Un bel Août, sans nul doute !

Un bel Août, sans nul doute !
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J’avais commencé, pour cette dernière chronique avant la pause augustine, un papier savant sur la décroissance. Allons bon ! Était-ce vraiment le bon moment pour vous angoisser ? Nous reverrons tout cela à la rentrée. Aujourd’hui, deux brèves d’actualité feront bien mieux l’affaire. Je vous donne rendez-vous à la rentrée !

Actualités de l’économie sociale

Les commissions sur les transferts d’argent vers l’Afrique ont été à l’origine d’incidents malheureux visant une élue de Quevilly. Il est un fait que les prélèvements sur ces opérations, dont l’opérateur le plus connu est Western Union, sont importants, et se font d’autant plus sentir que le montant unitaire des envois est en général assez faible.

Mais l’on ne peut avoir à la fois tout et son contraire, même quand on est l’État, malgré des litanies de « en même temps ». Lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent sale, le financement du terrorisme et les paradis fiscaux, tout cela est fort légitime, mais cela a un coût. Un coût en temps et en taxes, en procédures, en paperasses, en contrôles et en tracasseries. Tous ceux qui ont un jour perçu des revenus en provenance d’un pays exotique, par exemple des droits d’auteur, même si ce ne fut que trois clopinettes, savent bien de quoi je veux parler.

Alors si Western Union ou Paypal sont chers, très chers, ce n’est pas seulement parce que ce sont des requins assoiffés de pognon (ce qu’ils sont aussi, j’en conviens aisément). C’est parce que l’État leur impose sans cesse de nouvelles charges qui font plus qu’annihiler les progrès de productivité apportés par le numérique. Aussi je pense que la députée de Quevilly, ainsi que ses détracteurs, se trompent de cible.

Il existait, il existe encore, un système traditionnel, largement informel, permettant des transferts d’argent entre les immigrés salariés dans les pays du Nord et leurs familles restées dans le Sud : c’est la « hawala », qui fonctionne sans envoi d’argent, ni physique ni électronique, simplement par échanges de dettes entre intermédiaires (les hawaladers, parfois nommés hawaladars, je crois que les deux versions se valent). Tout y repose sur la confiance et la parole donnée ; c’est dire que ce système ne peut fonctionner qu’à l’intérieur de communautés, ethniques en l’occurrence, où la loi du clan s’impose à tous.

Pour que la hawala fonctionne, il faut que le stock de dette de chaque opérateur soit régulièrement ramené à zéro, autrement dit il faut que des mouvements du Sud vers le Nord viennent équilibrer ceux qui se font dans l’autre sens. Les ramifications peuvent être très compliquées, mais un exemple simple permet d’en comprendre le principe. Soient deux frères, appelons-les Mabrouk, qui fricotent dans la voiture d’occasion. L’un est installé à Naples, le second à Zanzibar.

Le Napolitain collecte chaque mois les offrandes que des immigrés tanzaniens de la région, dockers clandestins ou revendeurs d’amulettes, veulent envoyer à leurs familles. Avec cet argent, il achète des voitures. Celles-ci sont chargées sur un bateau qui les emmène vers l’île de Mafia (non, je n’invente rien !). L’autre frère Mabrouk les y réceptionne et les revend, puis redistribue la recette aux familles qui attendent leur dû. Il n’y a eu aucune intervention du système bancaire, et pour peu que quelques douaniers soient dans la combine, aucun prélèvement fiscal non plus.

Rassurez-vous, je ne vais pas jusqu’à faire l’éloge et la promotion de la hawala, ni affirmer qu’on y retrouve à l’état natif les vertus bienfaisantes et solidaires de notre Économie Sociale. Mais avouez qu’on aurait pu chercher le moyen de la faire évoluer, de la faire sortir de sa gangue mafieuse et de son enfermement ethnique, et laisser les diasporas s’organiser pour en conserver l’esprit d’entraide dans le respect des lois internationales. Au lieu de cela, les autorités tant politiques que financières ont toujours et partout pourchassé, dénoncé et réprimé la hawala, qui a notamment été accusée de financer les attentats terroristes. Résultat : on a laissé Western Union et sa logique de prédateur capitaliste s’installer en monopole de fait.

