Se gaver au buffet éthique à volonté : histoire d’un carnage mental postmoderne

Se gaver au buffet éthique à volonté : histoire d’un carnage mental postmoderne
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« Erreur 404 », c’est un dysfonctionnement dans la communication, un bug dans le système, une ressource qui fait défaut… C’est aujourd’hui le titre de la chronique hebdomadaire de Paméla Ramos dans Profession Spectacle. Paméla Ramos ? Une spectatrice avisée des modes de pensée et d’action artificielles. Drôle, incisive, grinçante, pertinente, réfléchie, profonde, sa plume risque de ne laisser personne indifférent… et c’est tant mieux.

Lundi

Le marché du green se porte bien puisque l’acte écologique premier et des plus efficaces, renoncer, n’a jamais été aussi peu à la mode. La finalité avouée par les plus férus de légumes verts serait de peser le moins possible sur notre planète. Dans cet objectif à la vertu incontestable, le bon sens devrait nous guider à renoncer le plus possible à ce qui n’est pas essentiel.

Du tout. Nous nous attèlerons à remplacer tout oripeau, comme les pailles en plastique, par exemple, par le même accessoire, drapé du prestige d’une éthique convoquée à tout va. Malgré les atermoiements de mise, chacun a toujours une excuse pour commander son bon plaisir sur Amazon : nous nous y fournirons donc en pailles en inox probablement fabriquées au Sri Lanka, que nous nous empresserons d’afficher sur Facebook, taguées d’un vindicatif #zérodéchet.

Ceci en nous accommodant plutôt bien du carnage mental que nous nous infligeons, ainsi qu’à nos lecteurs gênés de posséder encore des pailles en plastiques et qui protesteront, brandissant une autre expression soufflée par les storytellers du green : #chacunsonrythme.

S’ensuivra un débat public de la plus haute importance, plusieurs dizaines d’âmes vertueuses dégageant à cette occasion le temps et la disponibilité qu’elles ne trouvent pas pour lire l’Histoire du silence d’Alain Corbin. Le constructeur de pailles éthiques, lui, se frotte les mains : ce marketing d’influence qui ne lui aura rien coûté lui permettra de rouler en 4×4 d’ici la fin de l’année.

Les amateurs de Do It Yourself devraient commencer par écrire leurs propres textes.

Mardi

Je vois que Michel Onfray a écrit sur Thoreau. J’ai comme des envies de bandeaux. « Sélection Frisson : préparation à la vie dans les bois avec Michel Onfray » ; ou encore : « Apprendre à renoncer, par l’auteur de treize livres depuis 2015 ».

Mercredi

Excessifs éthiques, consumez durable.

Jeudi

Regarder l’intégrale de Sons of Anarchy dans le week-end ne fait pas de nous un biker sans foi ni loi mais un assidu de la double contrainte, qui regrette vaguement de ne pas faire exactement ce qu’il veut tout en essayant de se faire embaucher au meilleur poste que pourra lui donner le système en place.

Les entreprises comme Netflix, irrésistibles, fondent leur modèle économique sur la dédramatisation de cette névrose. Pour consommer frénétiquement les productions d’une machine qui s’emballe, nous devons être de faux idéologues. La communication de Netflix nous glorifie d’être faibles, de ne pas savoir résister, de n’avoir plus aucun contrôle. Sur les organismes engourdis puis chauffés à blanc par la peur de rater quelque chose (le fameux FOMO chez nos comparses américains), le cancer de la vie fantasmée se propage sans problème. Tous les discours véhiculés par les séries actuelles, excellentes ou non, qui sont les derniers lieux communs où se retrouve ma génération, nous intiment de vivre notre vie sans nous soucier des regards, d’être fiers et solidaires de notre clan en apprenant à survivre et à nous adapter quitte à employer n’importe quel moyen, illégal, violent, désespéré, cynique. Nous sommes probablement des êtres spéciaux que le monde entier attendait, nous ne devrons cependant jamais œuvrer pour nous-mêmes mais nous effacer devant la divine Cause sous peine d’une mort affreuse et vaine. Le tout bien évidemment avec un humour ravageur et une bienveillance détendue, plutôt feinte pour rester en maîtrise.

Ce n’est pourtant pas exactement ce que j’observe autour de moi, malgré les discours émerveillés reprenant ces antiennes comme si elles venaient d’apparaître la veille, telles un nouveau miracle grec dans l’histoire de la pensée. La liberté, la justice, l’originalité, l’autonomie fascinent autant que des animaux disparus, fossilisés. On les regrette le temps d’une petite larme à 4h32, le cerveau confit par huit heures de visionnage, et l’on s’empresse de maquiller ses cernes pour plaire au manager acariâtre du lendemain, lui-même sous le coup d’une nuit blanche Downton Abbey et qui se rêve en majordome juste et compris. C’est voulu : si vous œuvrez vous-mêmes, vous n’êtes plus de simples fans qui attendent qu’on leur écrive la suite.

Ici encore, renoncer n’est pas prévu. Tant qu’il y en a, il faut se gaver au buffet à volonté et s’apercevoir plusieurs années trop tard que nous sommes sidérés, statufiés devant l’amas visuel de ce qu’il nous reste encore à absorber.

Vendredi

En ne renonçant à rien, nous avons fusionné avec trop de mouches pour garder forme humaine. Alors nous remplaçons chaque pièce, très lentement et en tremblant, par une autre que nous feignons de croire éthique, en nous persuadant que nous faisons de cette affreuse poterie bancale un magnifique cadeau à nos enfants.

Renoncer sans le dire à personne, voici l’acte de pur rock’n’roll. Mais le faire pour de vrai ? Vous n’êtes pas sérieux. Ce n’est que du cinéma.

Paméla RAMOS

Erreur 404 ou les semaines de Paméla Ramos



Non, la photographie de Une ne montre pas une foule en lutte un premier jour de soldes,
mais est extraite de la série Sons of Anarchy.



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