Interview de Pedro Almodovar sur son film « Julieta », inspiré de nouvelles d’Alice Munro

Interview de Pedro Almodovar sur son film « Julieta », inspiré de nouvelles d’Alice Munro
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Pour son nouveau film, Julieta, Pedro Almodovar a puisé dans l’œuvre de la romancière canadienne Alice Munro, prix Nobel de littérature en 2013. Alors que la présence des noms de Pedro Almodovar et de son frère Augustin, également producteur de ses films, vient d’être révélée dans les fameux « Panama papers », qui défraient la chronique depuis plus d’une semaine, le film est sorti comme prévu sur les écrans espagnols, le vendredi 8 avril dernier.

Il y a un moment magique dans ce film : les scènes qui se passent dans le train et qui rappellent Hitchcock.

Pedro Almodóvar : Je suis fasciné par les trains : les petits trains jouets et les trains au cinéma. J’avais toujours rêvé de tourner dans un train. De tous les moyens de transport qui font partie de l’iconographie du Septième Art, c’est mon préféré. Il transcende les genres, mais il est vrai que les scènes de train dont je me souviens le mieux viennent des films d’Hitchcock (Une femme disparaît, L’Inconnu du Nord-Express, Mort aux trousses) et Fritz Lang (Désirs humains). Tourner dans un Talgo des années 1980 n’a pas été facile, non seulement parce que l’espace y est réduit (nous avions à peine la place d’y faire tenir les acteurs, la caméra et le chef-opérateur), mais aussi parce qu’il était rongé par les bestioles. Cependant, ces scènes étaient cruciales, parce que le destin de Julieta se trouve dans ce train. C’est pour cela que j’ai bâti le scénario du film autour de la séquence du train de nuit : c’est dans ce lieu hautement métaphorique et significatif qu’elle entre en contact avec les deux pôles de l’existence humaine : la mort et la vie.

La fatalité s’acharne sur le personnage central. Pourquoi à ce point ?

Dans le film, il y a deux disparitions tragiques, fruit du hasard et de la malchance, qui affectent profondément Julieta. Son sentiment de culpabilité, qu’elle passe aussi à sa fille, s’est inséré dans le scénario sans que je m’en aperçoive. Il m’est apparu quand j’ai eu fini d’écrire, au moment où les pièces se mettent à s’agencer et s’enrichir entre elles comme par elles-mêmes, sans intervention de l’auteur. Ce sont des émanations du récit lui-même. La culpabilité accompagne Julieta dans le train comme une sorte de destin fatal.

Qu’avez-vous gardé des récits d’Alice Munro dans le scénario définitif ?

Quand j’ai lu Fugitives, trois des nouvelles m’ont intéressé pour une adaptation : « Hasard », « Bientôt » et « Silence »). Les trois ont en commun leur héroïne, Juliet, mais elles ne se suivent pas – ce sont des récits indépendants. J’ai voulu les unir, en ajoutant ce qui manquait pour faire le lien. Pour écrire la première version du scénario, j’ai essayé de m’approprier ces trois histoires en gardant la liberté que nécessite un scénario, même d’adaptation. Quand j’ai eu fini, le doute m’a envahi : je n’étais pas sûr de ce scénario. Changer de langue, de culture et de géographie me faisait peur alors j’ai gardé ce premier brouillon sans stratégie concrète à cet égard, bien que j’aie acheté les droits des nouvelles.

Comment avez-vous fini par adapter ces intrigues au territoire espagnol ?

Je me suis replongé dans le brouillon il y a deux ans. Il m’a fait meilleure impression que je ne pensais, alors je me suis mis à transposer l’histoire en Espagne. Plus la version espagnole avançait, plus je m’éloignais d’Alice Munro, mais il fallait bien que je vole de mes propres ailes. Les nouvelles de Munro restent l’origine de Julieta, mais s’il est déjà difficile de traduire le style de l’écrivain canadienne dans une discipline comme le cinéma, qui est presque l’opposé de la littérature, faire passer ces récits pour des histoires espagnoles était impossible. J’espère que les admirateurs d’Alice Munro verront en Julieta un hommage à la lauréate du Prix Nobel.

Pourquoi le personnage central revient-il sur les lieux de son passé ?

Je crois aux répétitions et aux essais : l’être humain se retrouve souvent sans le vouloir dans des situations qu’il a déjà vécues par le passé, comme si la vie nous offrait une chance de répéter les moments les plus durs de l’existence avant qu’ils n’arrivent vraiment. Cette idée était déjà présente dans Tout sur ma mère. La mère, Manuela, est une infirmière employée par l’Organisation nationale de la greffe d’organes et elle aide les médecins dans cette tâche terrible qui consiste à annoncer la mort d’un patient à sa famille et à leur demander dans la foulée s’ils accepteraient qu’on prélève certains organes. Et puis une nuit, c’est Manuela qui se retrouve au coeur de ce protocole en tant que mère de la victime. Elle connaît la scène, cela fait des années qu’elle la vit, mais là, elle n’est plus du côté des médecins.

Alfonso RIVERA

Source partenaire : Cineuropa.
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