Guillaume Cayet : « Écrire est le dernier bastion qui me rattache au militantisme »

Guillaume Cayet : « Écrire est le dernier bastion qui me rattache au militantisme »
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L’association « Auteurs, Lecteurs & Théâtre » est né d’un pari ambitieux, celui d’Annabelle Vaillant et Vincent Pavageau de donner le goût de la lecture et de l’échange autour de textes contemporains destinés à la scène, de la rencontre conviviale et informelle à l’échange libre, entre lecteurs et avec l’auteur. Chaque mois, vous retrouverez dans Profession Spectacle une interview de l’auteur du mois à venir et la critique finale – fruit d’une collaboration collective.

En janvier, Une commune de Guillaume Cayet, finaliste du dernier Grand prix de littérature dramatique, sera abordé par les participants qui décident de se poser, de faire ALT.

Né en 1990 à Angomont, un petit village lorrain perdu au carrefour de la Meurthe-et-Moselle et des Vosges, Guillaume Cayet intègre le département écrivain dramaturge de l’Ensatt à Lyon après des études universitaires et théâtrales à Metz et à Nancy. Ses textes sont publiés par les éditions Théâtrales.

Entretien.

Comment tu décrirais Une commune en quelques mots ?

C’est un tableau dans lequel on zoome un peu, en voyant les gens derrière… Et ces gens derrière, au fur et à mesure, deviennent le devant du tableau.

Est-ce que tu définirais ta pièce comme une fable politique et policière ?

C’est pas mal ça ! Dans un bassin minier. Oui, je pense que c’est ça, j’aime bien la question de l’enquête. Un polar rural.

En un seul mot ?

Un polarural !!

Pourquoi ce titre ?

C’est vraiment parce que j’avais envie de raconter La Commune dans une commune. Et puis « une » commune, ça lui donnait un truc un peu moins gros, moins universel que « la » commune. Une commune, c’est un petit truc, c’est une tentative aussi. J’écris toujours sur le même territoire, un territoire imaginaire entre les Vosges et la Meurthe-et-Moselle.

Tu as choisi l’écriture inclusive, pourquoi ?

Déjà le choix me paraît évident, c’est une histoire politique et littéraire, elle peut aussi être esthétique. On parle beaucoup de langue ; on dit que l’auteur a sa langue mais cela ne veut rien dire : l’auteur a une écriture. Si l’écriture ne travaille pas le présent, si les dimensions politiques ne traversent pas l’écriture… je trouve cela bizarre. Je pense à cet homme[1] qui fait une analyse, il écrit « les grévistes se sont soulevés » ou bien « les grévistes se sont soulevé-e-s » et montre qu’on imagine des hommes pour le premier, des hommes et des femmes pour le second. Ça raconte l’histoire autrement. Pour moi l’écriture inclusive est essentielle ; après, c’est le choix du metteur en scène de la prendre en compte ou non.

Est-ce que Une commune a une couleur ?

Rouge !

A-t-elle un bruit ?

Je dirais des pas, des pas dans l’herbe. Ou dans la neige, car cela fait un peu plus de bruit… KRRCHRCHRKCRH ! C’est drôle car mon texte B.A.B.A.R.[2], il sent le fumier. On va monter la pièce bientôt et peut-être mettre des tas de fumier sur scène ! C’est la première fois que je me suis posé la question d’odorat sur un plateau, je ne m’étais pas posée cette question sur Une Commune.



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Tu peux nous parler de ton travail en cours ?

J’ai fait tout un cycle d’écriture sur la ruralité, une troisième pièce va sortir bientôt[3], je suis encore dans cette écriture sur les territoires de luttes. Je m’intéresse aussi à la post-colonialité, je suis en train d’écrire un parcours qui s’appelle « Sortir de la nuit », dont B.A.B.A.R. est la première pièce. Elle parle de la question coloniale, et de la post-colonialité dans la France contemporaine. En ce moment je m’intéresse à l’obscénité, autour de la question coloniale, autour du rapport maître-esclave.

Cette recherche de lobscénité dans le domaine du colonialisme, n’est-elle pas aussi en lien avec le sexisme?

Si, complètement, de toute façon sexisme, colonialisme et capitalisme ont partie liée : c’est une histoire de domination. Et je pense d’ailleurs que le théâtre là-dessus est intéressant. Les rapports de domination, c’est ça qui m’intéresse, c’est pour ça que je fais des situations, et très peu de théâtre de l’oralité.

Tu es né dans les années 90, en 90 même…

Il faut que j’arrête de le dire au bout d’un moment, car je sens que ça crée des scissions. J’avais besoin de dire que moi, je ne suis pas né dans l’époque de Heiner Müller, ni dans celle de Bertolt Brecht, donc parlez-moi de forme, d’accord, mais je pense aussi qu’on a un point de vue politique à réaffirmer. On est dans une époque où on a besoin de reformuler des utopies. Moi, quand je dis que je suis né dans les années 90, c’est pour dire que j’ai besoin de raconter des narrations, de faire « théâtre ».

