Affaire Polanski – Entre morale, art et politique !

Affaire Polanski – Entre morale, art et politique !
Publicité

Le 18 janvier, Alain Terzian annonce le nom du réalisateur Roman Polanski pour la présidence des Césars 2017. Coup de tonnerre sur la toile ! Les twitteurs et différentes associations féministes se déchaînent, criant à la « culture du viol » et à « l’impunité des puissants ». Face au tollé que déclenche l’annonce, et malgré le soutien de personnalités importantes, Roman Polanski vient d’annoncer qu’il renonce à sa participation, « profondément meurtri ».

[Tribune libre]

Retour sur une polémique caricaturale, qui confond tous les enjeux.

Le manichéisme de deux discours de classe

Roman Polanski est un grand cinéaste. Il est aussi un fugitif ayant refusé de comparaître devant la justice américaine après avoir été condamné pour le viol de Samantha Gailey, âgée de 13 ans à l’époque des faits, en 1977. Il y a bien deux discours qui s’opposent dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Le premier, vindicatif, condamne sans appel Polanski : un violeur est un violeur ! Il ne saurait être absous de ses actes au seul motif de ses talents artistiques ou du temps qui passe. Une évidence qui se traduit malheureusement souvent par un manichéisme violent faisant du coupable un monstre.

Le second discours semble se complaire dans une accumulation d’éléments visant à atténuer la violence de l’acte initial ou à dénoncer l’acharnement de « féministes », de gens « bêtes », incapables de percevoir le génie artistique ou, pire !, se délectant simplement de la « chute des puissants ». Un déni oligarchique teinté de mépris pour une catégorie de personnes qu’on n’imagine pas aller au cinéma, quand on n’induit pas discrètement qu’ils sont tous issus de la fachosphère (ce bon vieux point Godwin !). Eh hop, on reproduit ce dangereux cercle vicieux déjà décrit lors de la polémique Meryl Streep vs Donald Trump.

L’affaire est complexe : nous parlons d’un acte terrible, sans possibilité de négociation morale, sans possibilité d’atténuation ou de falsification. Les déboires judiciaires concernant la fiscalité des politiques se perdent dans leur nombre et dans la complexité des affaires, et les Balkany peuvent continuer après des années de corruption à flotter sur une respectabilité de surface. Mais le peuple se déchaîne lorsqu’on touche à ses enfants. Il voterait la peine de mort en un claquement de doigts, comme une vengeance à l’inconcevable.

Pardon de la victime et pardon de la société

Que la victime de Polanski ait accepté de lui pardonner, nous ne pouvons que nous en féliciter ; mais ce pardon lui appartient, à elle seule. Roman Polanski a contracté une autre dette, qu’il n’a pas payée, qu’il refuse encore aujourd’hui : une dette à la société.

En refusant de se soumettre à la justice, en fuyant son procès pour se cacher en France, il a signé un acte de non-reconnaissance de cette dette. C’est sur ce point qu’il est, aujourd’hui encore, condamnable. En profitant de son statut et de ses moyens aisés pour échapper à une décision de justice, il a statué son refus de se soumettre, non seulement à un éventuel jugement, mais aussi au pardon sociétal. Car tel est bien le revers de l’épée de la justice. Il ne s’agit pas uniquement de punition, mais de reconquête de légitimité – de réparation. S’il suffit d’échapper à la justice 40 ans pour reconquérir une légitimité publique (sic), quel est le sens de celle-ci ?

Le cynisme des « défenseurs de la culture »

Que cette notion ne soit pas comprise par le ministre de la culture, Audrey Azoulay, dépasse l’entendement. Qu’un ministre en exercice se prononce favorablement à ce que la présidence des Césars soit assumée par un homme fugitif, convaincu de viol sur mineure, est à ce titre une aberration difficile à imaginer. Il ne s’agit plus de condamner ou de ne pas condamner, mais d’une reconnaissance publique ! Un laisser-passer artistique qui blanchirait Polanski de ses actes passés donnerait raison à tous ceux qui condamnent une justice à deux niveaux.

