Bruno Pernadas, un créateur expérimental de mélodies atypiques qui déconcerte la musique portugaise

Bruno Pernadas, un créateur expérimental de mélodies atypiques qui déconcerte la musique portugaise
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Bruno Pernadas est l’un des musiciens portugais qui s’est fait remarquer à la 17e édition du festival de Musiques du Monde de Sines, 2015. Son projet irrévérencieux apporte un souffle vivifiant à la musique portugaise. La versatilité et le mélange des sons lui ont inspiré une musique qui regorge d’expériences sonores ; de nombreux genres fusionnent pour créer quelque chose de totalement nouveau et atypique.

Article traduit du portugais par Lucia Joaquim.

Sa représentation au château de Sines, le 24 juillet, avait clos l’après-midi en même temps qu’elle ouvrait le moment le plus « portugais » du festival, dont on peut dire qu’il a été un succès pour la musique portugaise en général. Son morceau Ahhhhh a été incorporé au CD officiel du festival tandis que des hauts parleurs diffusaient dans toute la ville de Sines sa musique. Après le concert, Bruno Pernadas a discuté avec Charivari, de son expérience du festival, de l’origine de sa musique et de ses perspectives.

Bruno Pernadas

Tu as déjà assisté au festival de Musiques du Monde de Sines en tant que spectateur, qu’est-ce que cela te fait d’être de l’autre côté de la barrière?

C’est super de pouvoir y participer en tant que musicien. J’ai toujours eu l’ambition de pouvoir un jour jouer ici, mais je ne savais pas encore que ça allait être avec ce projet et cette musique. J’aurais pu venir ici dans d’autres circonstances : j’ai pu croire, par exemple, que ce serait possible avec mon ancien groupe de jazz, qui n’existe plus aujourd’hui. La musique que l’on faisait correspondait aux critères du festival. Mais le projet s’est terminé avant de se concrétiser. Je crois que la musique de mon nouveau disque correspond aussi très bien au festival, car elle comporte des éléments de world music, de jazz, d’improvisation, qui sont des caractéristiques que l’on retrouve habituellement dans les musiques qui sont programmées à Sines.

De quel monde t’inspires-tu pour composer tes musiques et quel est le monde que ta musique conçoit ?

C’est un peu difficile à expliquer, parce que j’écoute beaucoup de musiques différentes. J’ai toujours écouté beaucoup d’improvisations de jazz, beaucoup de musique classique et contemporaine. Au-delà de ça, j’écoute de la musique très diversifiée, j’aime un peu de tout. J’aime la musique des années 80, de Genesis, Tina Turner, Gal Costa à Elis Regina. J’ai grandi en écoutant ces musiques, qui étaient en fait les musiques que ma sœur écoutait. C’est aussi une question de goût : je connais beaucoup de personnes dans l’univers de la musique classique ou jazz qui n’apprécient pas la musique pop ; si je leur parle du premier album de Madonna ou de Prince, ils ne savent pas de quoi je parle. C’est par ce que j’aime toutes ces choses, que cela transparaît dans mes compositions.

Est-ce que tu te souviens d’une idée étrange que tu as pu avoir et qui aurait donné naissance à une musique ?

Non, je ne sais pas trop expliquer, c’est assez nébuleux. Le processus de création ne vient pas de nulle part mais je ne sais pas comment les choses se font précisément. Parfois je ne suis même pas en train de jouer, les idées surgissent et j’écris. D’abord, c’est comme un moment d’introspection en temps réel, peut-être cette chose que l’on appelle « day dreaming », puis les mélodies me viennent. Mais je ne suis pas le seul à dire ça, ça arrive à d’autres musiciens, sauf que dans mon cas, les musiques qui apparaissent viennent de plein d’époques différentes, de styles différents et d’endroits différents du monde.

Tu te souviens du premier son qui t’a fasciné ?

Oui, j’ai toujours aimé écouter les sons du quotidien, même ceux de la maison ou de la rue. John Cage dit que, pour lui, tout est musique : les voitures dans la rue, les bruits que font les personnes… il réussit à voir ça comme de la musique. Je me revois dans cette approximation auditive, à entendre les personnes parler comme si c’était de la musique, une ambiance sonore, des bruitages. Ma sœur et moi on aimait beaucoup le cinéma et on regardait beaucoup de films. Même les moments où il n’y avait pas de musique étaient des moments musicaux pour moi : les conversations, certains dialogues, certaines séquences chez certains réalisateurs. Toute la dynamique des dialogues a toujours été très musicale pour moi, que ce soit au niveau du rythme, de la tonalité ou du timbre de voix des personnes qui parlaient. Pour moi, en tant que musicien, j’aime et je veux incorporer ces sons à la musique que je fais, d’où les samples que j’ai mis dans les pistes de ce disque.

