Un Macbeth intermittent

Un Macbeth intermittent
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S’appuyant sur la nouvelle traduction que Daniel Loayza et lui-même en ont donné, traduction publiée aux éditions Les solitaires intempestifs, Stéphane Braunschweig nous livre un Macbeth qui, à défaut d’emporter l’adhésion et de susciter l’enthousiasme et malgré le détachement et l’apathie souvent incongrus du personnage principal, réinterroge efficacement cette œuvre majeure de Shakespeare.

La confrontation entre le destin et la liberté y est centrale : l’ambition dévorante de Macbeth et de son épouse en est le terrain d’affrontement. Et, à la fin, la sentence tombe : il n’est pas libre celui qui a préféré se rêver un destin que vivre humblement sa vie.

Des sorcières particulièrement réussies

La pièce s’ouvre sur le dialogue des trois sorcières qui vont, littéralement, jeter un sort à Macbeth, c’est-à-dire lui lancer à la figure le destin qui sera le sien. Ces trois sorcières, habillées de vêtements déchirés, en lambeaux, sont enceintes et assises sur des seaux, elles se caressent le ventre comme pour mieux montrer à quel point les sorts qu’elles jettent enfantent des monstres.

La scénographie est originale et, sinon convaincante, du moins pertinente : Stéphane Braunschweig ne place pas ses sorcières dans une lande déserte et obscure mais dans un décor fait de carrelages blancs « immaculés » qui « glace » les yeux et fait hésiter le spectateur entre une clinique, une chambre funéraire et un entrepôt frigorifique. Un décor froidement aseptisé, où toute chair ne peut que disparaître ou se corrompre, se putréfier. Ce décor glaçant est habilement mis en contraste avec le décor opulent, confortable et chaud du château du roi d’Écosse, Duncan.

Tel le Satan autorisé à tenter Job, ces sorcières semblent créées pour interroger Macbeth sur le prix qu’il attache à la liberté et à la vérité. Car celui-ci est libre de ne pas croire les sorcières qui lui prédisent qu’il sera roi d’Écosse, libre de ne pas voir dans cette prédiction l’accomplissement de la vérité de son être. Mais Macbeth est déjà prisonnier de son orgueil et de son ambition dévorante : il a déjà renoncé pour elle à sa liberté et va lui-même apporter à la réalisation de son ambition les moyens sanglants que nul, pas même ces sorcières, ne lui avait suggérés.

Civilisation ou barbarie : la preuve par les enfants

La pièce montre très efficacement que la liberté a toujours part avec la vérité : la vérité rend libre. Une parole qui enferme et emprisonne dans un destin sanglant, fût-il royal, une parole qui ne peut s’accomplir qu’au prix de multiples assassinats, ne peut être vraie.

À l’acte IV, ce sont des enfants sanglants et morts-nés qui, selon une mise en scène qui provoque à la fois le rire et l’horreur, sortent du ventre des sorcières. C’est qu’au bout du destin royal de Macbeth et de son épouse, il n’y a finalement que la mort définitive du corps et de l’âme, la plus effroyable stérilité.

La pièce le montre bien : c’est le sort fait aux enfants qui signale la civilisation ou la barbarie : le contraste entre la stérilité du couple Macbeth (leur seul enfant étant leur soif de pouvoir) et les paroles d’amour proférées par Macduff sur ses enfants sauvagement assassinés par les mercenaires des premiers est à cet égard particulièrement saisissant.

Déplacement contemporain

Adama Diop et Chloé Réjon et dans "Macbeth", mes Stéphane Braunschweig à l'Odéon (crédits : Benjamin Chelly)

Adama Diop et Chloé Réjon

Stéphane Braunschweig a choisi de mettre en scène Macbeth dans des décors et costumes contemporains. Nous avons déjà parlé du décor blanc glacé dans lequel se fomentent le destin et les entreprises sanglantes qui semblent être, pour Macbeth et son épouse, les conditions de sa réalisation. Ce décor est aussi celui du château de Macbeth à l’acte I. Il est également le lieu où se réunissent les sorcières. Ce décor, qui contraste avec les intérieurs chauds des autres châteaux, nous semble être l’une des réussites de la pièce.