Le fait que les différents acteurs culturels se sont prononcés en sa faveur lors des différentes polémiques à son sujet est aussi grave ; le fait qu’ils se complaisent dans le non-dit de cette question doit être à nouveau dénoncé. Ils le font trop souvent, dès lors qu’un des leurs est attaqué. Avec un cynisme qui est le meilleur lit des complotismes de classes, ils sont capables de défendre avec la plus grande vigueur – dans leurs films comme dans leurs discours – les droits des femmes, l’environnement, les dernières causes à la mode, tout en acceptant de participer innocemment à des films tournés par des réalisateurs traînant des casseroles morales qui devraient les confiner au silence public.

La présidence des Césars est aussi un acte politique

Disons-le clairement : la présidence des Césars n’est pas une simple distinction artistique honorifique (un César d’honneur aurait fait l’affaire) ; elle est aussi un acte politique, officiel. La frontière entre l’artistique et le politique a toujours été mince.

Il en est de même en maintes occasions : l’attribution d’un Prix Nobel de la Paix à un écrivain chinois emprisonné dans une geôle, le refus de certains artistes de chanter lors de l’investiture de Trump, la polémique menée par Serge Klarsfeld autour de la « célébration nationale » dédiée à Louis-Ferdinand Céline en 2011… À noter que, dans ce dernier cas, Frédéric Mitterrand, alors ministre de la culture, s’est soumis et a supprimé tout hommage au romancier… mort depuis 50 ans !

Il y a une ironie à avoir une représentativité dans le domaine précis où l’on n’est pas en règle. Cela rappelle le cas de Jérôme Cahuzac : alors qu’il est ministre du budget et traque le fraude fiscale, il blanchit son argent en ayant des comptes cachés à l’étranger. Lui confiera-t-on, dans 40 ans, la présidence du FMI ?

Illustration de cette mise à distance dérangeante : la déclaration de sa femme, Emmanuelle Seigner, qui dénonce la « méchanceté » et la « bêtise humaine », avec approximation et un manichéisme troublant ; le soutien de Gilles Lellouche estimant que, les faits précédant l’arrivée de Polanski en France, la polémique serait superflue ; ou encore le tweet de Maïtena Biraben, habituée du badbuzz, qui regrette la « pression des féministes » – mot assorti d’un hashtag à la moralité douteuse : #jenesuispasjuge.

Que Roman Polanski lui-même ose faire part de son ressenti est une inversion de la légitimité morale de la parole publique qui en dit long. Il ne s’agit évidemment pas de nier à Roman Polanski ses capacités empathiques, ni la sincérité de sa demande de pardon à sa victime.

Je serai parmi les premiers à défendre la légitimité de sa présidence aux Césars dès lors qu’il aura, d’une manière ou d’une autre, reconnu sa dette à la société et résolu sa situation de manière définitive vis-à-vis de la justice. Jusque-là, l’immense artiste qu’est M. Polanski n’a pas sa place à cette fonction honorifique.

Maël LUCAS

Publicité

1 commentaire

  1. On peine à garder son sérieux devant des affirmations telles que « Roman Polanski a contracté une autre dette, qu’il n’a pas payée, qu’il refuse encore aujourd’hui : une dette à la société ».
    Polanski a reconnu les faits, il en a été sanctionné.
    Ce n’est plus envers… « la société » (sic) qu’il avait une dette.
    Ou plutôt : si.
    Il avait un nouveau devoir, envers lui-même et envers la liberté.
    Et il a rendu un fier service à tous les hommes libres, et à toutes les femmes libres, en faisant ce que dictait ici le bon sens cad. en faussant compagnie à ces juges-américains (mon dieu… quelle horreur…) qui sont la honte du genre « humain » et qui se voyaient déjà jouer le rôle-de-leur-vie en l’envoyant en prison pour le reste de ses jours, rien que ça

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *