Les Français au Fringe d’Edimbourg : plongée dans l’industrie du spectacle anglo-saxon

Les Français au Fringe d’Edimbourg : plongée dans l’industrie du spectacle anglo-saxon
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Créé en 1947, le Fringe d’Édimbourg est l’un des plus grands rassemblements de spectacles en tout genre de la planète. À la fois festival et marché, l’événement ouvre les portes de l’international aux compagnies qui osent s’y aventurer. Mais le Fringe est aussi une jungle. Pour faire de l’expérience un succès, il faut savoir se vendre… et dépenser beaucoup de sous. Retour d’expériences avec plusieurs artistes français.

C’est la première fois que Raphaël Gouisset, membre du collectif Les Particules, se rend au Fringe. Il y présente son spectacle World Wild Western, une prise de plateau qui comprend de la navigation sur Internet en direct. « Je suis venu ici pour croiser des professionnels internationaux, ce qu’on ne voit pas à Avignon, qui reste très français », explique-t-il. Son spectacle se prête bien à un environnement international car il est quasiment sans parole – à Édimbourg, il vaut mieux parler anglais. En revanche, il ne serait jamais venu s’il n’en avait pas eu l’opportunité par le biais de l’Institut français d’Édimbourg. « J’ai répondu à un appel à projet, raconte-t-il. L’institut a mis à ma disposition une salle de réception transformée en salle de spectacle et nous partageons la recette. » L’année prochaine, il ne compte pas revenir au festival, à moins d’être soutenu dans un cadre par la France ou par une autre structure : la dépense est trop conséquente.

De son côté, cela fait trois fois qu’Anne Bertreau se rend au festival. Cette comédienne, qui travaille à Paris et en Angleterre, vient cette fois présenter A Voice, un spectacle qu’elle qualifie de « one woman musical ». Elle reconnaît que le Fringe est un gouffre financier, mais année après année, l’expérience commence à porter ses fruits. « Il y a une phase de découverte et d’apprentissage, après, ça marche plus vite, observe-t-elle. Quant au budget, si on choisit une petite salle et qu’on fait attention, on peut s’en sortir, surtout si on réussit à vendre le projet par la suite. »

Summerhall…

Par son expérience au Royaume-Uni, Anne Bertreau a découvert le système de subvention qui irrigue le milieu culturel britannique, mais elle a toujours su se débrouiller au Fringe sans y avoir recours. Trouver un lieu où se produire à Édimbourg n’est d’ailleurs pas ce qu’il y a de plus difficile, selon elle, mais seules les salles les plus connues constituent les meilleurs tremplins. « Il faut un cadre, reconnaît Raphaël Gouisset. Ce n’est pas le cas de l’Institut Français, qui passe inaperçu ; l’équipe n’a ni l’expérience ni l’artillerie pour attirer les professionnels. En tant que Français, il faut identifier les endroits pour être repéré et où aller boire des bières ! » Parmi les incontournables, Édimbourg compte le Summerhall, le Pleasance Courtyard, The Stand ou encore Assembly Roxy. A défaut de se produire dans ces grandes salles, Raphaël Gouisset a embauché un bureau de production local pour faire venir les professionnels à ses représentations.

« Pour sortir du lot, j’ai fait des spectacles avec une approche particulière, commente pour sa part Anne Bertreau. L’un portait sur l’immigration, le spectacle actuel porte sur le droit des femmes. Cela attire. » Anne Bertreau s’est aussi appuyée sur la Société du Fringe, qui coordonne l’ensemble de l’événement. « L’équipe a été incroyable, ils se positionnent vraiment du côté des artistes, souligne-t-elle. On peut les appeler, ils nous aident à revoir le dossier de presse, par exemple. »

Jean-François Alcoléa, directeur d’Alcoléa & Cie qui se produit pour la première fois sur le Fringe, estime quant à lui que la société exerce un gros monopole sur le festival. C’est notamment le cas par le biais de l’agence de communication Out of Hand, qui s’occupe de la promotion des artistes. « Chaque étape est monétisée, de l’affichage au service de presse. On ne peut pas s’en sortir sans eux. » Sa compagnie présente une performance de ciné-concert autours de Georges Méliès. Elle est également accueillie par l’Institut français d’Édimbourg. Si leur spectacle a déjà été produit plus de quatre cents fois, y compris à l’étranger, la compagnie entend continuer de le développer à l’international, d’où l’intérêt pour le Fringe. « L’idée était de voir comment le public du festival allait réagir, mais aussi de voir comment les professionnels allaient accueillir ce spectacle », précise le directeur.

Uberisation du spectacle

Le Fringe offre aussi à ces artistes l’expérience de l’univers anglo-saxon du spectacle. « En France, nous sommes dans une bulle, analyse Raphaël Gouisset. Le système de création est très bien. Ici, on se prend le côté “business” du spectacle en pleine figure. Il n’y a pas d’affichage sauvage, comme à Avignon. Il faut payer des agences qui placeront elles-mêmes les affiches. Tout est millimétré, on ne nous laisse pas une minute de plus pour préparer le plateau. Il faut être plus entrepreneurial qu’en France. »

Il décrit le festival comme étant l’uberisation du spectacle avant l’heure, avec notation des représentations des uns par les autres. « Tout le monde met des étoiles à tout le monde. Mais même si on se demande quelle est la valeur des cinq étoiles attribuées par un obscur blog, on valorise quand même cette référence parce que cela marche ainsi. »

Autre caractéristique anglo-saxonne : le premier contact avec les professionnels est plus fluide qu’en France. « On peut facilement passer des soirées à boire des coups avec des programmateurs », confirme-t-il. Hélas, cela ne signifie pas pour autant que vous allez faire affaire avec eux.

Chloé GOUDENHOOFT
Correspondante Grande-Bretagne

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Lire aussi : The Fringe : le off d’Édimbourg, entre festival et marché
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Photographie de Une – Raphaël Gouisset, World Wild Western (crédits : Carine H. Photographie)



 

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