Sébastien Lancrenon : un Français à la conquête de Londres, capitale mondiale de la comédie musicale

Sébastien Lancrenon : un Français à la conquête de Londres, capitale mondiale de la comédie musicale
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Quel meilleur endroit pour se lancer dans la comédie musicale que Londres ? Cette conviction, Sébastien Lancrenon a voulu en faire une réalité. L’ancien directeur de Radio Classique a quitté ce poste et sa vie parisienne pour monter, outre-Manche, son projet sur Louis Braille. Son objectif : s’entourer des meilleurs et se lancer dans des conditions optimales pour séduire les investisseurs et faire grandir son spectacle.

La détermination. S’il y avait une qualité essentielle pour se lancer à Londres dans le milieu de la comédie musicale, ce serait bien celle-là. Sébastien Lancrenon, ancien directeur de Radio Classique, en est persuadé, et comme il a « la rage », il décide de franchir le pas. En 2014, il quitte sa vie parisienne pour monter The Braille Legacy au Royaume-Uni. Ce projet de théâtre musical raconte l’histoire de Louis Braille, l’inventeur de la technique de lecture homonyme. L’écriture commence en France deux ans auparavant, avec l’aide de Jean-Baptiste Saudray pour la composition.

La décision de franchir la Manche pour la production s’est imposée d’elle-même. « Londres est la capitale mondiale de la comédie musicale, souligne-t-il. 15 millions de tickets se vendent par an*, plus qu’à Broadway et qu’en France ! » Au-delà des chiffres, le choix de la terre d’Albion résulte aussi de la volonté de se former auprès des meilleurs talents et de rencontrer, selon lui, le meilleur public de ce genre. « Les Anglo-saxons veulent être divertis, ils veulent sentir des émotions, cela fait partie de leurs valeurs. »

« Si cela ne va pas, on vous le dit, mais avec élégance »

Pour adapter son projet, il recourt à Ranjit Bolt, un Britannique expert en littérature française classique. Afin de répondre aux exigences et au goût londonien, il doit néanmoins tout retravailler. « Il s’agissait d’un spectacle de trois heures, très historique, très français, raconte-t-il. Mais il a fallu reprendre toute la structure du spectacle, qui dure désormais deux heures. En Angleterre, les professionnels vous disent tous : raconte une bonne histoire ! Il ne s’agit pas que d’une partition, le spectacle doit servir une narration ». Par exemple, il abandonne l’idée de recourir à trois différents comédiens pour scander les étapes de la vie de Louis Braille, de l’enfance à l’âge adulte. « Changer d’acteurs en cours de spectacle détruit tout ce qui a été créé au début. Il faut repartir à zéro, or cela ne permet pas au public de tomber raide dingue du personnage. »

Ce travail de restructuration se réalise grâce aux échanges permanents entretenus avec des professionnels britanniques. « L’Anglais est assez direct, assure le créateur du spectacle. Si quelque chose ne va pas, on vous le dit, mais avec élégance. L’objectif est collectif ; tout le monde cherche à atteindre le meilleur potentiel du projet. Il n’y a pas de petit spectacle. Ce n’est pas parce qu’il n’existe pas encore qu’on ne vous prend pas au sérieux ». Pour réussir, le show doit toutefois être « bankable » et remplir les salles. « L’aspect commercial n’est pas un gros mot ici, confirme Sébastien Lancrenon. Mais ce qui est formidable, c’est que cela n’empêche pas le spectacle d’être qualitatif. »

Un showcase au Savoy Theatre

S’il affirme ne pas avoir de contacts en arrivant, il identifie tout de même les personnes avec qui il veut travailler. « Les Anglais sont professionnels ; quand vous appelez une personne ou son agent, on vous recontacte. » Il faut néanmoins faire preuve de persévérance… L’une de ses premières démarches consiste à s’entourer de quelques acteurs pour donner vie au texte, afin de retravailler la matière de façon vivante. Il approche Stephen Crockett, directeur de casting au sein de l’influente agence David Grindrod Associates Ltd. Il fait également appel à Jo Hawes, experte des castings d’enfants en Angleterre. Le Français du West End Jérôme Pradon, qui a fait ses débuts en tant que Marius dans Les Misérables de 1991 et qui apparaît dans Mamma Mia, accepte de rejoindre l’équipe de Braille Legacy, dans le rôle du Dr. Pignier, le responsable de l’établissement où se trouve Louis Braille.

Sébastien Lancrenon organise ensuite des workshops et des showcases pour présenter son travail en novembre 2014, en février et mai 2015, et enfin en mai 2016, au Savoy Theatre. C’est à cette occasion qu’il entre en contact avec Tom Southerland, directeur artistique du Charing Cross Theatre. À son actif, l’homme compte quelques productions comme Parade, Ragtime ou encore Titanic, spectacle pour lequel il reçoit les prix WhatsOnStage et Off West End Awards (meilleure production). Sébastien Lancrenon lui propose de mettre en scène le spectacle en août 2016. Les répétitions commencent en mars 2017. Cinq semaines plus tard, la première se déroule au sein du Charing Cross Theatre.

L’auteur a créé deux entreprises pour donner vie à ce spectacle : la première en détient les droits, la seconde possède une licence pour le produire à Londres. Cette dernière société loue la salle et emploie le reste des professionnels. Au total, la comédie musicale rassemble près de 50 personnes, dont sept musiciens et un chef d’orchestre. « À Londres, tout est réalisé en live, on ne se pose même pas la question. »

Représentation à perte

Pour mener ce projet à bien, 100 000 livres sterling ont été investies pour les coûts de développement (workshops et showcase). La production au Charing Cross Theatre se chiffre à quelque 400 000 livres sterling, ce à quoi s’ajoutent des contrats d’intervenant à intervenant pour l’équipe créative. À la question de savoir si Sébastien Lancrenon rentre dans ses frais, la réponse est non. « Le théâtre possède 255 places commercialisables, détaille-t-il. La production est bien trop grosse pour ce lieu ! Mais le véritable objectif est de montrer notre travail à un vrai public. Le plus dur en Angleterre, c’est de trouver un théâtre, surtout pour un étranger, et encore plus pour une création originale qui ne s’inspire ni d’un livre, ni d’un film. Ce genre de salles sert à montrer le spectacle et à recueillir des feed-back. Il faut se démener pour attirer les programmateurs, séduire les propriétaires du West End et les investisseurs étrangers. »

Après onze semaines de représentation, cette première mouture du spectacle s’est achevée le samedi 24 juin dernier. Sitôt le rideau tiré, Sébastien Lancrenon s’est remis au travail, en tenant compte des remarques des professionnels comme du public. Il s’apprête aussi à partir à l’étranger pour répondre à des sollicitations aux États-Unis, au Canada, en France, en Russie, en Allemagne mais aussi au Japon.

Chloé GOUDENHOOFT

Correspondante Angleterre

* Selon la Society of London Theatre, plus de 14,3 millions de personnes ont assisté à un spectacle londonien en 2016.

Crédits des photos : Scott Rylander.

 

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