Daniel Hoesl : « Nous voulons faire de l’art, pas fabriquer un produit »

Daniel Hoesl : « Nous voulons faire de l’art, pas fabriquer un produit »
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Vainqueur au Festival de Rotterdam 2013 avec l’inattendu Soldate Jeannette, Daniel Hoesl revient en force avec un nouveau film, également présenté à Rotterdam : WINWIN. Le jeune réalisateur autrichien, né en 1982 à Sankt Pölten – actuelle capitale du Land de Basse-Autriche -, est arrivé au cinéma par la lecture du philosophe français Gilles Deleuze. Daniel Hoesl construit une œuvre d’une pureté toute minimaliste, pour mieux dénoncer le matérialisme et la religion de l’argent. Ses deux films surprennent et dérangent. Martin Kudláč a rencontré le phénomène pour Cineuropa.

Le film WINWIN était attendu, depuis que Daniel Hoesl avait confié à Nicolas Bardot : « Je prépare un film où l’argent fait faillite. On en est au tout début. Ce sera plus drôle, plus surréel, plus artificiel. L’argent sera un personnage du film, il y aura donc d’autres personnages comme la dette par exemple. Il y aura beaucoup d’experts qui penseront qu’on doit crucifier l’argent comme on a crucifié Jésus pour se sortir de la crise. Mais je ne peux pas en dire plus pour le moment ! »

Votre premier film Soldate Jeannette cache la même « conspiration » que WINWIN. Qu’est-ce que la European Film Conspiracy au juste ?

Nous sommes un groupe d’amis et nous faisons des films ensemble, car nous croyons en la notion de communauté. Lorsque nous travaillons ensemble, notre but est de faire de l’art et pas de fabriquer un produit. Notre travail repose sur le principe d’égalité des salaires – au moins pour ce qui est de la partie production. Nous sommes avant tout un collectif, même si nous avons chacun un rôle précis à jouer. Je suis le réalisateur, c’est pourquoi je décide du déroulement des choses, mais sinon il n’y a pas vraiment de hiérarchie, surtout en matière d’argent. Nous commençons par former la troupe : nous choisissons ce que j’appelle la biographie, les antécédents des personnages, puis ces histoires se mélangent pour former la narration sur laquelle reposera le film. Pour WINWIN, tout comme pour Soldate Jeannette d’ailleurs, nous avons d’abord commencé par rencontrer des gens qui travaillaient dans le secteur qui nous intéressait : des investisseurs, des milliardaires, des gestionnaires de fonds spéculatifs, des magnats des médias, de nombreuses personnes travaillant dans le secteur bancaire. Ils nous ont raconté leurs histoires ; nous en avons fait un scénario et avons commencé à chercher les interprètes. Et ce qui est surprenant au final, c’est qu’ils ont tous plus ou moins une connexion avec l’un des domaines liés à la thématique du film. Par exemple, l’actrice Stephanie Cumming qui a grandi près de Fort McMurray, un endroit connu pour l’exploitation pétrolière en Alberta au Canada, en connaissait un rayon sur ce secteur d’activité, sur le fait que les gens n’ont absolument pas d’autre choix que celui de vivre au milieu de nulle part et de détruire l’environnement en forant le sol. Elle m’a raconté plein de choses dont je n’avais jamais entendu parler, et nous avons rencontré des tas d’autres gens qui nous ont relaté des histoires du même genre, que nous avons compilées et mises dans notre film.

Votre premier long-métrage Soldate Jeannette, récompensé à Rotterdam, abordait déjà le thème de l’argent. Quel est votre angle d’attaque cette fois ?

De façon générale, le sujet abordé est le prix de l’argent dans notre société – l’argent est notre principal centre d’intérêt. On en entend sans arrêt parler dans l’actualité. Il n’y a pas longtemps, une étude réalisée par Oxfam a révélé que 62 % de la population mondiale possédait la moitié des richesses de notre planète. Je trouve cela effrayant, cette ploutocracie qui fait tourner le monde et qui nous tient à sa merci. L’argent règne, et les états et les démocraties ne sont ni plus ni moins que des comptes bancaires. C’est tout cela qui suscite mon intérêt et me pousse à me poser des questions sur la valeur de l’argent. On regarde les investisseurs comme s’il s’agissait de chevaliers blancs ou de messies, mais ce sont en réalité bien souvent des pirates à qui l’on épargne la dure tâche d’avoir à creuser eux-mêmes pour trouver le trésor. Les hommes politiques et les consortiums leur courent après pour tenter de les persuader de leur donner leurs sociétés et leurs trésors, car ils n’arrivent pas à trouver leurs propres solutions. Le film s’inspire d’une vraie transaction menée par un investisseur qui a réussi à acheter la chaîne de magasins allemande Karstadt pour un euro symbolique.

Les milliardaires et les gestionnaires de fonds spéculatifs ne vous ont apparemment pas trop impressionné. Se reconnaîtront-ils dans cette satire ?

Nous ne pouvons pas citer de vrais noms, mais je suis persuadé qu’ils assisteront à l’avant-première à Vienne et qu’ils se reconnaîtront, eux et leurs histoires, et qu’ils aimeront le film car ils se voient comme les vainqueurs. Rien ne semble pouvoir les atteindre, ils ont beau ne pas forcément avoir de diplôme, ce sont des gens très intelligents – ils sont bien plus puissants que le film. Ils peuvent pratiquement échapper à tout, même à la mort, bien qu’il s’agisse d’une hyperbole dans le film.

Vous avez sélectionné des personnalités intéressantes pour les rôles principaux.

Julia Niemann m’a aidé à composer la troupe : nous avons organisé plusieurs castings, rencontré des centaines de personnes et avons parlé avec elles afin de connaître leurs histoires. Ensuite, Julia et une amie à elle ont passé du temps dans des bars chics à parler à des types riches. Elles ont fait la connaissance d’un responsable haut placé dans le secteur de l’immobilier. Ce n’était même pas un acteur, mais il apparaît dans le film. Bien entendu, nous avons demandé aux gens s’ils étaient d’accord pour faire partie du film ou pas, et parfois ils ont accepté.

Martin KUDLÁČ

Source : Cineuropa.

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