Ruée des Français vers les écoles de théâtre en Belgique… tout sauf « plat » !

Ruée des Français vers les écoles de théâtre en Belgique… tout sauf « plat » !
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Depuis cinq ans, les jeunes Français se ruent sur les écoles publiques de théâtre de Wallonie-Bruxelles. La langue est-elle l’unique raison ? Profession Spectacle a enquêté sur ce phénomène : ce qu’il faut savoir avant d’aller déclamer Molière au pays des Diables Rouges…

Publié le 21 septembre 2018 – Mise à jour le 16 mars 2019

Ils sont en audition ! Fin juin, on les voyait courir les salles de Wallonie-Bruxelles pour les spectacles de fin de cycle et, début septembre, ils recevaient de nouveaux candidats à l’admission. Ces Wallons, artistes et enseignants, ont peu de temps mais restent ouverts et ne s’étonnent pas de la question… Oui, il y a de plus en plus de Français parmi les candidats comédiens, metteurs en scène et auteurs. Et parmi les acteurs fraîchement sortis des écoles de théâtre belges, aussi !

Un manque d’options en France

Qu’est-ce qui fait galoper les Frenchies vers ce petit pays ? Justine l’Alsacienne est « tombée amoureuse de la Belgique, moins conventionnelle que l’Hexagone ». Titus, un Français de Rio de Janeiro risque : « Les Belges, c’est toute la rigueur des Français avec la chaleur des Brésiliens ». Chargée des relations publiques à l’INSAS et Française elle-même, Laurène Nancelle situe pour sa part Bruxelles « entre le complexe d’infériorité des Belges et le complexe de supériorité des Français ». Cet enthousiasme fait que, toutes filières d’enseignement confondues, 22 500 des 200 000 étudiants de Belgique sont des Français ; dans le théâtre, ils représentent la majorité des étrangers !

Attablées autour d’une bière dans la cour de la Maison Folie à Mons, capitale culturelle de l’Europe en 2015, Justine et Leila, étudiantes venues de Colmar et Paris, comparent : « C’est vrai pour Liège et l’INSAS. Mais à Mons, c’est moitié-moitié ». Sylvie Landuyt, directrice du domaine théâtre du conservatoire de Mons Arts2, le confirme : « Chez nous, ils sont en augmentation mais pour l’instant, 40 % sont Français ». À Bruxelles en revanche, l’INSAS compte 70 % de Français et à Liège, Nathanaël Harcq égraine : « 93 Français, 58 Belges, 2 Italiens, 3 Suisses et 1 Afghan ».

Il y a d’abord, estiment ces jeunes qui ont franchi la frontière, un manque d’options chez eux. En France, il n’y aurait pas assez de formations publiques au théâtre. En Belgique, côté wallon, on en compte cinq, uniquement de langue française. Trois font partie du Conservatoire royal de Belgique – Bruxelles, Mons et Liège – et deux sont des Instituts de l’enseignement supérieur : l’Institut national des arts de la scène à Bruxelles (INSAS) et l’Institut des arts de diffusion à Louvain-la-Neuve (IAD). Ces formations, y compris le Conservatoire royal (sous convention avec l’université pour les doctorats), sont gratuites. Elles exigent simplement un droit annuel d’inscription, le Minerval.

La dimension foncièrement politique du théâtre belge

 « Il ne faut pas hésiter à dire que le théâtre belge est courageux et politique. Ici on ose plus ! », défend Titus, récemment diplômé d’Arts2 à Mons. « On n’est pas dans un théâtre traditionnel », renchérit Sylvie Landuyt, également comédienne, auteure et metteure en scène de Elles(S). « Nos pratiques sont transversales, interdisciplinaires, ouvertes à la danse, au cinéma, à la musique, aux arts plastiques et aux marionnettes. » Tous parlent de « formes » plus que de « pièces ». Il s’agit moins alors de transmettre un texte que d’inventer un art en train de se faire, voire d’ébranler des codes.

Certains exercices-spectacles, comme Reste à savoir si on passe à l’acte ou Orbis Undis, l’Eau bouillante, créés et présentés à la Maison Folie de Mons par les étudiants de quatrième année à titre de « mémoire », en sont le reflet, avec des acteurs créateurs portés par la solidarité d’un groupe. Ce sont des projets « inter-domaines » qui associent performance, danse, méditation, musique live et « images dans le milieu ».

Thibault, un étudiant d’Arts2 en musique acousmatique, y était associé. Venu des Alpes-de-Haute-Provence, cet ancien des beaux-arts qui se conçoit comme musicien s’est lui aussi emparé de cette transversalité. En tant que « petite forme », Reste à savoir si on passe à l’acte a eu la chance d’être présenté au festival d’Avignon. Depuis 2015 en effet, le domaine Théâtre d’ARTS2 à Mons y emmène chaque année un groupe d’étudiants fraîchement ou quasi diplômés. Avec des lectures, douze jeunes dont cinq Français ont ainsi pu se frotter au public des Doms, un incroyable théâtre adossé au Palais des papes, émanation de la région Wallonie-Bruxelles, les éclats de voix du jeune théâtre belge en Avignon.

Un théâtre qui se cherche jusqu’à l’insécurité

Cette « patte » contemporaine si typiquement belge, c’est également une volonté de création collective et « une autre relation au texte, avec la question des écritures de plateaux », explique Nathanaël Harcq, directeur du domaine théâtre au conservatoire de Liège. L’École supérieure d’acteurs est cet incubateur qui donne naissance à un nouveau théâtre. Il évoque Le Signal du Promeneur, du Raoul Collectif, une création de 2012 née « sous une petite forme » dans le cadre des cartes blanches données aux étudiants en 2008. Depuis, les Raoul, ex-étudiants de l’ESACT, ont fait leur chemin avec Rumeur et Petit Jour, créé en Avignon dans le IN.

Selon Nathanaël Harcq, Le Chagrin des Ogres fut un premier marqueur dans la construction d’un théâtre belge hyper-sensoriel qui cherche et invente, n’hésitant pas à solliciter le cinéma et la musique. Son metteur en scène, Fabrice Murgia, formé à Liège, est maintenant le directeur du Théâtre national de Belgique. Nathanaël Harcq évoque aussi le travail récent de Justine Lequette, une comédienne française originaire de Cambrai : huit ans d’études de droit et la longue tradition politique du conservatoire de Liège.

Son spectacle J’abandonne une partie de moi que j’adapte reprend Chronique d’un Été, le documentaire-vérité du sociologue Edgar Morin et du réalisateur Jean Rouch. Ludique et décomplexé, il reprend à son compte les questions toujours d’actualité posées en 1960 : comment vis-tu ? Est-ce que vous êtes heureux ? Jamais pédant ou ennuyeux, il pose la question profonde du sens que chacun donne à sa vie. Il interroge aussi la fonction politique du théâtre. « Sous le porche de notre établissement, il y a trois portraits, raconte Nathanaël Harcq. Et sous celui de Brecht, cette citation : “Vous êtes venus faire du théâtre. Et maintenant, pourquoi faire ?” ».

Une formation belge qui cultive le doute, y compris du côté des enseignants, c’est ce qui avait attiré Sophie, venue de la Drôme. Elle est allée chercher cette « insécurité » à l’INSAS. « J’y ai tout appris, le travail collectif, comment faire avec ce qu’il y a, survivre dans le monde du théâtre, se prendre des murs. » Si elle a bifurqué de la mise en scène vers l’éclairage et la scénographie, c’est que cette formation permet aussi d’aller vers la technique. « Tout dépend du parcours. » Elle travaille en France et en Belgique : « J’y retourne volontiers pour faire des projets, mais pas pour y vivre. Tout le monde se connaît. Ça finit par être étouffant ».

Partir ou rester ?

Passées les années de tourbillon, surgit finalement la question : partir ou rester ? « La plupart restent », constate Laurène Nancelle de l’INSAS. « Il y a un risque énorme à rentrer en France, le risque de perdre son réseau », estime Sylvie Landuyt. Thibault Wenger jongle avec cette question. Diplômé d’interprétation en France via Strasbourg et de mise en scène en Belgique via l’INSAS, ce Suisse était fasciné par le travail du Tg STAN : Tg pour Toneelspelersgezlhap, compagnie d’acteurs, et STAN pour « Stop Thinking about Names » (« arrêtez de penser aux noms »). Soit un collectif d’acteurs… anversois donc flamands, précurseurs du renouveau belge dans les années 90.

Revenu aux textes de répertoire – « à la base, il y a un mystère qui est le texte » –, Thibaut Wenger intervenait à Mons sur Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès avec les acteurs de quatrième année. Pour coproduire les spectacles de Premiers Actes, sa compagnie, et bénéficier des différentes subventions, il a monté deux structures juridiques, l’une en France et l’autre en Belgique. « C’est, dit-il, un grand écart compliqué à gérer, avec des problèmes de contrats et de double imposition ».

L’Europe du théâtre n’est pas tout à fait au rendez-vous et les étudiants français du Conservatoire royal regrettent l’absence de convention avec la France. Signe que le continent européen a encore quelques progrès à faire…

Kakie ROUBAUD

 



Photographie de Une – Reste à savoir d’Émilie Franco (DR)



 

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