“Bankal” : Puéril péril

“Bankal” : Puéril péril
Publicité

La compagnie Puéril péril réunit en duo Ronan Duée et Dorian Lechaux dans Bankal. Un spectacle où le déséquilibre est à portée de cœur.

Malgré l’annulation de la quasi totalité de sa programmation estivale (le Printemps des Abers, la programmation prévue lors des Fêtes maritimes internationales de Brest, les Jeudis du Port, les Pique-Niques Kerhorres et le Festival Les Rias.), la belle équipe du CNAREP de Brest – Le Fourneau s’est associée à la ville de Brest pour proposer une série de rendez-vous artistiques dans le cadre de « cet été, voyagez à Brest », des rendez-vous à taille humaine dans les différents quartiers de Brest.

Le mercredi 5 août sur le port de Brest, on a pu assister au spectacle Bankal proposé par la Compagnie de cirque Puéril péril. Un duo circassien sur tabouret pour deux mecs.

Main à main pour tabouret dans les règles du numéro circassien

Le spectacle commence par une voix enregistrée qui rappelle celle des télés-réalités. Elle annonce les mesures de sécurité – COVID-19 oblige –, les mesures de « mise au présent » pour le public – spectacle vivant oblige –, et s’autorise des digressions qui prennent plaisir à la complexité.

L’écriture ciselée use alors d’un vocabulaire et d’une syntaxe bien plus large que celle qu’on entendrait sur les chaînes télévisées ou même dans les spectacles de rue, sans pour autant parvenir à dépasser entièrement une forme un peu plaquée, sans pour autant atteindre une charge poétique qui semble pourtant être un objectif des deux artistes.

D’autant qu’au plateau, les deux circassiens optent précisément pour un début en simplicité, avec une installation à vue du dispositif et une piste de dramaturgie simple et poétique : le désir d’un des circassiens (Ronan Duée) de vouloir faire du monocycle quand l’autre (Dorian Lechaux) lui propose un jeu périlleux de tabourets, le désir d’un enfant de jouer à son jeu, alors qu’autour, c’est le spectacle professionnel qui s’installe et démarre. Et même d’avantage : l’un qui garde le silence, l’autre qui parle et commente, sollicite et contraint.

La relation du duo et du numéro démarre ainsi sur un joli conflit d’enfants qui pourrait être exploité de façon plus simple et plus sincère. Elle se poursuit et se construit lorsque les tabourets se transforment en échafaudages permettant de côtoyer des sommets instables.

Le spectacle s’achemine vers un main à main forcé des deux circassiens pour pouvoir monter sur les tabourets qui s’empilent, s’encastrent, dans un déséquilibre qui tient le public en haleine. La performance du duo repose ainsi sur la collaboration forcée autant que désirée qu’impliquent ces tabourets si fragilement empilés pour qu’on leur monte dessus.

Si la performance tient bien sûr en haleine, avec une bonne gestion des suspens et du rythme, c’est peut-être davantage la nature de la relation entre celui qui parle et celui qui se tait, celui qui veut toujours plus et celui qui accepte, qui nous fait poursuivre le voyage avec ces deux partenaires.

Un corps à cœur : une relation de tendresse masculine aux accents blierien

Au milieu du spectacle, après un duo très charnel sur le monocycle (car finalement, il pourra être utilisé), les deux circassiens s’assoient essoufflés en face du public, chacun sur un tabouret, et dépouillés dans leur fatigue. Après un premier silence assumé et touchant, Dorian Lechaux, qui parle depuis le début à celui qui se tait, se lance alors pendant plusieurs minutes dans une logorrhée existentielle, une logorrhée d’un pote à son autre pote, « faut qu’tu te reposes tu vois, c’est important », une prouesse verbale en soi où le vertige des tabourets devient un vertige de mots, où l’on chute avec lui dans un abîme. Dorian Lechaux excelle en mots et en paroles lors de cette bravoure verbale, face à l’écoute épurée et intime de Ronan Duée.

C’est à ce moment-là que la relation des deux circassiens, initiée au début, semble prendre forme dans son fond le plus simple et évident, cette même tendresse fantasque que Bertrand Blier a su si bien restituer dans ses films, celle de l’affection masculine entre deux hommes, fameuse entre Gérard Depardieu et Patrick Dewaere dans Préparez vos mouchoirs, ou bien encore dans les Valseuses, mais aussi dans Tenue de soirée dont voici un extrait :

Antoine : Tu parles bien quand tu veux.

Bob : C’est ta bouche qui m’inspire. Ta bouche et puis ton cœur. Je vais te le cambrioler ton cœur. Ton cœur et puis tout le reste. Je vais m’introduire et tout piquer.

Comparaison peut-être un peu osée, elle me semble pourtant révéler le cœur du travail circassien qui se joue en dessous des numéros de performance de Bankal.

C’est cet aspect-là, cette chute dans une certaine relation affective – et qui ne saurait résonner sans l’écriture acrobatique des tabourets – qui prend le dessus sur quelques excès de théâtralité dans le jeu et dans la dramaturgie au début du spectacle. D’ailleurs, à la fin de la cascade de mots, le public applaudit comme à la fin de l’acrobatie finale la plus périlleuse.

Il y a ici une écriture du corps et du cœur à explorer au gré de leurs futurs spectacles, en parallèles des prouesses qui rendent le cirque si universel.

Zelda BOURQUIN

INFORMATIONS
Bankal Spectacle tout public pour la rue et la salle
Durée : 50 minutes
Jauge : 600 personnes
De Ronan Duée et Dorian Lechaux
Production : Compagnie Puéril Péril
Résidences : ECL, MJC de Quintin, Les Subsistances
En tournée en Italie le 5 septembre, à Vern sur Seiche le 27 novembre.

.

Photographie de Une – Cie Puéril Péril (DR)

.



Découvrir toutes nos critiques de spectacles



 

 

Publicité

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *