Lionel Sautet : “Quelle place pour les rêveurs et les utopistes, les lents et les poètes ?”

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Lionel Sautet adapte et met en scène Ay Carmela !, pièce du dramaturge J. S. Sinisterra qui raconte l’histoire de deux comédiens en pleine guerre civile espagnole. Une pièce entre « rire » et « tragique », à découvrir le mois prochain au festival Off d’Avignon.

AVIGNON IN/OFF 2021

En 1986, le dramaturge espagnol José Sanchis Sinisterra écrit Ay Carmela !, qui met en scène un duo de comédiens banal se retrouvant à jouer pour des officiers franquistes, en plein milieu de la guerre civile espagnole.

Le texte fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Carlos Saura en 1990. C’est au tour de Lionel Sautet de s’en emparer : il en signe l’adaptation et la mise en scène, et s’en fait l’interprète, donnant la réplique à Caroline Fay.

Entretien avec Lionel Sautet.

Qu’est-ce qui, dans ce texte écrit par le dramaturge espagnol José Sanchis Sinisterra sur la guerre d’Espagne au siècle dernier, vous a particulièrement plu ?

Je connais ce texte depuis vingt ans et j’ai voulu en faire le support de ma première mise en scène, après n’avoir toujours été « que » comédien. Il contient tout ce que j’aime, du rire au tragique, en suivant le destin de deux comédiens de cabaret, piégés dans le camp fasciste et obligés de jouer pour un parterre d’officiers… Et puis le contexte historique effectivement, parfois méconnu. Je suis friand de docu-fiction, et pouvoir m’immerger dans une période très particulière de notre Histoire européenne m’attirait.

Comment avez-vous construit la mise en scène ? 

J’ai eu, tout le long du travail, une phrase de Victor Hugo en tête, selon qui « la beauté, c’est l’infini entouré d’un contour ». J’ai toujours cherché à simplifier ce qui n’est pas « simple » : adaptation du texte, scénographie, costumes, chansons ou travail du corps… pour ne garder que l’essentiel (pour employer un mot à la mode).

Et puis, J. S. Sinisterra nous invite dans deux mondes : celui du présent et celui du passé, celui de l’action et celui des regrets, une dualité que nous vivons tous, il me semble. Paulino, mon personnage, le vit de façon intense, au point de s’y perdre quelque peu…

Dans votre présentation, vous insistez sur le fait que la guerre civile espagnole est un prélude à la Seconde Guerre mondiale : en quoi cette dimension vous paraît-elle importante aujourd’hui ?

Belle question ! Nous sommes des êtres sensibles… Annie Lebrun a dit, il y a plusieurs années, qu’« il y a bien longtemps qu’un crime est commis contre le sensible ». Je trouve cela tellement juste. Quelle place pour les rêveurs et les utopistes, les lents et les poètes ? Il nous faut être rentables et productifs, au point que l’idéal s’incarne aujourd’hui dans la machine : elle serait tellement plus parfaite que l’être humain, tellement moins faillible ! Et ce que je sens, en espérant que ma sensibilité me trompe, c’est qu’un nouveau fascisme est à nos portes. Aujourd’hui, le confort du numérique nous fait oublier l’aliénation qu’il représente, et les exercices d’obéissance que nous subissons depuis quelques temps nous font oublier que la liberté est tellement plus essentielle à l’être humain que la sécurité, surtout quand celle-ci est fausse.

Alors je trouve des échos dans le texte de Sinisterra. En 1936, le Front Populaire (une alliance de partis de gauche) est au pouvoir en France et en Espagne, ce qui est insupportable pour les conservateurs, qui préféreront toujours le fascisme au Front Populaire. À la fin des années 1930, le soutien d’Hitler et de Mussolini au coup d’État franquiste lui permet de s’imposer, et fait basculer l’Europe dans la Seconde Guerre mondiale…

Le fascisme peut prendre un tout autre habit. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, il ne suffirait pas de coller une fausse photo sur sa carte d’identité pour échapper à un contrôle…

Après un an et demi de crise sanitaire et de restrictions politiques, vous présentez votre spectacle à Avignon. Où et quand vous retrouver ?

On sera à Avignon car on a besoin de faire que notre spectacle existe, besoin de retrouver le public, besoin de remettre de l’art dans nos vies ! On jouera notre Ay Carmela ! tous les jours à 14h30 au théâtre de l’Atelier florentin, sauf les lundis 12, 19 et 26 juillet. Vous avez toutes les informations concernant le spectacle sur le site de la compagnie.

Propos recueillis par Nadège POTHIER

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