Tendance Fêtes : rues barbares et loup solitaire

Tendance Fêtes : rues barbares et loup solitaire
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Deux fois par mois, Paméla Ramos s’approprie un livre absent de l’actualité littéraire immédiate : pas nécessairement récentes, difficiles à classer, fondatrices ou parfaitement inconnues, ces raretés hautement désirables nous sauvent la vie en la rendant respirable au creux de leurs élégants silences ou de leurs explosives révélations. Arpentons la bibliothèque des recoins, du désert et des limbes.

« Si tous, moi non »


Rues barbares. Survivre en ville, de Vol West et Piero san Giorgio

 

Que porter en cas d’émeute ?

C’est la question toute simple et parfaitement désarmante que je me posais samedi dernier, avant de rejoindre le rond-point de la zone commerciale de Saran. Postée devant mon dressing – une armoire un peu fébrile, coulissant avec ennui et menaçant d’effondrement en cas d’indélicatesse de mon gouvernement, j’envisageais avec appréhension un col roulé, une parka imperméable, mes Docs trop petites, et n’avais pour ainsi dire pas plus de réponse qu’à celle posée en boucle par d’angoissés pas-de-vagues : nos Fêtes seront-elle gâchées ?

C’est ainsi que me revint la lecture de Rues barbares, survivre en ville, alors qu’enceinte, j’envisageais l’avenir radieux de notre pays et préparais mon trousseau d’historiettes morales à raconter au chevet de mon petit, après l’éventration du loup par le chasseur pour en sortir le petit chaperon rouge.

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Pragmatisme et dysenterie

Manuel pratique en cas d’état de catastrophe prolongé pour de multiples raisons, il m’avait séduite par son exercice de style parfaitement sérieux, ses injonctions à l’autonomie durable, au bon sens vivace, à la préparation comme quête initiatique. J’ai toujours préféré la philosophie pratique, et grande lectrice de Pierre Hadot par ailleurs, j’y trouvais une multitude d’éléments fortement troublants car résolument pragmatiques, et difficilement contestables. Certes, un autre maître plus rugueux encore, Werner Herzog, nous avait déjà mis en garde de ne pas romantiser la survie à la catastrophe, qui reviendrait à mourir plus tard de dysenterie dans le plus grand chagrin d’avoir perdu les siens, mais enfin aujourd’hui je n’avais perdu personne, l’eau était encore potable, pourtant pour la première fois de mon existence, je m’apprêtais à aller au-devant d’une journée dont j’ignorais absolument l’issue. J’envisageais de rentrer ce soir, encore qu’un peu tendue de ne pas savoir exactement à quelle heure, et par quelle route. J’étais nigaude, assumons-le, assez peu rôdée à l’émeute familiale ou la désobéissance régulière, la mobilisation durable pour ne pas dire banale. Je peinais en outre à retrouver ces autres si longtemps tenus à distance, sans bande ni milice, sans clique si clan, solitude paradoxale dans un mouvement somme toute assez « suivi ».

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Jaune must go on

Je partis à la française : assez peu préparée mais bardée de mes convictions profondes. Je connaissais ces gens, ils ne me feraient pas de mal. S’en feraient-ils entre eux j’agiterais mes compresses, assurée du moins qu’on ne les confisquerait pas en cas de fouille.

Rues barbares. Survivre en ville, de Vol West et Piero san Giorgio

Je partis à la française, c’est-à-dire pour rien : le réel est décidément tenace, nous n’allions rien craindre aujourd’hui et l’issue, molle, serait encore imputée aux « extrêmes », ces types incompréhensibles ne souhaitant que mort et destruction, repoussés par le courage salué des forces de l’ordre.

« Je salue le courage des forces de l’ordre » serait d’ailleurs, à n’en point douter, la phrase furieusement tendance en ouverture de toutes les soirées de fin d’année parisiennes.

Je rentrais à la française, dans un grand vide blanc,transie de froid et pétrie d’incertitudes et d’auto critique sans lendemain. « Qu’allions-nous devenir ? » ne m’importait nullement, occupée que j’étais à devenir ce que je suis, d’après les mots d’un poète grec sans doute abreuvé, mais plutôt : comment allions-nous supporter de passer l’hiver, physiquement éprouvés par les semaines d’enfer et frappés de catatonie une fois l’affaire pliée ?

La survie est le contraire de l’héroïsme. C’est en substance ce qui lui est reproché. Si vous survivez, vous devez confusément vous sentir coupable, au Journal de 20h. La « culpabilité » et le « traumatisme » d’avoir survécu peuvent être sympathiquement traités par des numéros verts et des cellules (le mot est lâché) de soutien. Il est important de consulter, dans tous les cas.

