« Vive la vie » : l’impressionnante fresque valaisanne qui allie théâtre, musique et danse

« Vive la vie » : l’impressionnante fresque valaisanne qui allie théâtre, musique et danse
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Vive la vie est le quatrième volet de l’impressionnante pentalogie intitulée Les Âges de Vie. Nous avions eu l’occasion de découvrir le beau travail d’André Pignat et de Géraldine Lonfat, en 2017, lors de la présentation de L’Oubli des Anges au studio Hébertot. La compagnie suisse nous a de nouveau bluffés avec sa superbe fresque sur le XXe siècle, de la révolution industrielle à nos jours.

Publié le 13/09/2018 – Actualisé le 27/01/2020

« Qui te dit que tes efforts ne seront pas noyés par tes enfants ? »

Vive la vie ou comment faire mémoire de cette histoire, souvent occultée, qui a conduit une contrée valaisanne – et plus généralement la civilisation occidentale – à osciller entre tradition et modernité, lien ancestral à la terre et progrès industriel contemporain.

Émerveillement ou asservissement ?

Au commencement était un monde paysan, laborieux, qui se laisse progressivement séduire par les avancées technologiques modernes – une simple ampoule – et qui s’autorise peu à peu à rêver à une économie de temps, de pénibilité… L’unité originelle laisse place à une ambivalence qui traverse le spectacle de part en part : d’une part l’émerveillement que suscitent le progrès et une rationalisation du temps, d’autre part un asservissement au travail pour obtenir de plus en plus de gadgets.

La Compagnie Interface nous offre, comme à son habitude, une œuvre millimétrée qui défie les codes artistiques : théâtre, musique et danse communient au même souffle, à une énergie commune, puissante, envahissante. De bout en bout résonne la musique composée par André Pignat et Johana Rittiner-Sermier, qui n’est pas sans rappeler certains accents des Carmina Burana de Carl Orff.

Nous nous trouvons dans un village valaisan, au cœur d’une famille où règne un père méfiant contre toute forme de modernité. Il se laisse progressivement gagner par les arguments de son fils, qui désire l’installation de l’électricité dans leur contrée isolée. Une ampoule, seule, au centre du plateau, s’allume, s’éteint, se rallume, s’éteint à nouveau, sous la pression de l’homme fasciné. C’est le début de toutes les diffractions intrafamiliales ; c’est le commencement du tourbillon musical et dansé, sous la houlette de la chorégraphe Géraldine Lonfat.

Ampoule originelle

Un homme entame une danse sur de longues échasses, une sphère roulant au creux de ses mains, virevoltant autour de l’être humain, si petit, à ses pieds. La symbolique n’est évidemment pas sans rappeler l’arbre qui tient dans ses ramifications le fruit du progrès, un fruit tentateur que vient contrebalancer le chant du Magnificat, interprété sur scène par la cantatrice Johana Rittiner-Sermier (en alternance avec Florence Alayrac ou Fabrice Di Falco). Nul manichéisme qui voudrait que la modernité soit « le » bien ou « le » mal. L’un et l’autre sont comme contenus dans cette décision de s’ouvrir au monde contemporain.

La sphère du progrès tourne autour de l’homme et de l’ampoule, manifestant une révolution économique aussi bien que copernicienne. Plus l’homme danse, plus l’axe de rotation devient incohérent, obéissant à une inspiration folle, irrationnelle.

Le fils gagne l’usine, rejoint le clan des travailleurs, aux gestes saccadés – Les Temps modernes de Charlie Chaplin trouvent un formidable écho dans la chorégraphie qui enchaîne les ouvriers. C’est l’heure de l’engagement communiste, le temps de l’encombrement industriel. Des objets viennent ainsi perturber les mouvements répétés : ils entravent le mouvement vital des corps, la communion entre les hommes… Ces objets individuels séparent les hommes et créent une nouvelle distorsion dans la communauté.

