60e anniversaire de la mort de Camus : un homme au service de la vérité et de la liberté

60e anniversaire de la mort de Camus : un homme au service de la vérité et de la liberté
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Le 4 janvier 1960, disparaissait Albert Camus dans un accident de voiture, sur la route de Villeblevin. L’auteur de La Peste, du Mythe de Sisyphe ou de Caligula, Prix Nobel de littérature en 1957, mourut sur le coup, il y a soixante ans. Hommage.

Une disparition brutale

Stupeur, révolte, accablement, absurdité, mais surtout immense tristesse sont les mots qui viennent à l’esprit de ceux qui apprennent la mort accidentelle d’Albert Camus ce 4 janvier 1960 dans un accident de voiture. L’auteur de L’Étranger avait passé les fêtes de fin d’année à Lourmarin, dans la maison dont la terrasse domine la plaine provençale, auprès de sa femme Francine et de leurs jumeaux, Catherine et Jean. Il devait partir pour Paris où il avait rendez-vous avec Malraux, alors ministre de la Culture, afin d’obtenir la direction d’un théâtre – probablement le théâtre Récamier. S’il décide de prendre la route, c’est parce que son ami Michel Gallimard, de passage avec sa femme et sa fille, repartent pour la capitale à bord de leur Facel Vega. Devant l’insistance du couple, Camus range son billet de train et accepte de les accompagner : ce sera son dernier trajet.

L’émotion engendrée par sa disparition est générale et surtout, tous ont la sensation d’avoir perdu un intime : « Il est vrai que nous étions innombrables à ignorer que nous aimions Camus, comme on aime un proche, un parent très cher. Cette révélation nous fut apportée le soir du quatre janvier dernier. Depuis, nous restons stupéfaits, diminués, un peu honteux de vivre, et comme arrêtés devant l’hostile stupidité des choses », écrit ainsi Jean Blanzat au lendemain de sa mort.

Jean-Louis Barrault, qui avait travaillé avec Camus sur L’État de siège, évoque le lien profond qui l’unissait à lui : « Il y avait dans Camus un peu du frère qui, dans une famille, soutient à la fois ses aînés et ses cadets. Tout ce qu’il y a d’enfant en nous redevient inquiet et malheureux. »

Un auteur en quête perpétuelle

Les dernières pages d’un écrivain disparu brutalement sonnent presque toujours comme un testament. Parmi ses dernières lignes apparaissent celles de son roman autobiographique, Le Premier Homme, inachevé et publié par sa fille Catherine en 1994, dans lequel Camus recrée son enfance et une Algérie disparue. Mais il y a aussi ces lignes parues dans ses Carnets, c’est-à-dire des petits cahiers qu’il tenait et dans lesquels il consignait ses idées de roman, de pièces, ses pensées liées au travail mais qui, au fur et à mesure qu’il vieillit, touche de plus en plus à son intimité, à ses sentiments, à ses interrogations humaines ou affectives. Voilà ce qu’il écrit en décembre 1959 : « Je m’accuse parfois d’être incapable d’aimer. Peut-être est-ce vrai mais j’ai été capable d’élire quelques êtres et de leur garder, fidèlement, le meilleur de moi, quoi qu’ils fassent ».

Montrer, donner, afficher le meilleur de lui-même semble être en effet une quête qui anima toujours Camus.

Celui-ci était né en Algérie dans un milieu défavorisé ; dans L’Envers et l’Endroit, son premier essai publié en 1937 par E. Charlot, tout jeune éditeur, Camus se dit « placé à mi-distance de la misère et du soleil » : « La misère m’empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l’histoire ; le soleil m’apprit que l’histoire n’est pas tout. » Se placer à la bonne distance est une question importante dans la création également, comme on en  trouve l’écho dans le discours qu’il prononça pour l’obtention du Prix Nobel. Ce texte – véritable Art poétique – décrit à la fois l’homme lui-même, « un homme presque jeune, [et] riche de ses seuls doutes », animé « d’un trouble intérieur » depuis l’annonce de cette distinction, mais aussi – et surtout – ce que représente l’écriture pour lui, l’idée « [qu’il se fait] de [son] art et du rôle de l’écrivain ».

« Je ne puis vivre personnellement sans mon art, déclare-t-il ainsi ce 10 décembre 1957 à Stockholm. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes ». Si l’Artiste embrasse sa carrière parce qu’il se sent différent, il comprend rapidement qu’il ne pourra toutefois pas s’isoler. Camus pointe ici le paradoxe de l’artiste, affirmant à la fois sa particularité mais également sa ressemblance aux autres : « L’artiste se forge entre cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. […] Le rôle de l’écrivain […] ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. »

Nul n’est assez « grand pour une pareille vocation » poursuit Camus, mais un homme, un écrivain peut trouver le souffle de son rôle dans la présence, « le sentiment d’une communauté vivante ». Celui qui accepte donc la double charge qui fait la grandeur de ce métier, être « au service de la liberté et de la vérité », accomplira ainsi sa vocation.

Une voix solide pour dire la grandeur de l’homme

Dans un hommage qu’il lui rendit en 1960,  J. Malori évoquait son « honnêteté spirituelle, [sa] rigueur, [son] effort toujours renouvelé de comprendre avant de juger, [sa] clairvoyance magnifiques », et de conclure que ces qualités étant désormais figées, « il nous manque aujourd’hui une référence pour évoquer la bonté virile ne pouvant nous accueillir ou nous suivre, [et] nous voilà seuls ».

Une phrase qui résonne en nous soixante ans après, en cette année 2020 qui s’ouvre sur un monde meurtri et en quête d’une voix solide réaffirmant la grandeur de l’homme. Une voix qui puisse nous rappeler qu’il y a en l’homme plus à admirer qu’à mépriser, que sans fermer les yeux sur l’existence du mal omniprésent autour de nous, il existe un enchantement possible dans ce Monde, un enchantement qui passe par la fraternité, l’échange, le dialogue, la sensualité, l’amour.

Comme le disait Camus de son ami poète et résistant René Char, il est des hommes qui aident à vivre : Camus fut de ceux-là et il continue d’incarner cette voix (voie) profondément nécessaire à nombre d’entre nous…

Virginie LUPO

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Source photographique : Dietrich Liao / Flickr



 

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