« Unwanted », le chant de bataille de Dorothé Munyaneza

« Unwanted », le chant de bataille de Dorothé Munyaneza
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Dorothé Munyaneza présente au Tinel de la Chartreuse de Villeneuve un « concert-dansé » sur les femmes violées durant le génocide des Tutsis au Rwanda, et sur le sort des enfants nés des viols.

Il y a trois ans, Dorothé Munyaneza créait sa première pièce, Samedi Détente, sur le génocide des Tutsis au Rwanda. L’artiste, qui a miraculeusement échappé aux massacres à 12 ans, signe aujourd’hui avec Unwanted une création pluridisciplinaire (théâtre, chant, danse) construite à partir de témoignages de femmes violées durant le génocide, et des enfants nés des viols. Des enfants indésirables (« unwanted »), élevés sans amour, souvent dans la haine, le rejet et la maltraitance. Cette forme, qui tient plus de la performance que du spectacle de théâtre (elle est d’ailleurs classée « indiscipline » dans la programmation du Festival), trace un chemin obscur et chaotique vers la reconstruction.

Rendre compte de l’indicible horreur

La pièce commence par la voix off d’une femme qui raconte les viols, innombrables, qu’elle a subis. De l’un de ces viols est né un enfant qu’elle n’a jamais pu aimer. Devenu l’incarnation du tortionnaire, il est à son tour battu, haï, bouc-émissaire.

Sur la scène, c’est toute l’horreur, tout l’indicible de cette histoire qui va se déployer. Une histoire de viol comme arme de guerre, de corps martyrisés, torturés, expropriés, transformés en champs de bataille. Comment exprimer cette souffrance, comment rendre compte de l’indicible ? Par le corps, la voix, le chant, les cris et la danse. Râles, claquements de dents, succions, borborygmes… Les sons sont au cœur du dispositif imaginé par Dorothé Munyaneza, comme un au-delà ou un en-deçà des mots. Par ses danses distordues et ses litanies parlées-chantées, Dorothé Munyaneza incarne un corps-prison où la souffrance semble être enfermée à jamais.

Ces parties dansées, associées à la présence vocale et instrumentale de la musicienne afro-américaine Holland Andrews, confèrent à la pièce une dimension rituelle. Mais un rituel impuissant, une cérémonie amputée où la résilience est impossible. « No apology », est-il écrit sur l’un des morceaux de tôle disposés sur la scène.

Détruites, vivantes…

L’une de ces grandes plaques de métal (hautement symbolique, la tôle des maisons tutsies était pillée durant le génocide) se dresse tel un totem et représente une femme. Dorothé Munyaneza arrache les feuilles de papier qui figurent les vêtements. Les bruits d’ongles et de déchiquètement sont à la limite du supportable. Ce n’est pas du papier que l’on arrache, c’est de la chair. Des lambeaux de chair qui formeront un enfant.  Autant dire un monstre.

Le geste artistique est agressif, enfermé sur lui-même, peu soucieux des spectateurs. Pour parler de l’enfermement physique et mental des femmes violées, Dorothé Munyaneza a choisi de replier la scène sur elle-même. La quasi-totalité de la performance se meut dans une atmosphère de noirceur absolue, de destruction et de chaos. Alors quoi ? Désespoir et souffrance jusqu’à la mort (la deuxième mort, définitive) ? C’est ce vers quoi l’on semble inexorablement se diriger, jusqu’à ce qu’un virage finisse par s’amorcer.

Dorothé Munyaneza lave son corps puis celui de Holland Andrews. Elle lui ôte la lourde pelisse noire qui pesait jusque-là sur ses épaules et lui fait enfiler une belle robe longue. Toutes les deux côte à côte, en fond de scène, elles disent et chantent un dernier témoignage. Malgré la barbarie des actes commis, ces femmes sont debout, à la fois détruites et vivantes.

… et fortes

Unwanted se referme – et ce faisant, s’ouvre enfin – sur les paroles d’une Rwandaise : « Je me donne le moral. Je vis comme une bête féroce. Je me tiens debout sur mes soucis, car quand je les regarde, je pourrais mourir sur-le-champ ». La force de ces femmes est aussi insondable que les atrocités qu’elles ont subies.

Julie BRIAND



DISTRIBUTION

Conception et chorégraphie : Dorothée Munyaneza

Avec : Holland Andrews, Alain Mahé, Dorothée Munyaneza

Artiste plasticien : Bruce Clarke

Musique : Holland Andrews, Alain Mahé, Dorothée Munyaneza

Scénographie : Vincent Gadras

Lumière : Christian Dubet

Costumes : Stéphanie Coudert

Regard extérieur : Faustin Linyekula

Production : Compagnie Kadidi, Anahi

Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage

Informations pratiques



OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Tournée

Création au festival d’Avignon du 7 au 13 juillet 2017.

  • 18-19 juillet 2017 : Athens and Epidaurus Festival, Athènes, Francedanse Orient-Express
  • 23-24 août : Tanz im August/HAU Hebbel am Ufer, Berlin
  • 15-17 septembre : Time Based Art Festival, Portland (USA)
  • 21-22 septembre : Baryschnikov Arts Center, New-York
  • 26-27 septembre, Festival de Princeton (USA)
  • 5 octobre : MESS Festival, Sarajevo, Francedanse Orient-Express
  • 18-21 octobre : Le Monfort, Festival d’Automne à Paris
  • 25-26 octobre, BIT Bergen, Meteor Festival (Norvège)
  • 11-12 novembre : Festival Roma Europa, Rome
  • 20-21 novembre : Théâtre de Nîmes
  • 24 novembre : Théâtre du fil de l’eau, Pantin, Festival d’Automne à Paris
  • du 28 novembre au 1er décembre : Le Centquatre, Festival d’Automne à Paris
  • 5-6 décembre : Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
  • 12-13 décembre : Hexagone Scène nationale de Meylan
  • 30 janvier 2018 : Théâtre Paul Éluard, Bezons, Escales danse en Val d’Oise
  • 2 février : Espace Germinal, Fosses, Escales danse en Val d’Oise
  • 6-7 février : L’Apostrophe Scène nationale de Cergy, Escales danse en Val d’Oise
  • 13 février : Centre national de danse contemporaine, Angers
  • 1er mars : Forum Meyrin, Genève
  • 15 mars : Le Quartz Scène nationale de Brest, Festival DañsFabrik
  • 23 mars : Théâtre Liberté Scène nationale de Toulon
  • 27-28 mars : Comédie de Valence Centre dramatique national Drôme-Ardèche
  • 5-6 avril : Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines Scène nationale
  • 10-11 avril : Pôle Sud Centre de développement chorégraphique, Strasbourg
  • 16-18 avril : Maison de la culture de Bourges Scène nationale
  • 3-5 mai : Théâtre Garonne Scène européenne, Toulouse



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