On ne peut en dire autant des costumes choisis par le metteur en scène, costumes de ville, costumes bourgeois, qui créent un décalage peu pertinent entre l’acteur et son personnage : on a peine à croire en ce Macduff qui, à la fin de la pièce, tue Macbeth en pardessus chic et cravate. On ne discerne que difficilement le futur roi d’Écosse derrière ce Malcolm habillé tantôt comme un collégien anglais tantôt comme un dandy des années 60, en pantalon stretch et col roulé. On a enfin du mal à croire à ce Macbeth qui vient interroger les sorcières le torse nu et en pantalon de ville. Bref, on voit plus, dans ce déplacement contemporain, les acteurs que leurs personnages, ce qui est regrettable.

Un Macbeth trop détaché

La principale faiblesse de la pièce se trouve probablement dans son acteur principal : Adama Diop semble trop souvent indifférent à ce qu’il fait et dit, trop détaché de l’horreur à laquelle il participe pourtant grandement. On le voit ainsi, au début de la pièce, bien peu effrayé par ces trois sorcières réunies dans un décor glaçant où l’on peut discerner deux cadavres gisants. C’est d’ailleurs d’un ton badin que lui et Banquo s’adressent à elles, sans aucun effroi dans la voix. La placidité de ces deux hommes vêtus d’uniformes de soldats anglais (ou peut-être écossais) a de quoi surprendre et paraît bien inadaptée à cette rencontre pour le moins étonnante.

Pourquoi, également, Macbeth rit-il quand il raconte à son épouse (à l’acte II, scène 2) qu’il n’a pu dire Amen lorsque les deux gardes du roi Duncan qu’il a assassinés ont crié « Dieu nous bénisse » ? Pourquoi faire rire Macbeth au moment où il exprime le comble de sa damnation ? Il faut attendre la fin de la scène pour voir Macbeth exprimer toute l’horreur de son acte, hurlant qu’il a ainsi « tué le sommeil ». Comment enfin justifier le ton badin de Macbeth alors qu’il vient à nouveau de voir le spectre de son ami (et de sa victime) Banquo et qu’il en a été, quelques secondes plus tôt, horrifié et désespéré ?

Une Lady Macbeth endiablée

Dans le couple Macbeth, c’est finalement l’épouse qui est la plus crédible. Chloé Réjon lui donne une force et une fureur débordantes. On la voit en particulier, à l’acte I, convoquer tous les esprits mauvais pour se livrer aux désirs sanglants qui lui semblent être, à elle plus encore qu’à son époux, les moyens les plus impératifs et les plus sûrs pour accéder au destin royal du couple.

Allongée sur une froide table en aluminium, elle se donne entièrement, corps et âme, à ces esprits, se consacre à eux dans un accouplement invisible et monstrueux. Cette Lady Macbeth, endiablée et endiablante, fait réellement accoucher son époux de ses désirs et convoitises les plus impérieux et les plus sanglants.

De façon très convaincante, Stéphane Braunschweig nous montre ainsi un couple qui ne veut plus enfanter que le mal et le meurtre.

Une traduction efficace

William Shakespeare, Macbeth, trad. Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig, Les solitaires intempestifs, 2018Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig ont voulu une traduction tout entière fondée sur la tension et le dynamisme du mouvement menant du texte théâtral à l’« évènement scénique », de la lettre au corps. L’entreprise nous semble réussie : la traduction qu’ils donnent de Macbeth, publiée aux éditions Les solitaires intempestifs, atteint le but recherché en étant plus naturellement parlée, moins compliquée et chantournée (et donc heurtée) que beaucoup de traductions. Elle est plus familière, moins littéraire, et passe avec succès l’épreuve de la scène, ce qui manifeste bien sa réussite.

On n’en prendra que deux exemples, en la comparant à la traduction donnée par Yves Bonnefoy.

