“Le ministère de la Culture n’a pas encore pris la mesure des dégâts”

“Le ministère de la Culture n’a pas encore pris la mesure des dégâts”
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Une enquête vient d’être publiée par l’UFISC en ces temps où les acteurs culturels sont à l’affût de réponses, voire de solutions d’urgence, à la suite de la crise économique provoquée par les mesures contre la Covid-19.

Conduite avec l’association Opale, dédiée à l’économie sociale et solidaire (ESS), l’accent est mis sur les solutions proposées par l’ESS. En effet, si les chiffres sont parfois alarmants, le meilleur ressort reste celui de l’humain avec toutes les actions dont on le sait capable.

Tour d’horizon de la situation avec Luc de Larminat, codirecteur d’Opale.
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Tous les principes de l’économie sociale et solidaire permettraient-ils de trouver des solutions à la crise actuelle du milieu culturel, que l’économie classique ne permettrait pas de trouver ?

Les règles sont plutôt des principes de coopération – « un homme égal une voix », pas trop d’écarts entre les salaires, le capital réinvesti dans le projet – puisque ce ne sont pas des sociétés capitalistes. Donc, effectivement, on peut penser que la transparence sur les finances ferait en sorte que les plus perdants le soient un peu moins. Car il existe toujours, en quelque sorte, des perdants et des gagnants, qui font plus de profits sur le dos de ceux, artistes ou techniciens, dont la valeur non négligeable du travail est souvent mal rétribuée. Dans les principes et les énoncés de l’ESS, on pourrait donc trouver des notions qui réguleraient davantage la répartition des finances du fait de cette transparence, avec plus d’équité.

Durant la période de confinement, seules 15,9 % des structures ont procédé à la rémunération des contrats conclus ou non. Finalement, l’ESS pourrait intervenir en tant que garde-fou, puisque la tendance semble plutôt de sécuriser la structure plutôt que de protéger les artistes.

Oui, dans les annulations de contrats, notamment dans le cadre des spectacles, ceux qui en pâtissent sont ceux qui n’ont pas vendu leur spectacle. Certains ont été plutôt honnêtes mais, si on ne peut pas reprendre l’activité de septembre à décembre, est-ce que l’honnêteté perdurera ? C’est ce que l’on dit dans l’enquête. En règle générale, les premiers perdants sont ceux qui n’ont pas de subventions, puisque les 2/3 des associations culturelles dont on parle n’en obtiennent pas du ministère de la Culture. Et plus de la moitié des associations vivent de leurs recettes propres. Ce sont les premières à subir de grosses pertes. Selon nos estimations, il peut y avoir une perte d’un milliard et demi de recettes sur six mois, parce que l’ensemble de ces 40 000 associations culturelles représente sept milliards et demi de budget, dont la moitié sont des recettes d’activité et l’autre moitié des subventions. Mais cette période de baisse d’activités risque de durer jusqu’à huit mois… La perte serait alors encore plus énorme. Ce sont des estimations pour anticiper les mesures à mettre en place car, entre temps, les intermittents vont être un peu aidés ; les collectivités vont également apporter leur soutien aux associations et aux compagnies. Les principes de l’ESS jouent assez peu, car cela dépend surtout de l’intérieur des structures. Par exemple, la compagnie de cirque Galapiat (Côtes-d’Armor) ont appliqué un principe simple de l’ESS : la transparence économique. Ils ont demandé à chacun combien il gagne et avec combien il peut vivre. À partir de là, certains ont accepté de baisser leur salaire pour permettre aux autres de mieux s’en sortir. Ils ont également payé les salaires des artistes et techniciens pour les spectacles programmés sur le territoire. Le problème de ces structures est qu’elles naviguent autant dans le monde institutionnel que dans le monde plutôt industriel. Et cela ne dépend plus des bonnes volontés. Dans la musique, par exemple, beaucoup travaillent en auto-entrepreneuriat et ne seront pas payés. Le problème de l’ESS est qu’elle fonctionne dans un pays fondé sur l’économie de marché ; cela ne s’oppose pas, puisque le principe est que l’entreprise leur appartienne. Les limites de l’économie sociale apparaissent quand ils ne réfléchissent pas au-delà, au niveau politique. Dans la partie économie solidaire, le politique est davantage pris en compte et donc plus adapté à la situation actuelle.

La responsabilité individuelle, et donc le geste solidaire, au sein d’une structure est peut-être l’une des solutions dans une telle situation ?

Oui, nous demandons d’ailleurs depuis longtemps qu’il y ait des politiques publiques davantage tournées vers l’ESS, car sans cela, on peut s’arrêter uniquement à des principes moraux. Mais tant que l’on n’a pas une politique affirmée sur l’ESS, avec des avantages ou aides liés à son application par exemple, cela repose un peu trop sur les bonnes volontés individuelles. Or, l’économie du spectacle vivant ne repose pas sur l’économie de marché. Les milieux associatif et culturel en sont loin. On le voit aujourd’hui, les grosses entreprises qui vendent des produits culturels sont mortes si l’État n’est pas là en soutien.