Bruno Pernadas 2

Tu es un multi-instrumentiste, mais quel a été ton premier instrument ?

J’ai joué de la batterie quand j’étais petit, à 10 ans, mais après, j’ai été influencé par la musique rock des années 90 et j’ai voulu jouer de la guitare, de la basse, puis j’ai exploré d’autres instruments encore. Mais mes collègues sont également multi-instrumentistes. Le trompettiste qui joue avec moi joue de tout ! La musique est en nous et nous utilisons les instruments qui sont autour de nous : le « multi-instrumentisme », ce n’est pas quelque chose d’académique. Académiquement parlant, j’ai étudié la guitare et le piano, parce que c’est obligatoire. Et le trompettiste a étudié la trompette et le piano, parce que c’est obligatoire. En vrai, je ne joue pas de tant d’instruments que ça. Je réussis à jouer de la guitare, bien sûr, de la batterie, un peu, et des instruments à clavier, car j’en jouais quand j’étais plus jeune. Mais je ne sais jouer d’aucun instrument à vent ; je ne joue que d’instruments harmoniques.

Est-ce que ça a été facile de rajouter plusieurs musiciens à un projet qui porte ton nom et ta propre identité ?

Ce sont mes amis et je connais beaucoup de musiciens. Comme on travaille dans ce milieu, on connaît beaucoup de personnes. Il y a des personnes qui aiment ma musique, ce qui simplifie la démarche. Je leur dis : « écoute, tu veux venir jouer ? », et ils viennent. Mais il y a déjà eu des musiciens dans ce projet qui n’aimaient pas tant que ça cette musique : ils venaient mais comme s’ils allaient au travail. Je préfère avoir des personnes qui aiment ce qu’ils sont en train de jouer et qui peuvent rajouter quelque chose à la musique. Ils se donnent tous à fond. D’ailleurs, quand j’ai conçu la musique pour le concert, j’ai voulu changer la musique et son abordage, pour avoir des moments où les musiciens puissent improviser et explorer d’autres sons. Il n’y a pas d’entente préalable, nous jouons, un musicien fait signe quand il n’a plus rien à dire et on va vers autre chose. Je crois que c’est très important d’avoir cette liberté.

Qu’est-ce que le public peut attendre de toi après ce disque ?

Je pense que les personnes qui connaissent ma musique doivent être impatientes de savoir quel va être le prochain disque. En même temps, je ne me sens aucune obligation. Si je fais un disque complètement différent, certaines personnes pourraient être déçues. Imaginons par exemple qu’il n’y ait plus aucune connotation pop, comme dans mon dernier disque, ce serait alors une musique plus dense, plus obscure, plus rase. Les personnes pourraient ne pas accrocher, mais les musiciens que je connais ne font pas d’abord la musique pour les autres. Ils font avant tout de la musique pour eux et pour la partager avec ceux qui aiment l’écouter.

Quel est la prochaine étape, ou plutôt le prochain chapitre de ce projet ?

Ce disque a été enregistré en 2012/2013 et est sorti en 2014, donc depuis ce moment, beaucoup de musique a été faite. S’il y a certaines musiques qui sont dans la lignée de How can we be joyfull in a world full of knowledge, il y a d’autres musiques qui ne le sont pas du tout et qui vont être incorporées aux prochains disques. Je vais commencer à enregistrer au mois d’août une partie du prochain disque, et cette musique sera complètement différente, totalement organique. Il y aura des moments où il y aura des arrangements électroniques, il y aura également de la guitare électronique mais sinon, tout est acoustique. Il y aura des souffles, des sections rythmiques, il n’y aura pas de voix mais il y aura toujours des samples. La moitié de la musique sera dense et atonale, il y aura des moments où il n’y aura pas de centre stable, comme si nous étions dans la stratosphère.

Traduit du portugais par Lucia JOAQUIM.

Crédits : © Mário Pires / FMM2015

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