Eh oui, il faut savoir ce que l’on veut, une chose ou son contraire, mais pas les deux en même temps.

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Nous venons d’apprendre la nomination d’une secrétaire d’État à Économie Sociale, pour l’occasion enrichie non seulement de l’adjectif « solidaire », mais aussi, nouveauté, par celui de « responsable ».

Les persifleurs en déduiront qu’il pouvait donc arriver, jusqu’à aujourd’hui, que l’Économie Sociale soit irresponsable. Naturellement, nous n’aurons pas cette pensée impertinente.

Ce nouveau secrétariat d’État est rattaché à Bercy. Cela change certes du premier gouvernement Macron, où l’Économie Sociale était placée dans l’escarcelle de Nicolas Hulot. Mais à l’époque la « transition écologique » était « solidaire », ce qu’elle n’est plus aujourd’hui. Faut-il vraiment chercher un sens à ces appellations ?

Depuis, nous avons eu la sortie théâtrale de Monsieur Hulot, qui manifestement n’avait jamais trop compris ce qu’est l’Économie Sociale, et la nomination d’un haut commissaire, issu du milieu des « entrepreneurs sociaux » et qui nous fit le cadeau encombrant du « French Impact » que personne n’eut l’idée salvatrice de remettre en vente dès le lendemain sur Ebay.

Les Gilets Jaunes, la réforme des retraites, les grèves de la SNCF, et le coronavirus pour couronner le tout, n’ont guère permis à l’Économie Sociale de se faire remarquer, et tout laissait penser qu’il en serait de même pour « les derniers 600 jours » du quinquennat. D’où une certaine surprise face à ce retour d’un secrétariat d’État dédié. D’autant plus que le CV de la nominée avait de quoi intriguer.

Les premiers commentateurs la situaient « à l’aile droite de la majorité ». En fouillant davantage son passé, on découvre des engagements fortement teintés de libéralisme pur et dur. Elle a fréquenté l’ESSEC et semble avoir été beaucoup inspirée par le social business à l’américaine. Elle fut par ailleurs pendant une brève période la compagne de Manuel Valls. En soi, cela ne veut rien dire ; en fait, lequel des deux comptait le plus sur l’autre pour s’élever ou se rétablir ?

Personnalité ambitieuse, aimant volontiers renverser les tables, elle ne semblait cocher aucune des cases patiemment établies par ses prédécesseurs aux mêmes fonctions, ou s’en approchant, depuis près de quarante années. Elle semble encore plus « à droite » que ce haut commissaire dont le bilan n’est pas des plus étincelants. On commençait à en jaser dans les chaumières.

Et puis, patatras. Coup sur coup, le président de « ESS France » (l’ancien CEGES, ainsi renommé par la loi Hamon de 2014), puis le président de « Coop FR » (l’ancien Groupement national de la coopération) qui sont par ailleurs numéros deux et un du Crédit Coopératif et plutôt connus pour leurs sympathies à gauche, voire très à gauche, lèvent le lièvre. Ils en avaient assez, plus qu’assez, de leur haut commissaire et de ses amusements pour noces et banquets. Ils veulent participer à la reconstruction économique, la vraie, et ne plus être cantonnés dans un rôle de sympathiques auxiliaires du social. C’est eux qui ont exigé le rattachement à Bercy.

Dans leurs communiqués, tout politiques, chaque mot est pesé au trébuchet. Bien sûr qu’ils sont responsables. Mais, avertissent-ils, on aurait grand tort de vouloir réduite l’Économie Sociale à la « responsabilité sociale des entreprises » à la mode de l’ESSEC. Ceci est fermement rappelé mais avec une infinie courtoisie. En fait, on sent qu’ils ont adopté leur nouvelle secrétaire d’État et qu’ils sont prêts à monter au front avec elle. Joli retournement de situation !

Philippe KAMINSKI
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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.



 

 

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