Or, ce n’est pas ce que disent Vol West et Piero San Giorgiodans leur livre sans développement personnel, et c’est en substance ce qui leur est reproché. « Survivalistes pro-armes », les mots sont lâchés. Il faudra admettre une dérive « collapsogauchiste » ou « collapsonazi » lors des débats sur l’effondrement, car mes amis, l’effondrement n’est pas égalitaire, pondéré ni inclusif. Et cela ne fait que commencer. D’ailleurs débarrassons-nous immédiatement des éléments de langage : l’effondrement est un factieux. Il ne va pas demander à la préfecture autorisation ni encadrement. Même si on lui consent qu’il n’est peut-être ni sectaire ni orienté, sa démonstration est coupable de défaitisme devant le Tribunal des Générations futures, et celui qui s’y prépare, seul ou en communautés autonomes, ne sera pas invité à vos fêtes.

Excellente raison donc pour aller voir de plus près ce qui nous sera promis, dans une ville qui tombe, avec les pillards et les règlements de compte, que ce soit pour émeutes excessives, catastrophe climatique,nucléaire ou pandémique. Quels réflexes aurons-nous ? Saurons-nous nous gérer ou grossirons-nous les rangs des fieffés boulets ?

 [Je fais une courte pause en forme d’annonce publicitaire : je souhaitais depuis deux chroniques vous parler de sexe, j’ai fort conscience du fiasco commercial que représentent deux chroniques traitant coup sur coup de haine et d’effondrement. Mais le sexe reviendra, car après tout, lorsque nous aurons terminé de haïr et de tout effondrer, il faudra repeupler. Je vous remercie donc pour votre patience.]

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Ataraxy 400mg

Prenons les choses à l’envers. Admettons que nous soyons tous imprégnés de philosophie antique, entre ataraxie et crise mystique. Admettons que l’effondrement ne soit pas factuel mais un sentiment d’effondrement, qu’en traversant la rue on pourrait redresser. Que rien ne soit si dur de ce que nous endurons, que rien ne soit si concret de ce que nous empoignons. « Et d’ailleurs, ce feu de palette, n’est-il pas la projection de votre propre effondrement, brûle-t-il dedans ou dehors ? » Bref, imaginons que demain, de retour sur notre canapé existentiel, il ne se soit rien passé, et que la télévision projetant nos impressions sur un mur nous ronronne un avenir en tout point semblable à celui qui nous avait été chuchoté par notre paranoïa sous anxiolytiques… quel intérêt alors aurions-nous à lire ces élucubrations de scouts autonomes ?

Pourquoi faire, puisqu’il ne se passera jamais rien qui ne puisse nous être magnifiquement expliqué par les forces de la psychiatrisation, dont je salue le courage et auxquelles je rends hommage au passage ?

Eh bien justement, pour lutter en dedans contre la soumission perpétuelle à nos propres forces destructrices.

En sorte que, au lieu de chercher à survivre à une situation parfaitement imprévisible, dont la menace ne surgira jamais d’où vous le pensez, il apparaît salutaire de reprendre les bases d’une autodiscipline formelle, incarnée pour ne pas dire radicale, non, car j’ai encore les yeux et les oreilles qui saignent de la radicalité française, et ne suis pas encore bien remise de ces abominables affrontements entre une vitrine de luxe et une batte défavorisée.

Et parce que j’ai, sincèrement, une affection profonde pour ce livre dont un auteur au moins, Vol West, fait grâce à son blog, mon éducation à l’indépendance depuis plus de 10 ans, je voudrais abandonner toute armure sarcastique et ironie confortable pour livrer les conclusions métaphoriques de leur pragmatisme salvateur :

Cherchez l’eau (identifiez vos sources), récupérez-la dès que possible (intégration et décantation des messages), trouvez l’énergie et ne misez pas tout sur une seule, solidifiez vos liens avec votre entourage direct,réconciliez-vous s’il le faut, avec vos proches géographiques, observez-les et sachez à qui vous avez affaire sans idéalisme ni paranoïa, sachez vous nourrir correctement, faire un maximum de choses à la maison, vous entraîner physiquement, vous soigner seuls ou avec quelqu’un de confiance, prouvez vos compétences et affirmez-les, améliorez-les à la moindre occasion d’autoformation continue, écoutez ceux qui savent, apprenez à vous défendre et à adapter la juste défense à la réelle menace, quittez les toxiques, évacuez les lieux à risque, observez où se trouvent les sorties de secours en toute occasion,visitez les coulisses, fuyez plutôt que de vous battre inutilement,repliez-vous le temps d’un plan, préparez vos bagages, enfin formez votre esprit constamment, inlassablement, à la connaissance de votre environnement extérieur et intérieur.

Apprenez à créer vos propres alliances et à vous passer doucement de tout ce à quoi vous êtes inutilement dépendants.

Si tous, moi non hurle le type en jaune, en bas. Vous n’êtes pas prêts ? Ne sortez pas.

Paméla RAMOS

Rues barbares. Survivre en ville, de Vol West et Piero san Giorgio, Le Retour aux Sources, 2012, 416 p., 21 €.



Paméla Ramos, née en 1980, vit et écrit en Beauce. Elle tient le blog pamelaramos.fr depuis 2005.



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Rétroliens/Pingbacks

  1. Dérives de la convalescence ⋆ Paméla Ramos - […] j’ai ma petite idée sur l’origine de cette proposition indécente, je n’en fus pas moins abasourdie et brutalement perturbée. Comment…

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