Le festival d’Aurillac continue de soutenir la création, malgré l’annulation

Le festival d’Aurillac continue de soutenir la création, malgré l’annulation
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Le festival d’Aurillac, annulé, s’apprête à subir des pertes financières à tous les échelons. Pour autant, la direction du festival est loin d’avoir oublié les artistes, et la création avec eux.

À la suite de l’annonce faite par le gouvernement, le 28 avril dernier, les manifestations et rassemblements publics de plus de 5 000 personnes ne sont plus interdits jusqu’à mi-juillet, mais jusqu’au mois de septembre. Cette nouvelle contrainte a donc achevé de supprimer quantité de festivals prévus cet été, et ce, quelles que soient les mesures sanitaires mises en place. La 35e édition du Festival international de théâtre de rue d’Aurillac devait avoir lieu du 19 août au 22 août. Il est donc annulé.

Cette année, plus de 3 000 artistes et techniciens devaient venir pour transformer la ville du Cantal en théâtre à ciel ouvert. Durant les quatre jours, plus de 3 500 représentations étaient prévues, un nombre énorme qui explique la renommée non seulement nationale, mais aussi internationale de la manifestation. L’association Éclat, organisatrice du festival, a dû s’adapter à l’arrêt de ce gros événement du mois d’août. Passion de l’art oblige et solidarité en point de mire, la direction du festival est loin d’avoir oublié les artistes, et la création avec eux. De leur côté, les partenaires publics ont répondu présent. Mais les pertes financières seront là, toutes échelles confondues.

Entretien avec Frédéric Rémy, directeur du festival.

Frédéric Remy (© Darek Szuster)

Frédéric Remy (© Darek Szuster)

Comment a été vécue l’annulation de la 35e édition du festival d’Aurillac et dans quelle proportion la programmation sera-t-elle reportée en 2021 ?

Une annulation de spectacle se fait toujours la mort dans l’âme. Celle d’un festival tout entier provoque une sensation d’asthénie partagée par les milliers de personnes impliquées. Ne pas pouvoir user de la capacité créative de tous nos métiers pour que cet événement puisse quand même avoir lieu est très dur à vivre et questionnant pour l’avenir. Mais nous parlons ici de responsabilité, qui est la nôtre et qui est indiscutable. Les questions de sécurité sont toujours présentes dans l’organisation de rassemblements importants et d’autant plus quand le terrain de jeu est une ville entière. Face à la crise sanitaire que nous vivons et à ce qu’elle génère d’incertitude, nous sommes plus que jamais engagés. Pour le festival d’Aurillac, cette situation induit des conséquences multiples pour l’association Éclat, productrice de l’événement, mais aussi et surtout pour toutes ses composantes. Cette annulation a des répercussions incommensurables pour tout un secteur artistique qui se trouve quasiment à l’arrêt depuis plusieurs mois. En ce qui concerne la programmation dont nous rêvions cet été, nous envisageons différentes alternatives pour maintenir notre soutien aux artistes. Nous indemniserons certaines compagnies et envisageons des reports en 2020 hors temps de festival ou sur l’édition 2021.

Quelles sont les conséquences humaines (gestion des contrats, etc.) et financières (pertes, maintien ou non des subventions) de cette annulation ?

Pour nombre de travailleurs – directs et indirects – du secteur culturel, la perte de revenus s’étale sur plusieurs mois et l’absence de visibilité d’une reprise d’activité « normale » est dramatique. Malgré certaines dispositions gouvernementales, cette année « blanche » risque de révéler une injustice pour ceux qui ne dépendent pas de statuts spécifiques. Au festival d’Aurillac, l’équipe permanente a continué de travailler durant le confinement, mais l’organisation d’une telle manifestation induit le renfort précieux d’une équipe d’organisation spécifique dont l’embauche était actée. Pour tous ces collaborateurs techniques et administratifs, nous réfléchissons à l’attribution d’autres missions liées aux activités à venir du CNAREP – Centre national des arts de la rue et de l’espace public – ou à la mise en place de procédures de chômage partiel. C’est une responsabilité qui nous incombe, tout comme notre mission de soutien à la création qui a été plus que perturbée. Pour les compagnies que nous accompagnons et souhaitions accueillir cet été, nous échangeons avec les artistes pour prendre en compte leurs situations et leur permettre de continuer de créer ! Nos tutelles et partenaires publics nous ont confirmé le maintien de leurs financements. Cela note un engagement et une reconnaissance qui nous permet de rebondir malgré le contexte actuel. Mais nous avons tous conscience que les pertes économiques seront importantes, à la fois pour tous les acteurs d’un secteur artistique mais aussi pour tout un territoire. En 2013, l’impact économique direct du festival sur le territoire était de deux millions d’euros. Sept ans après, quel serait ce chiffre si le festival s’était déroulé normalement ?

Combien de personnes attendiez-vous cette année ?

Selon les estimations de 2019, la fréquentation journalière était de 60 000 personnes, soit 240 000 personnes sur les quatre jours du festival. Cette année, vingt compagnies officielles étaient invitées et plus de six cent cinquante compagnies s’étaient déjà inscrites au Rendez-vous des compagnies de passage (au 1er avril). Les chiffres sont les chiffres. Mais il est notable que plus de 3 000 artistes et techniciens se donnent rendez-vous chaque année à Aurillac, pour plus de 3 500 représentations en quatre jours. La diversité des spectacles proposés et le mélange des publics favorisent naturellement les croisements, creusets de liberté, d’hospitalité, de tolérance et source salvatrice de notre société. Ces chiffres reflètent surtout une dynamique artistique, culturelle et sociale unique en son genre. Aurillac est le plus grand rendez-vous du théâtre de rue au monde.

Pour la suite, quelles sont vos solutions pour pallier l’indécision encore présente ?

À chaque jour, son lot de surprises et de « directives » ! Nous avançons pas à pas, comme tous les acteurs culturels. L’accueil d’artistes en résidence au Parapluie – notre lieu de fabrique – reprend et nous permet le report de résidences qui ont été annulées ces derniers mois. Pour pallier un cruel manque de présentation de spectacles et de rencontres entre artistes et spectateurs – notamment entre professionnels—, nous imaginons une plate-forme en ligne pour les compagnies de passage qui souhaiteraient communiquer sur les spectacles qu’elles pensaient jouer cet été à Aurillac. Quant aux présences ou actes artistiques à Aurillac et dans le département du Cantal, il faut pouvoir à la fois écrire des projets rassembleurs et provocateurs de récits communs et inviter des propositions singulières dans un rapport différent au public. Notre essence même, notre nature profonde est la rencontre pour fouler ensemble cette terre commune. Il nous faut donc réfléchir aux conditions de ces rencontres, organisées ou fortuites, afin que la mission de service public qui est la nôtre ne soit pas délaissée en dépit des circonstances. Nous agirons avec conscience et responsabilité pour que l’art reste présent dans notre vie, intime et sociale et pour que l’espace public soit aussi libre que possible.

Propos recueillis par Louise ALMÉRAS

 



Photographie de Une – Lancement Aurillac 2009 (© Vincent Muteau)



 

 

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