Rúnar Rúnarsson : « Je fais du réalisme poétique, pour que la beauté succède à la laideur »

Rúnar Rúnarsson : « Je fais du réalisme poétique, pour que la beauté succède à la laideur »
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Acclamé lors du dernier Festival du film de San Sebastian, où il reçut la Coquille d’or, Sparrows continue sa conquête européenne. Le film islandais, produit par le danois Nimbus Film et sa filiale Nimbus Iceland, était en compétition pour la Flèche de Cristal au Festival des Arcs. Rencontre avec le réalisateur de Sparrows, Rúnar Rúnarsson.

Quels thèmes souhaitiez-vous aborder dans Sparrows ?

Rúnar Rúnarsson – Trop de films ne sont construits que pour raconter une seule chose et quelquefois ils prétendent même détenir la vérité comme si c’étaient des histoires de la Bible. Je n’aime pas ça et je veux que mes films soient plus vastes. Bien sûr, Sparrows traite du passage à l’âge adulte d’un jeune homme traversant une période de transition, mais le film parle aussi des relations père-fils, d’intégration, de retour aux sources, de masculinité, d’amour, de perte et de pardon. J’aime travailler avec beaucoup éléments car la vie est plus complexe qu’une seule morale en 90 minutes. La vie n’est pas noire ou blanche, elle est grise avec une échelle de nuances de gris. C’est la réalité et je veux que le public la perçoive. Ensuite, c’est un film, donc il faut que ce soit visuel et narratif. Et comme je me suis aperçu que les spectateurs aiment identifier le genre précis des films, avec mon équipe, nous définissions ce que nous faisons comme du réalisme poétique. Car il est important d’avoir de la beauté et de l’esthétique.

Sans être ultra-sombre, l’univers de Sparrows est très rude. Est-ce votre vision de la vie ?

Il faut prendre conscience qu’il y a des obstacles à franchir tout au long de la vie, que de petits et des grands drames surviendront forcément. Mais il faut surligner les bonnes choses. Et si dans mon film, il y a un ou deux événements qu’on peut trouver choquants, mon intention n’est pas de choquer gratuitement, mais que l’on ressente la beauté qui succède à cette laideur. C’est une erreur de laisser le spectateur penser que tout est lumineux et bon comme on le fait dans les productions hollywoodiennes ou que l’existence est un enfer sans espoir comme dans certains films d’art et essai. Aucune des deux options n’est juste car dans la vie, quand on tombe, on se relève et le soleil brille de nouveau. Il y a toujours de l’espoir, on ne doit jamais abandonner.

Le décor joue un rôle très important dans la qualité générale de votre film, notamment grâce à des cadres très beaux.

Quand j’écris, je pense aussi au financement et je veille à ne pas me lancer dans des choses que je ne pourrais pas m’offrir. J’essaye toujours de tirer le meilleur parti de possibilités existantes. Au lycée, j’avais deux amis originaires de cette ville où nous avons tourné, donc je connaissais très bien cette région et je savais que je pourrais raconter cette histoire avec beaucoup de décors différents dans une zone géographique réduite, que je pourrais utiliser des maisons abandonnées, changer facilement le plan de travail en cas de modification de la météo, loger aisément toute l’équipe, etc. C’est essentiel de très bien se préparer pour pouvoir prendre les meilleures décisions quand des imprévus surviennent durant le tournage. On peut alors improviser, profiter par exemple d’une très belle lumière qui surgit pour tourner une scène qui n’existait pas sur le papier. C’est pour cela que j’essaye de toujours avoir le même cadre dans un décor donné, pour éventuellement pouvoir insérer des scènes improvisées.

Avez-vous une méthode de tournage particulière ?

J’ai rencontré la plupart de mes collaborateurs, en particulier mon monteur et mon directeur de la photographie, à l’école de cinéma au Danemark. Nous avons travaillé sur beaucoup de projets et nous avons créé ensemble notre propre style, notamment avec le tempo des scènes qui correspond au réalisme que nous visons. Nous ne coupons pas et nous utilisons assez souvent ce qui est filmé après la prise. Par ailleurs, même si je n’avais pas les moyens d’avoir du 35 mm, Sparrows est tourné en Super 16 car il n’y a rien de mieux que la pellicule en termes de délicatesse. Nous vivons dans un monde d’écrans haute définition qui nous bombardent de contrastes affreux et quand on regarde un film tourné en pellicule dans de bonnes conditions, on retrouve du vrai cinéma. Et cela revenait même moins cher de tourner en Super 16 qu’en numérique !

Comment voyez-vous la suite de votre carrière ? Êtes-vous lié indissolublement à l’Islande ?

L’Islande est un petit pays et j’ai toujours coproduit mes films avec le Danemark, où j’ai vécu huit ans, et j’ai été soutenu par les fonds des deux pays. Peut-être que mon prochain film aura pour cadre le Danemark, ce serait finalement une étape assez logique. Je suis aussi à l’aise avec la langue anglaise, mais je n’irai jamais travailler dans un endroit dont je ne connais rien. Je dois vivre et respirer l’atmosphère, expérimenter l’environnement pour pouvoir en faire le portrait : cela fait partie de mon processus d’écriture. Et c’est important pour moi de travailler avec des gens en qui j’ai confiance, d’avoir toute la liberté artistique possible et le contrôle sur le processus de fabrication de mes films. Car les décisions qui ne semblent que des questions pratiques sont en réalité des décisions artistiques.

Propos recueillis par Fabien LEMERCIER

Source : Cineuropa.
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