Selon vos estimations, 71 % des structures sont inquiètes pour leur avenir à plus ou moins court terme. Parallèlement, 70 % sont en attente de subventions ou d’aides de l’État. Quelle est la part véritable des aides de l’État envers ces structures ? Ne serait-ce pas, par ailleurs, l’occasion pour elles de gagner en autonomie ?

C’est une part assez modeste. Plus de la moitié des associations (donc environ 20 000) ont moins de 20 000 euros de subventions, ce qui représente 400 millions. Parmi elles, on compte également des scènes nationales, qui ne devraient d’ailleurs plus avoir le statut associatif mais un statut public. Ces associations pourraient devenir plus autonomes, sauf qu’en général les aides sont destinées aux projets et non au fonctionnement des structures. C’est l’État qui a du mal à s’autonomiser par rapport aux associations, et ce n’est pas le même sens, car il a besoin de compagnies pour créer, de lieux pour diffuser, d’associations pour réaliser les actions artistiques. Ce que l’on appelle les subventions sont des formes de contractualisation, et non une aumône, car l’État estime tel projet d’intérêt général. Ceux qui présentent moins d’intérêt n’obtiennent pas de subventions en général. En France, il existe 350 000 associations culturelles, et seulement environ 20 000 sont aidées. Ce mode de subventions est adapté à l’ESS. En revanche, les politiques doivent comprendre que l’ESS repose sur plusieurs piliers : la vente d’un service ou d’un spectacle, l’obtention d’une subvention à la suite de la proposition d’un projet d’intérêt général ou encore l’activation de la réciprocité, c’est-à-dire la participation bénévole, la mobilisation des habitants, etc.

À la rentrée de septembre, 60 % des structures auront leur trésorerie à plat, et l’obtention des subventions ne sera peut-être pas reconduite en 2021. À quoi devons-nous nous attendre, notamment sur le plan de l’offre culturelle, la saison prochaine ?

Cela est similaire à une autre branche de métier. Si un lieu ferme ou si une compagnie s’arrête, arriverons-nous à le faire repartir ? Cela représente la perte d’un savoir-faire et, sans apport de nouveaux capitaux, ce n’est pas garanti que l’activité redémarre. Ce qui peut jouer en faveur de l’ESS est la diversité de son modèle économique, notamment avec le bénévolat et le système de don contre don. De notre côté, par exemple, nous avons soutenu une librairie en effectuant des préachats : cela lui a permis de tenir le temps du confinement. C’est la capacité de résilience de l’ESS. À la rentrée, des mesures vont être mises en place, en plus de l’année blanche pour les intermittents : aide à l’embauche des jeunes diplômés, allègements de charges sociales, fonds de solidarité pour combler des pertes de chiffres d’affaires. Tout cela aidera à absorber la perte de ce secteur. Concernant l’offre artistique, les compagnies les mieux organisées ou aux créations les moins avancées seront privilégiées, car elles n’ont pas perdu de représentations prévues. Les plus fragiles ou en début de carrière vont évidemment être fragilisées. Mais des systèmes ont été mis en place et vont servir de levier pour continuer, comme le filet de sécurité humain du chômage. Une éthique repose aussi sur ceux qui travaillent encore ; cela passera sans doute par une augmentation des cotisations. Quand je vois le nouveau plan de soutien du ministère de la Culture, je constate qu’il n’y a presque rien pour les associations culturelles, cela va d’abord aux institutions. Le tissu associatif va devoir compter sur la solidarité de ses fidèles.

Qu’avez-vous envie de dire à un artiste, une association, un distributeur inquiet pour l’avenir ? Vers quoi peuvent-ils se tourner ?

Il ne faut surtout pas rester isolé. Pendant le confinement, nous nous sommes réunis autour de l’UFISC qui a réuni une vingtaine de fédérations pour tenter de se mobiliser ensemble. De notre côté, nous gérons pour la partie culturelle le dispositif local d’accompagnement (DLA) présent dans chaque département pour accueillir les associations. Nous invitons tous ceux qui sont en difficulté à se tourner vers ces DLA, pour que nous puissions trouver des solutions tous ensemble, car nous sommes également en train de monter depuis deux mois des dispositifs de secours avec le Haut-commissariat de l’ESS pour les associations culturelles. Ils peuvent aussi se rapprocher des réseaux et fédérations autour de chez eux. On ne trouve pas de solution tout seul de son côté. À mon avis, le ministère de la Culture n’a pas encore pris la mesure des dégâts, même si la moitié s’en sortira.

Propos recueillis par Louise ALMÉRAS

En savoir plus :
Enquête publiée par l’UFISC
Association Opale

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