Premier exemple : acte I, scène VI – Lady Macbeth demande aux esprits mauvais de l’investir du désir et du pouvoir de faire mourir tous ceux qui s’opposeront à la réalisation du destin royal de son époux. Yves Bonnefoy lui fait dire : « Mes seins de femme, / Parcheminez leur lait, faites-en du fiel, / Ô ministres du meurtre » (Gallimard, Folio, 2010, p. 38).

Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig traduisent quant à eux : « Venez à mes seins de femme / et faites de mon lait du fiel, vous, serviteurs du meurtre » (p. 38). Leur traduction nous semble moins saccadée, plus rapide, plus adaptée à la fièvre et à la fureur auxquelles se livre alors Lady Macbeth. Elle est aussi plus dynamique, plus illustrative de ce processus d’investissement de cette dernière par les forces du mal.

Deuxième exemple : acte V, scène V – Ces paroles de Macbeth, célèbres entre toutes, sont ainsi rendues par le poète (p. 141) :

« La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur
Qui s’agite et parade une heure, sur la scène,
Puis on ne l’entend plus. C’est un récit
Plein de bruit, de fureur, qu’un idiot raconte
Et qui n’a pas de sens. »

Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig traduisent quant à eux (p. 140) :

« La vie n’est qu’une ombre qui marche, un pauvre acteur
qui se pavane et se démène une heure en scène
et puis qu’on n’entend plus. Elle est un conte
conté par un idiot, plein de bruit et de fureur
et qui ne signifie rien. »

On le voit, leur traduction est moins heurtée, plus fluide : on est notamment entraîné par l’allitération et l’euphonie du deuxième vers, particulièrement adaptée au débit amer et fiévreux qui doit être celui de Macbeth à ce moment particulier, presque ultime, de la tragédie.

La traduction de Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig a aussi le mérite de mieux rendre le son du texte original. Le « conte / conté par un idiot » renvoie fidèlement l’écho du « tale / Told by an idiot ». De même, « et qui ne signifie rien » nous semble plus concret, plus explicite, plus parlant que le « Et qui n’a pas de sens » d’Yves Bonnefoy, plus fidèle aussi au « Signifying nothing » du texte original.

Incontestablement, cette traduction convainc.

Frédéric DIEU

Chloé Réjon et Adama Diop dans "Macbeth" de Shakespeare, mise en scène Stéphane Braunschweig à l'Odéon

Chloé Rejon et Adama Diop (crédits : Elizabeth Carecchio)



Texte : William Shakespeare, Macbeth, trad. Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig, Les solitaires intempestifs, 2018, 159 p., 13 €

Spectacle : Macbeth de Shakespeare, mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig

  • Mise en scène : Stéphane Braunschweig
  • Avec Christophe Brault, David Clavel, Virginie Colemyn, Adama Diop, Boutaïna El Fekkak, Roman Jean-Elie, Glenn Marausse, Thierry Paret, Chloé Réjon, Jordan Rezgui, Alison Valence, Jean-Philippe Vidal
  • Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou
  • Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
  • Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
  • Lumière : Marion Hewlett
  • Tournée


Galerie photos

"Macbeth" de Shakespeare, mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig à l'Odéon (crédits : Elodie Hervé)

« Macbeth » de Shakespeare, mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig (crédits : Elodie Hervé)

Chloé Réjon et Adama Diop dans "Macbeth" de Shakespeare, mise en scène Stéphane Braunschweig à l'Odéon

Chloé Réjon et Adama Diop (crédits : Thierry Depagne)

Adama Diop dans "Macbeth", mes Stéphane Braunschweig à l'Odéon

Adama Diop (crédits : Thierry Depagne)

Adama Diop et Chloé Réjon et dans "Macbeth", mes Stéphane Braunschweig à l'Odéon (crédits : Benjamin Chelly)

Adama Diop et Chloé Réjon (crédits : Benjamin Chelly)

Chloé Réjon et Adama Diop dans "Macbeth" de Shakespeare, mise en scène Stéphane Braunschweig à l'Odéon

Chloé Rejon et Adama Diop (crédits : Elizabeth Carecchio)



 

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