Le sentiment communautaire en festivals : un phénomène en pleine expansion

Le sentiment communautaire en festivals : un phénomène en pleine expansion
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Lors d’un festival, une communauté affectuelle se forme. D’où vient ce sentiment communautaire, à la fois si fort et si éphémère ? Qu’est-ce qui explique le besoin de nos contemporains à se retrouver lors de festivals ? Analyse d’un phénomène en pleine expansion.

Communautés affectuelles en festivals 1/5


Aujourd’hui administratrice adjointe de SOUKMACHINES, Mathilde Viot a achevé en 2018 une thèse professionnelle, dirigée par Dominique Bourgeon-Renault (Burgundy School of Business / MECIC), sur le thème : « L’impact des communautés affectuelles sur le développement des festivals ». Elle propose une synthèse de ses recherches dans une série de cinq articles publiés en exclusivité dans Profession Spectacle.


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Festivaliers aguerris ou novices, nous avons tous pu faire le constat, au cours de nos expériences festives, du sentiment communautaire qu’elles procurent. De cette impression d’être lié, on ne sait trop par quoi, aux personnes et à l’univers qu’elles forment à cet instant T. Ce moment éphémère qui échappe au reste, cette bulle en dehors du temps qui nous questionne sur la nature de notre relation avec le festif et avec l’autre.

Comment qualifier cette communauté, et surtout comment en expliquer l’apparition ?

La communauté affectuelle : qu’est-ce que c’est ?

Nous serions tenté de qualifier ces communautés d’éphémères, car c’est leur caractère mouvant qui est marquant, bien que ce terme soit un oxymore. La communauté renvoie plutôt à une certaine stabilité (par un mouvement de reproduction sociale), et est souvent synonyme de permanence, de reproduction, d’intégration. Comment une communauté pourrait-elle dès lors n’être qu’éphémère, ne s’exprimer que dans l’instant ?

Le terme « communauté » doit ici être compris dans son sens étymologique, et non politique, c’est-à-dire comme un groupe qui s’organise en partageant des choses ou caractéristiques communes (communauté vient du latin communis, dérivé de cum qui veut dire « avec », « ensemble », et de munus qui veut dire « charge », « dette » ; communis signifie donc, étymologiquement, « charges partagées », « obligations mutuelles »).

Michel Maffesoli, sociologue italien et auteur du Temps des Tribus en 1988, parle de communautés affectuelles. Elles sont fondées sur l’affect, le partage d’émotion, les sentiments vécus en commun. Dans cette perspective, la communauté se caractérise moins par un projet tourné vers l’avenir que par la réalisation en acte de la pulsion à être-ensemble. Quoi de mieux pour décrire le public rencontré en festivals ?

Pour bien comprendre le terme, il ne faut pas y voir un groupe fermé, permanent, identitaire, avec une intégration des membres « sacralisée ». Il faut plutôt le comprendre comme la composante d’un réseau au sein duquel il existe une convergence entre les membres, qui peut les conduire à « vivre » ensemble des moments selon une passion ou une frustration (un sentiment partagé). La communauté affectuelle est caractérisée par le va-et-vient constant de ses membres, en fonction de leurs passions partagées, de leurs lubies du moment.

La vie au jour le jour, l’hédonisme général, implique la constitution de groupes sociaux sans objectif clair et défini. Cette caractéristique implique naturellement l’instabilité dans le temps de ces communautés affectuelles.

Comment expliquer l’apparition de ces communautés dans nos sociétés contemporaines ?

Plusieurs caractéristiques, résultats directs ou indirects de nos sociétés contemporaines, peuvent expliquer le besoin des individus à se rassembler : le déclin de l’individualisme, l’importance du présent et le retour de l’affect dans la construction de nos relations.

Le premier facteur de l’essoufflement de l’individualisme se manifeste par le retour de la volonté des « masses » à déterminer le ou les rôles de chaque personne, dans une logique collective. La saturation générale des grandes machineries économiques, idéologiques, politiques amène une partie du peuple à se recentrer sur des objectifs « à portée de main ».

