Le cinéma français d’animation ne trouve pas (encore) son public

Le cinéma français d’animation ne trouve pas (encore) son public
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Le 28 octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale du cinéma d’animation, s’est tenue au Centquatre Paris une table ronde organisée par l’Association Française du Cinéma d’Animation (AFCA) sur le thème : « Les salles et les longs métrages d’animation français. Entre marché et liberté de création, une équation impossible ? » Une rencontre professionnelle qui part d’un douloureux constat : l’échec, à leur sortie en 2015, de cinq longs-métrages d’animation français.

Tout en haut du monde, Phantom Boy, Adama, Dofus, Avril et le monde truqué : ces cinq longs-métrages d’animation français, sortis en 2015, ont pour point commun d’avoir réalisé moins de 200 000 entrées en salles – voire moins de 100 000. Leur excellence artistique, souvent récompensée dans les festivals, laissait pourtant espérer de meilleurs résultats. « Quelle est la raison de cet accident industriel ? », s’est interrogée l’AFCA dans une enquête* menée auprès des réalisateurs, producteurs, distributeurs, équipes de communication de ces films, ainsi que des salles indépendantes. Ce 28 octobre, les débateurs sont impliqués, inquiets, mais pas résignés. Le public, au Centquatre, est également très concerné : une majorité de jeunes, carnets de croquis sur les genoux, sans doute étudiants en école d’animation, appréhendent leur avenir…

Des films mort-nés faute de moyens

Si, ces dernières années, la production de longs-métrages d’animation français se développe quantitativement et qualitativement, ce n’est pas pour autant gage de réussite en salles. Pour le producteur Didier Brunner (Kirikou, Ernest et Celestine), la France ne pourra soutenir la concurrence avec les studios hollywoodiens que si elle s’équipe des mêmes moyens techniques et ne refuse pas la technique dominante sur le marché : l’animation 3D (CGI). Il décrit cet écartèlement entre le cinéma d’auteur, davantage enclin à utiliser des techniques plus artisanales (stop-motion ou 2D), et la pression d’un marché poussant au formatage afin de conquérir un public facilement ébloui par l’attrait technologique. Le rôle du producteur est aussi, selon Didier Brunner, d’influencer les auteurs sur la technique employée : plus cette dernière suit la tendance, plus il y a de possibilités de financements.

Côté salles, on déplore le phénomène de “concentration” qui ne laisse pas de place aux films “art et essai”. Alors qu’ils ont besoin de temps pour trouver leur public, ils sont trop vite évacués des écrans, dévorés par les blockbusters qui leur prennent toute visibilité. Des films mort-nés. Et lorsque les multiplexes s’essayent à exploiter ces films, ils les tuent par leur manque d’accompagnement, un mauvais positionnement horaire et l’absence de continuité.

Le système commercial n’est pas la seule raison de cet échec ; les moyens de production ou de communication du cinéma d’auteur restent aussi trop fragiles. Les réalisateurs Christian Desmares (Avril et le monde truqué) et Rémi Chayé (Tout en haut du monde) en témoignent. À les entendre, on se dit qu’il faudrait investir autant dans la préparation de la sortie en salles que dans la réalisation du film. C’est pourquoi le rôle du distributeur est primordial, bien que souvent escamoté faute de moyens et de collaboration. Les producteurs et distributeurs Séverine Lathuillère (Naïa Production) et Philippe Aigle (Naïa Production et Océan Film) témoignent de cette nécessité d’impliquer les créateurs dans la démarche commerciale : réalisation de l’affiche, teaser, communication digitale… Le producteur Henri Magalon (Maybe Movies) réclame lui aussi plus de solidarité entre les créateurs et les producteurs-distributeurs-exploitants. En outre, une solidarité financière peut être mise en place, notamment sur les dépenses marketing.

Vers une AOC de l’animation française ?

Enfin, ne faudrait-il pas se réjouir de la grande vitalité et de la richesse de l’animation française, au regard de ce que nous produisons comme fictions en prise de vue réelle (autrement dit le live) ? Plutôt que de chercher à copier le modèle hollywoodien, Louis-Paul Desanges (directeur de publication du site Benshi) nous invite à réfléchir à la spécificité de la création française : elle pourrait par exemple devenir un label, avec la création d’une « AOC » de l’animation française. La difficulté réside dans l’aspect prototypique des œuvres, qui, à l’inverse des Disney ou des franchises, ne bénéficient pas d’une recommandation acquise.

Dans le monde de l’animation, cet appel à renforcer les liens entre les différents maillons de la chaîne cinématographique n’est sûrement pas du luxe. Au vu des très beaux et ambitieux films sortis en 2015-2016, l’animation n’est plus une niche. C’est en se comparant au live, en sortant de ce préjugé qui la considère encore trop souvent comme une sous-catégorie du cinéma, parfois même reléguée au seul « Jeune Public », qu’elle pourra assurer sa légitimité et s’affirmer.

Suzanne DUCHIRON

* Enquête menée par l’AFCA en association avec Christian Pfohl (Lardux Films), membre du collège cinéma du SPFA.

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