As-tu déjà entendu parler de lexpression « génération Y » ?

Ouais.

Tu te sens y appartenir ?

Pas du tout. Pour moi, « Génération Y », ça veut dire génération sacrifiée, comme un postulat que l’on a donné sur notre génération… On n’est pas du tout sacrifié ! Je veux dire que la crise, c’est nous qui pouvons en sortir. Je trouve que dire « Génération Y », ça fait jeuniste, comme quoi on ne pourrait pas construire avec d’autres personnes, d’autres générations ; ça veut aussi dire : « vous êtes cette génération là, vous n’y pouvez rien », alors qu’en fait on y peut tout.



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Quel est ton premier souvenir de théâtre ?

J’ai beaucoup fait de théâtre amateur au début : on avait un petit théâtre où l’on jouait tous les étés. C’est ça mon souvenir de théâtre, ce sont vraiment des gens, une peuplade. Quand on a monté Faut pas payer ! de Dario Fo dans ce théâtre, des gens nous ont envoyé des lettres incendiaires en disant : « Vous pouvez pas dire ça! ». Parce qu’à la fin, Dario Fo écrit : « La seule solution pour les patrons : faut tirer la chasse »… Alors les patrons s’insurgeaient ! C’était génial, j’avais vraiment trouvé l’utilité du théâtre.

Tu te rappelles la première pièce de théâtre que tu as lue ?

Je pense que c’est Les Tisserands d’Hauptmann. C’est un des premiers drames sociaux où les ouvriers sont vraiment représentés. Ça, ça m’a vraiment sidéré.

Ça t’a donné envie d’en écrire à ce moment là ?

Oui, plutôt. Après, en classe théâtre, j’ai eu la chance d’être à l’époque où on lisait Edward Bond et Jean-Luc Lagarce. Je m’en rappelle, la première fois que j’ai lu Lagarce, dans mon lit à l’internat, je me suis dit : « pourquoi ce mec, il se répète autant ? ». À la fin, j’étais en larmes, je ne comprenais rien, j’avais 16 ans, et j’ai pensé : « Putain, si l’écriture elle peut faire ça, chapeau quoi ! ».

La nécessité d’écrire du théâtre ?

Déjà, rien que pour moi. Comme je travaille beaucoup, je n’ai plus trop le temps d’être dans les milieux militants : écrire est le dernier bastion qui me rattache au militantisme. Je lis maintenant très peu de théâtre et de littérature, mais beaucoup d’essais. Quand je lis un essai qui me traverse, me bouleverse, et que je me dis : « et si je faisais une situation dramatique qui pourrait raconter cet essai ? », cela me rattache aux luttes et au militantisme.

Une commune, je l’ai clairement écrit car j’avais envie de dire que c’était possible de refaire Lip[4] aujourd’hui, que c’était possible d’avoir de nouveaux territoires d’émancipation.

Nous avons relevé une de tes phrases : « nous ne transformerons pas le monde en y opposant un autre, mais des autres ».

C’est toujours cette question de la narration dominante. Le storytelling néolibéral donne une narration qui est tellement belle, tellement claire et limpide… et tu sens qu’à cette narration là, tu ne peux pas y opposer juste une autre. Qu’est-ce que c’est la narration des racisés, la narration des gens des campagnes, la narration des femmes, la narration des trans ? C’est ce que je veux dire dans cette phrase : il y a plein d’autres mondes à ouvrir, et pas qu’un seul. Je veux peut-être épouser un autre monde, mais ce monde-là est pluriel… mais bon, tout ça c’est aussi un peu de la branlette !

As-tu envie de partager quelques mots avec les participants, avant quils découvrent la pièce ?

Non, je pense que j’ai déjà trop parlé de la pièce… Et c’est toujours maladroit quand on parle, on est toujours en commentaire. Ce qu’il y a de beau dans les textes, c’est justement les endroits qui nous échappent.

Propos recueillis par Annabelle VAILLANT & Vincent PAVAGEAU

Coordinateurs de ALT


Guillaume Cayet, Une commune. Retourner l’effondrement tentative 1, éditions Théâtrales, 2016, 144 p., 16 €.



[1] François Reynaert journaliste à L’Obs dans une vidéo nommée « Sexisme et écriture inclusive : le masculin doit il forcément l’emporter sur le féminin ?

[2] Paru en novembre 2017 aux Éditions Théâtrales

[3] Dernière pièce du triptyque « Retourner d’effondrement », 1- Une Commune, 2- Dernières Pailles, 3- La Terre se dépose au fond à paraître en 2018

[4] Mouvement de grèves de l’usine horlogère de Besançon, de 1970 à 1976, mobilisations importantes en France en en Europe



Photographie de Une – Guillaume Cayet (© DR)



 

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