Mouvement incessant des corps et des mots

Il n’y a aucun silence, aucune respiration : la musique étreint les fondations du monde, de toute communauté, de chaque être humain. La chanteuse incarne tout ensemble un chœur tragique, le fatum, une espèce de mouvement permanent, l’âme du monde. La vitalité et quelque chose de morbide – comme un râle, une transe – coexistent. L’absence de répit, de ponctuation, participe du mouvement incessant, que les hommes, les générations successives, ne peuvent retenir.

« Libertimus », « legitimus »… Quand les mots ne sont pas repris stricto sensu d’une pièce connue – le Magnificat essentiellement, chant d’action de grâce par excellence pour les chrétiens en ce qu’il fait mémoire de l’action de Dieu dans le quotidien de la Vierge Marie, et par conséquent dans celui de toute l’humanité, puisqu’elle est sa mère et la mère de tout homme –, ils semblent comme agencés par hasard, formant un magma apparemment incohérent. C’est qu’André Pignat et sa compagnie s’attachent aussi bien à la sonorité qu’au sens. S’il n’y a peut-être pas de phrases construites, si cela ressemble parfois à du latin de cuisine, les termes qui frappent nos oreilles contiennent néanmoins leur poids de signification.

Désirs vitaux d’une humanité cyclique

Au fil de la pièce, des dialogues écrits par l’acteur Thomas Laubacher, des danses et des chants, les tenues évoluent légèrement, seule trace d’une humanité en mutation. C’est que l’homme est le même, hier, aujourd’hui et demain – du moins son élan vital, qu’il aille de la terre à l’usine ou, à la fin de la pièce, de l’usine à la terre. Nous retrouvons des enchaînements chorégraphiques similaires au début du spectacle, en un éternel retour. Nous avons beau changer de vêtements, nos corps et nos mouvements vitaux restent les mêmes.

Au crépuscule du spectacle, une prise de parole trop narrative et didactique rappelle notre pouvoir prométhéen. La morale est simple, à l’image du titre : nous disposons tous d’un pouvoir qui peut faire de nous, suivant la manière dont nous en usons, un tyran ou un homme juste. Bon. Soit.

Cet ultime ajout, bien inutile selon nous, ne retire rien à l’impressionnante proposition artistique qui nous est faite, qui nous entraîne bien loin, dans le temps et à l’intérieur de nous. Il nous faudrait encore parler du travail sur la lumière, excellent de bout en bout, jusqu’à cette ampoule qui demeure seule allumée, intime et triste, sombre et chaleureuse, achevant subtilement cette formidable célébration du cycle de la vie humaine.

Pierre GELIN-MONASTIER et Pauline ANGOT

 



  • Création : 28 septembre 2017 à l’ESR de Sion en Valais (Suisse)
  • Durée : 1h
  • Public : à partir de 14 ans
  • Mise en scène : André Pignat, Géraldine Lonfat
  • Avec Fernando Carrillo, Sara Dotta, Remi Fardel, Nathan Itèma, Marie Lanfroy, Thomas Laubacher, Géraldine Lonfat, Paul Patin, Daphné Rhea Pellissier, Johanna Rittiner-Sermier (en alternance avec Florence Alayrac et Fabrice Di Falco), Joseph Viatte
  • Musique originale : André Pignat, Johanna Rittiner-Sermier
  • Chorégraphie : Géraldine Lonfat
  • Texte : Thomas Laubacher
  • Lumière : Jérôme Hugon
  • Costumes : Kim Salah
  • Compagnie : Interface (Suisse)
  • Diffusion : LNC – Mathilde Mottier : +33 6 81 43 14 66 et mathildemottier@gmail.com

Crédits photographies : DR

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OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Spectacle vu lors du Off d’Avignon 2018 au théâtre du Balcon.

– Du 18 janvier au 31 mars 2020 : théâtre de la Gaîté-Montparnasse à Paris
– 1er février 2020 : Atrium de Chaville
– 31 mars 2020 : théâtre de Roanne
– 14 avril 2020 : Youth Theater festival à Sharm El Sheikh (Égypte)
– 24-25 avril : théâtre Pierre-Fresnay à Ermont

Être tenu informé des dates : tournée.

Cie Interface Pignat Lonfat - Vive la vie 2



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