Arnaud des Pallières : « J’essaye de faire les films que je ne sais pas faire »

Arnaud des Pallières : « J’essaye de faire les films que je ne sais pas faire »
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Dévoilé à Toronto et projeté en compétition à San Sébastian, Orpheline est le 5e long métrage de fiction cinématographique d’Arnaud des Pallières après Drancy avenir (1996), Adieu (2004), Parc (sélectionné à Venise en 2008, à Orizzonti) et Michael Kohlhaas, en compétition à Cannes en 2013. Rencontre à Paris avec le cinéaste, alors que son film est sorti en salles depuis le 29 mars dernier.

Orpheline est inspiré de la jeunesse de votre co-scénariste Christelle Berthevas. Pourquoi avoir voulu en faire en film ?

Après Michael Kohlhaas, je voulais retravailler avec Christelle. Je connaissais son histoire depuis plusieurs années et elle m’avait beaucoup ému. En général, quand quelque chose m’émeut, j’ai envie de le partager, c’est assez souvent à l’origine d’un projet. Et depuis longtemps, j’avais l’impression de ne jamais avoir été à la hauteur d’un personnage féminin fort et complexe. Cela me faisait honte et je me disais qu’il fallait vraiment que j’essaye de faire un travail autour d’un ou de plusieurs personnages féminins.

Ces trois choses se sont conjuguées et, tout de suite après l’écriture de Michael Kohlhaas, j’ai demandé à Christelle Berthevas si elle serait d’accord pour que notre prochaine collaboration au scénario soit autour de son histoire, de sa jeunesse. Partant tourner Kohlhaas, je lui ai demandé de jeter sur le papier ce qui lui venait et comme cela lui venait, sans chercher à donner une forme scénaristique préalable parce que je voulais essayer d’être fidèle à l’émotion qui avait été la mienne quand elle m’avait raconté son histoire. Or, elle me l’avait raconté de façon chaotique, un peu fragmentaire, pas dans l’ordre, et je pensais qu’il y avait quelque chose à trouver autour de la forme narrative de comment on raconte sa propre vie. Les premières choses ont été des agrégats d’événements, de scénettes, des personnages, des sentiments, des émotions.

Puis nous avons fait un peu le ménage et il est resté trois grands âges : petite fille, adolescente et jeune femme. Cela a été le cœur du film, quasiment à 100% autobiographique. Ensuite, nous nous sommes dit qu’il manquait quelque chose, une sorte d’accomplissement, et que c’était probablement le moment où le personnage, par une étape particulière de vie, devient adulte. Donc, nous avons eu un peu plus recours à un travail de fiction sur le personnage adulte. Puis est venue l’idée de la structure en poupées russes : commencer par ce personnage adulte et, comme on ouvre une poupée, trouver les petites poupées à l’intérieur et aller de la moyenne jusqu’à la petite, et ensuite retrouver la seconde moitié de la vie de la jeune adulte.

Pourquoi avoir choisi quatre actrices pour incarner ces quatre âges ?

En découvrant que le film ne serait probablement pas linéaire, mais articulé autour de moments très précis d’âges quand même extrêmement différents. Parce que 7 ans, 13 ans et 20 ans, ce sont peut-être les âges de la vie où l’on change le plus, et le personnage allait même ensuite attendre un enfant et le mettre au monde… D’habitude au cinéma, quand le même acteur incarne un personnage à différents âges, je trouve qu’il y a toujours un parent pauvre, un des âges dans lequel on projette moins d’émotions. Je me suis dit qu’on pourrait proposer au spectateur une règle beaucoup plus simple : une actrice par âge et à peu près autant de temps passé avec chaque âge.

Évidemment, quand on a commencé le casting s’est posée la question de la ressemblance. Mais je me suis tout de suite dit que si je cherchais des actrices qui se ressemblaient, cela allait prendre le pas sur tout, devenir mon problème no 1, que plus on allait rentrer dans les ressemblances, plus on allait trouver des dissemblances, etc. Cela aurait été un mauvais calcul alors que l’important, c’était de travailler avec les meilleures actrices possibles, avec celles que j’aime le plus, qui me touchent le plus, et qui seraient le mieux à même de représenter de l’intérieur ce qui me touchait dans ce personnage. Ce qui a rendu les choses un peu plus compliquées, c’est d’impliquer à chaque fois une actrice aussi intensément dans son travail, mais pour 1/4 de rôle. Il fallait qu’elles acceptent de jouer ce jeu : vous êtes le personnage principal, mais vous devez le partager avec trois autres actrices.

Orpheline est un portrait de femme qui touche à beaucoup de genres, du thriller au social. Quelles étaient vos intentions dans ce domaine ?

Je ne me suis pas prêté à un exercice de style. Le film est avec le personnage. Le personnage traverse des univers différents, fait des rencontres, se déplace. Et le film se déplace avec elle. Mais j’ai filmé de la même manière ce qui peut faire penser à un road movie, à un thriller dans les hippodromes, à un film naturaliste de la campagne ou dans les boîtes de nuit. Le seul genre cinématographique du film, c’est le genre du personnage. La particularité de mon travail de mise en scène, en image et en son, a été de voir et de ressentir à travers le personnage. Cela a impliqué quelques règles techniques, quelques principes de placement de caméra et de façon de découper l’histoire, et ces principes sont les mêmes quel que soit l’univers qu’on traverse.

Une adaptation d’un roman de l’Américain John Cheever, une plongée dans le XVIe siècle inspirée d’une œuvre de l’Allemand Heinrich von Kleist avec un Danois dans le premier rôle, et maintenant ce que vous appelez « un portait de femme cubiste », pour ne parler que de vos trois derniers films. D’où vous vient ce goût de l’exploration ?

Je pourrais répondre par une phrase de Gertrude Stein : « Si je sais le faire, pourquoi le faire ? » Donc, j’essaye de faire les films que je ne sais pas faire. Dès que j’apprends ou que j’ai appris à faire quelque chose, je n’ai qu’une hâte, c’est d’aller à un endroit où je ne sais pas faire pour voir comment on fait. Je ne voyage pas beaucoup dans ma vie personnelle, je n’ai pas une vie d’aventurier, mais en revanche je suis plus aventurier dans mon travail. J’aime bien explorer et, pour reprendre la phrase d’Emmanuel Carrère, je fais des films « pour vivre d’autres vies que la mienne ». Et sur mon prochain film, j’irai dans une direction différente, parce que je trouve cela passionnant, et parce que ce qui me plait dans le cinéma, c’est l’invention, inventer des manières de raconter des histoires.

De quoi parlera votre prochain film ?

Le programme est un peu contenu dans son titre : Un homme qui disparaît. C’est l’histoire d’un homme qui rompt tout à l’occasion de son divorce et qui devient vagabond.

Propos recueillis par Fabien LEMERCIER

Source partenaire : Cineuropa.

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