Maël Lucas : « La facilité, c’est pour l’artiste de se poser en martyr face à la barbarie. »

Maël Lucas : « La facilité, c’est pour l’artiste de se poser en martyr face à la barbarie. »
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Le long fleuve tranquille change de couleur, l’espace d’un instant. L’horreur nous lie, nous effraie, nous intrigue, et sur tous les canaux, sur toutes les ondes, chacun y va de sa raison, de son opinion. On nous demande, on se demande, ce que l’on peut faire. Chacun semble se chercher une nouvelle case temporaire, en voulant prouver que l’on est important en ces moments déchirants. Le politique, le philosophe, le juge, le sociologue. Et le poète, lui, attend un petit peu, dans une timidité bouleversée par la violence du monde réel.

L’humilité de l’artiste face à la violence

Puis il viendra brandir un petit drapeau de la culture, affirmant l’importance de la poésie face à la barbarie. Sans virulence, il attendra que la tempête passe, en fustigeant le Front National et tous ceux qui voudraient le reléguer au second plan dans les questions politiques contemporaines.

Que peut-il faire, vraiment, l’artiste ? Nous avons pris plaisir à brandir des foules de petites caricatures, à lever nos crayons vers le ciel, à inventer de beaux hymnes à la tolérance et à l’amour face à la violence. Peut-être serait-il le moment de prendre un peu de recul.

Mon courage à moi s’est évanoui, l’espace d’un instant, vendredi soir. J’ai eu peur, vraiment peur, de ces hommes qui nous veulent du mal. Et filmer, dessiner, chanter, pour nous-mêmes ou pour nous convaincre que nous n’avons pas peur, semble désormais bien dérisoire. Que peut-on faire ?

Il me semble que le plus urgent est d’abord de trouver des réponses, de rassembler les témoignages, les analyses et les opinions. Mais pour prétendre avoir les réponses, il faut poser les bonnes questions. En cela, l’art a son rôle.

J’ai eu peur, vraiment peur, de ces hommes qui nous veulent du mal. Et filmer, dessiner, chanter, pour nous-mêmes ou pour nous convaincre que nous n’avons pas peur, semble désormais bien dérisoire.

C’est aux côtés du sociologue, du philosophe et du politique que l’artiste peut trouver sa place en ce genre de situation. En interrogeant, en témoignant des dimensions qu’il est le plus apte à toucher du doigt : l’émotion, l’expression directe et évidente de la subtilité complexe d’une situation, la capacité de prendre du recul par rapport à d’autres plans d’analyse, donc l’anticipation.

Gare à la récupération artistique, selon la juste expression de Pierre Gelin-Monastier, comme à la récupération politique. L’artiste face à la violence doit être humble. Avoir l’intelligence, comme tous ceux dont l’analyse et la compréhension devraient être la priorité en ces heures, de faire la part entre la défense et la proclamation de notre liberté et de nos valeurs, et la nécessité de la compréhension de la violence.

L’artiste : un bâtisseur du long terme

Comme en d’autres temps, il faut comprendre la banalité du mal, s’acharner à rappeler, contrairement à ceux qui nous ont dans le viseur de leurs kalachnikovs, qu’ils sont des hommes, pas des chiens. Si nous devons nous défendre, il est impératif de comprendre qu’il ne s’agit pas d’éliminer des parasites fanatiques, mais d’enlever la capacité de nuire à une idéologie beaucoup trop dangereuse dans le court terme pour la possibilité d’une quelconque discussion. Le court terme est un terrain sur lequel l’artiste ne peut peser autant que le politique ou le militaire.

L’artiste face à la violence doit être humble. 

Mais sur le long terme, il serait intéressant de se poser davantage la question de savoir qui nous avons en face de nous. Quelle est donc la culture de ces hommes et de ces femmes qui veulent nous mettre à genoux ? Quelle part de leur identité les laisse si faibles face à cette radicalisation qui ne peut que les mener vers toujours plus de souffrance ? Qu’avons-nous encore de commun avec ces gens-là ? Si nous ne pouvons plus du tout leur adresser notre envie de communiquer, alors aurons-nous eu, du moins, le mérite de nous poser la question.

Par ailleurs, face à ceux qui ne les ont pas encore rejoints, mais qui chaque jour se risquent un peu plus sur des terrains qui les emportent vers un islamisme ultraviolent, que pouvons-nous faire ? C’est le monde qui devient toujours plus violent, pas juste quelques énergumènes avides de sang.

L’artiste peut et doit mettre ce monde à découvert, le mettre à nu pour que tous puissent l’analyser et le mettre en débat, tel qu’il est.

Mettre à nu pour dévoiler l’humanité

La guerre est là, avec toutes ses horreurs.

L’artiste, en temps de guerre, a la responsabilité de voir plus loin que le soldat.

Que ce soit sur le territoire national ou international, il porte en lui le discours qui rappelle à chaque instant que nos républiques ne se laisseront entraîner dans la violence qu’en dernier recours. À chaque tentation de nos sociétés à se laisser emporter dans une logique de réplique, l’artiste en appelle à cette temporisation qui fait de nous des êtres humains.

Quand notre président prononce ces mots terrifiants : « nous serons impitoyables », l’artiste doit rappeler : « nous sommes humains ». Le pacifisme n’a pas à être un refus obstiné et naïf de la violence. Mais il doit être un discours permanent de responsabilité, de mesure et de subtilité face aux logiques de guerre.

La facilité, c’est pour l’artiste de se poser en martyr face à la barbarie.

L’artiste peut et doit mettre ce monde à découvert, le mettre à nu pour que tous puissent l’analyser et le mettre en débat, tel qu’il est.

La responsabilité, c’est de devancer la violence pour montrer combien nous perdrons de notre humanité en s’entraînant mutuellement dans une passion vengeresse.

L’exigence, c’est d’être obstiné dans la recherche de la vérité ; celle-ci se cache toujours dans un océan de nuances, de subtilités et de paradoxes.

Tel l’aïkido, cet art martial qui n’accepte pas la violence envers l’adversaire, mais cherche d’abord à arrêter le combat, puis en dernier recours à neutraliser l’agresseur, l’art en temps de guerre doit saisir la réalité qui se présente à lui, sans jamais devenir un art de la violence.

Maël LUCAS

Jeune réalisateur

Dans la même série :

  1. Pierre Gelin-Monastier : « Au lendemain des attentats, gare à la récupération artistique !« 
  2. Ariel Spiegler : « L’épouvante et la honte : seconde victoire des terroristes ?« 
  3. Pascal Boulanger : « La gueule enfouie ils ne regardent jamais le ciel« 

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