Quatre questions sur le scandale de l’AGESSA, la sécurité sociale des auteurs qui a oublié de prélever les cotisations retraite

Quatre questions sur le scandale de l’AGESSA, la sécurité sociale des auteurs qui a oublié de prélever les cotisations retraite
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Pendant quarante ans, l’AGESSA, la sécurité sociale des artistes-auteurs, a « oublié » de prélever les cotisations retraites de ces derniers. Près de cent quatre-vingt-dix mille personnes pourraient être touchées par cette erreur.

L’affaire fait grand bruit depuis la diffusion d’un reportage dans le 20 heures de France 2. Profession Spectacle revient sur ce que l’on sait de cette affaire.

1. Que s’est-il passé ? 

C’est en se plongeant dans le rapport Racine, remis au ministre de la Culture le 22 janvier dernier, que l’on découvre que « plus de 190 000 [artistes-auteurs] n’ont jamais été prélevés de cotisations à l’assurance vieillesse depuis […] 1975, alors que le contraire leur était indiqué ». En cause ? L’AGESSA qui a manqué à sa mission. Depuis sa création dans les années 1970, elle est chargée d’encaisser les charges sociales, mais jamais les cotisations vieillesse de ses assujettis, alors que cela faisait partie de sa mission, comme le rappelle franceinfo.

Selon le directeur Thierry Dumas, interrogé par France 2, l’AGESSA manquait de moyens pour organiser le recouvrement de ces cotisations. « Ça me semble tout à fait vrai que l’AGESSA n’a pas fait son travail pendant une quarantaine d’années, je le dis. Ça peut paraître un peu étonnant en tant que directeur, mais c’est la réalité. En fait, au fil des dizaines d’années, les conseils d’administration successifs de l’AGESSA ont demandé instamment à leurs ministères de tutelle de leur donner les moyens de recouvrer cette cotisation, sans réponse. »

2. Qui est touché ? 

L’AGESSA, l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs, s’occupe des écrivains, des dessinateurs, mais aussi des photographes, des compositeurs de musique ou encore des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. Jusqu’au 31 décembre 2018, elle était chargée de recouvrir les cotisations et contributions sociales de ses assurés pour le compte de la Sécurité sociale.

Mais depuis le 1er janvier 2019, tout comme la Maison des artistes, son périmètre a été réduit. Elle assure désormais le contrôle du champ d’éligibilité au statut d’artiste-auteur, l’affiliation au régime social des artistes auteurs, le recensement permanent des artistes-auteurs et des diffuseurs de leurs œuvres résidant fiscalement en France, y compris les DOM, l’action sociale en faveur des artistes-auteurs, la gestion du recouvrement des cotisations et contributions dues au titre de périodes antérieures au 1er janvier 2019 (déclarations, paiements, régularisations, gestion de comptes…) hors contentieux et, enfin, l’information des artistes-auteurs sur les conditions d’affiliation et les prestations auxquelles ils peuvent prétendre.

3. Concrètement, quelles sont les conséquences ? 

Elles sont socialement dramatiques, précise le rapport, puisque les artistes-auteurs concernés, qui, de bonne foi, pouvaient légitimement aspirer à percevoir une pension de retraite à proportion des cotisations qu’ils pensaient avoir versées, se trouvent privés des droits correspondants.

À Angoulême, Éric Wantiez, scénariste de bande dessinée de 61 ans explique son cas à France 2. À soixante-et-un ans, il pense à la retraite… mais son relevé de carrière, qui liste ses trimestres cotisés, lui réserve une mauvaise surprise : « J’ai un énorme trou de dix ans de 2002 à 2012 ou y a rien. Alors que j’ai toujours travaillé ! » Avec quarante trimestres manquants, il ne touchera qu’une pension de 255 euros par mois. « C’est fou parce que ces dix ans, ces dix ans-là, oui je n’ai pas cotisé mais ce n’est pas mon choix ! Ce n’est pas moi qui ai choisi de ne pas cotiser ! »

Outre le fait que cette carence a conduit à placer certaines des personnes concernées dans une situation de grande précarité, elle a concouru à créer un sentiment d’insécurité et de défiance vis-à-vis des associations en charge de la protection sociale des artistes-auteurs. Le rapport conclut en pointant du doigt « une absence de réflexion globale et prospective sur la situation des auteurs ».

4. Qu’en est-il des futurs retraités privés de leurs cotisations ? 

Contactés par franceinfo, les ministères de la Culture et de la Santé indiquent avoir « pris le problème à bras-le-corps », les cotisations de tous les auteurs étant collectées par l’URSSAF depuis le 1er janvier. Mais pour l’instant, aucune information n’est communiquée sur les auteurs privés de retraite, qui atteindront bientôt l’âge de se retirer de la profession.

Pour répondre à cette situation, le gouvernement a créé une possibilité de régularisation de cotisations d’assurance vieillesse prescrites, par une circulaire interministérielle du 24 novembre 2016. Ce dispositif permet aux artistes-auteurs concernés de payer leurs cotisations a posteriori. Toutefois, eu égard à son coût pour les intéressés, quelques dizaines d’artistes-auteurs seulement ont pu se permettre d’opter pour cette régularisation.

En outre, pour l’avenir, depuis le 1er janvier 2019, une cotisation d’assurance vieillesse de 6,90 %, qui aurait dû être prélevée depuis toujours, s’applique à tous les revenus d’auteur dès le premier euro, ce qui, bien qu’ouvrant enfin les droits à la retraite de tous, entraîne des charges supplémentaires qui n’avaient pu être anticipées. Pourtant, ce n’est pas en ce début d’année que ce problème semble avoir été découvert. En 2012 déjà, le commissaire aux comptes de l’AGESSA alertait sur l’absence de collecte, refusant alors de certifier la comptabilité de l’organisme. La CAAP (Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et des artistes-autrices) alertait déjà sur ce grave dysfonctionnement et bien d’autres encore.

Jacques GUILLOUX

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