

Mémoire théâtrale : que reste-t-il d’une soirée passée au théâtre ?
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« Vagabondage théâtral« 

J’ai jadis tenu dans un journal de théâtre aujourd’hui disparu une petite rubrique décalquée sur le modèle des fameux « Je me souviens » de Georges Perec. À cette petite nuance près qu’il n’y était question que de théâtre, de spectacles et de leurs alentours, ça va de soi.

Un bel et joyeux exercice de mémoire, car enfin que nous reste-t-il d’une soirée passée au théâtre ? Parfois rien, c’est inquiétant mais après tout fort légitime au vu de la qualité de ce que l’on a vu, parfois juste un tout petit détail à partir duquel d’ailleurs vous pouvez éventuellement – si le désir ou la nécessité (vous devez écrire sur ledit spectacle des mois après l’avoir vu) vous y contraint – reconstituer l’ensemble de la représentation en tirant une sorte de fil rouge parfois ténu. Le détail en question peut aussi éventuellement se situer hors du plateau, dans le comportement de votre voisine, le ronflement d’un de vos collègues exténué et écroulé par terre (c’est tout ce qu’il me reste d’une soirée passée autrefois à Théâtre Ouvert, et là la reconstitution s’avère délicate)… Bref l’exercice me paraît intéressant et parfois salutaire.

Mais du coup vous risquez de voir les spectacles chargé d’une mémoire d’autres représentations, et inévitablement des éléments de comparaison vous viennent en tête. C’est quand même aussi une manière de mettre ce que vous êtes en train de voir en perspective et de ne pas rester dans la plus belle des béatitudes. Car enfin, il faut bien le reconnaître, si la mémoire des spectateurs est vide ou défaillante, celle des metteurs en scène l’est beaucoup moins. Et certains ont l’art de recycler ce qui a déjà été fait et se font passer pour des novateurs à tout crin. Le plus grave c’est que cela marche, alors pourquoi ne pas continuer ? C’est la raison pour laquelle certains ont l’art de balayer toute mémoire (et de la garder soigneusement pour eux) afin d’opérer en toute impunité. Comme en face on a affaire à des naïfs ou à des ignares, tout marche pour le mieux dans le meilleur des mondes.

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Un phénomène est emblématique de cette manière de faire : à chaque changement de direction d’une institution, le premier geste du nouveau responsable est de faire table rase du passé et de se débarrasser des archives du lieu déjà plus ou moins laissées à l’abandon, le deuxième geste consistant à refaire ou repeindre le hall d’entrée de la maison et le bar… Bref il s’agit dans tous les cas de figure de marquer son territoire, comme les chats ou les chiens… Faire table rase du passé, et oublier, oublier, il n’y a que ça de vrai.

Le problème c’est que ça se traduit de misérable manière sur les plateaux. Aller y voir de plus près permettrait peut-être d’éviter pour le spectateur professionnel ou pas de prendre des vessies pour des lanternes, et sans doute alors, le paysage théâtral avec ses vedettes changerait-il de visage. Mais c’est bien sûr là un doux rêve.

Et mieux vaut chanter avec Jeanne Moreau la petite chanson de Rezvani : « J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien… » la, la, la…

Jean-Pierre HAN

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Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, directeur de la publication et rédacteur en chef de Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. « Vagabondage théâtral » est sa chronique mensuelle pour les lecteurs de Profession Spectacle.


 

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