L’individu, ou plutôt la personne, ne vit et ne réagit qu’en fonction de ses relations avec d’autres : « Je n’existe que dans et par le regard de l’autre », précise Michel Maffesoli dans un entretien au magazine Psychologies. La personne est plurielle : elle choisit des « masques » grâce auxquels elle peut être à la fois ceci et autre chose. La recherche d’appartenance, de partage, est fonction de la sociologie de notre époque.

On observe aussi la volonté des personnes de vivre au jour le jour, en contraste avec les valeurs de progrès et de croissance que tente de nous « imposer » l’ordre institutionnel. Le retour du « destin », impliquant les rituels, le plaisir, les mythes et les imaginaires partagés, participe à la constitution de ces communautés mouvantes, fondées sur la passion, sans but en soi.

Cet hédonisme se caractérise par un retour du rapport tactile, un besoin des individus à communiquer, à utiliser leurs sens, à partager des « moments ». Dans ces moments, c’est moins l’individu qui compte que la communauté dans laquelle il s’inscrit.

Aux origines de la communauté

La fête, ou la manifestation festive, a toujours existé. Elle remonte à la nuit des temps ; elle représente un exercice majeur de socialisation de l’être humain, qui depuis toujours a un besoin naturel de se rassembler, de créer du collectif, de s’identifier par des affinités avec l’autre. Le caractère festif est d’autant plus socialisant qu’il représente souvent un moment hédoniste, de rassemblement collectif autour d’une passion partagée.

Anthropologiquement, la fête est souvent propice à la mise en relation de ce qu’il faut ordinairement séparer : classes sociales, sexe, âge, voire le vivant et le mort, le divin et l’humain, le social et la nature. Ce mélange social est notamment dû au fait que le temps festif est séparé, voire posé en opposition aux temps « ordinaires » et aux conventions de la vie sociale de l’être humain. L’individu est alors « libéré » de son rôle social ; il préfère se fondre dans l’indivis, s’étourdir presque avec frénésie, jouissance et vertige.

En permettant aux individus de s’inscrire dans des groupes restreints, les fêtes produisent de l’identité individuelle : aller dans tel ou tel type de lieu ou d’événement vous « marque » et permet de « s’affirmer comme », selon les expressions de Sébastien Fournier, Dominique Crozat, Catherine Bernié-Boissard et Claude Chastagner, co-auteurs de La Fête au présent : mutations des fêtes au sein des loisirs en 2009.

La fête s’organise autour de la célébration d’une passion partagée. Il faut entendre le mot passion au sens philosophique, c’est-à-dire « ce qui est subi par quelqu’un ou quelque chose, ce à quoi il est lié ou par quoi il est asservi, par opposition à l’action ». La passion est alors complètement séparée de la volonté ; elle agit comme une pulsion dont l’être humain ne peut se détacher et qu’il ne peut modifier, parce qu’irrationnelle.

Mondialisation et digitalisation des communautés

La fête permet de construire des idéologies territoriales en passant d’un discours identitaire individuel à un discours identitaire collectif. Même si ces discours sur les lieux ont toujours existé, Abraham Moles observe que la considération de leur rôle s’est largement accrue avec l’explosion des brassages de populations, de la mondialisation (Théorie structurale de la communication et sociétés, 1986).

La mondialisation a participé grandement à l’ouverture des festivals. Elle explique donc aussi l’ouverture des communautés festives : originellement axées sur le local, elles deviennent de plus en plus globales.

La digitalisation a considérablement ouvert le champ « thématique » des fêtes et festivals. L’explosion d’internet a permis à de nombreuses « sous-cultures » de s’imposer et de s’ouvrir au grand public. On peut presque affirmer que la digitalisation a permis à nos communautés affectuelles contemporaines de prendre leur caractère mouvant.

La digitalisation a permis l’apparition de ce qu’Abraham Moles appelle les « villages » virtuels qui s’entrecroisent, s’opposent, s’entraident : les réseaux. Ils représentent le va-et-vient constant entre la tribu et la masse, la matrice globale où se cristallisent une multitude de pôles d’attraction, dont le ciment est composé par la proximité et l’affectuel.

Mathilde VIOT

 



En partenariat avec le MECIC /  Burgundy School of Business de Dijon

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