Art de la rue et roue de la mort : un rituel en 78 tours

Art de la rue et roue de la mort : un rituel en 78 tours
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Le 16 août 2020 à Sansac-de-Marmiesse, le Collectif d’acrobates La Meute présentait son spectacle 78 tours, un rituel en musique autour de la roue de la mort. À voir en tournée.

L’association Éclats, qui aurait dû être en plein festival d’Aurillac, organisait cette année son festival « Champ Libre ! » en proposant une programmation itinérante et alternée à travers le Cantal.

Généralement organisé sous le nom des « préalables » du festival d’Aurillac, ce temps de programmation à taille humaine a pu cette année faire fleurir la palette des spectacles proposés. Avec 78 tours, le collectif La Meute a présenté une forme de traversée ritualisée autour de l’aérienne roue de la mort.

Une roue de la mort et trois interprètes

78 tours est une proposition doublement courageuse : d’abord parce que cet agrès – figure du cirque traditionnel – nécessite de longues heures de vol et d’entraînement pour en maîtriser les subtilités ; ensuite parce qu’à la performance qu’impose la roue de la mort s’ajoute sa puissance symbolique en tant qu’objet seul au milieu de la piste. En effet, ce nom-là – « roue de la mort » – et sa simple vue éveillent un imaginaire, voire un effroi chez le spectateur, et ce, avant toute mise en jeu, toute mise en piste. Comment donc introduire, où même s’introduire auprès de cet agrès ? Comment inaugurer le début de quelque chose quand, par lui-même, l’agrès raconte, quand, de lui-même, l’agrès commence sa propre histoire avec le spectateur et ce, avant même le début du spectacle ?

Les interprètes de La Meute, sous les regards extérieurs de Pauline Dau et Sidney Pin, choisissent d’inaugurer cette traversée par une scène d’exposition au registre hybride, mêlant humour bouffon et texte existentiel, dont l’interprétation pourrait être plus précise. Elle s’achève par l’esquisse d’un début de fiction entre les deux acrobates, se frappant et s’enlaçant avant de rejoindre l’agrès, tandis que ce dernier est au centre de l’attention depuis l’entrée du premier spectateur, limpide et affirmé dans sa posture.

Comment – donc – s’introduire auprès de la roue de la mort ?

S’introduire, c’est y aller.

Et 78 tours en est la preuve. Car l’équipe de La Meute a opté par la suite pour une écriture épurée s’inscrivant dans une veine naturaliste.

Du naturalisme au sacré : la dramaturgie du rite et du symbole

La roue de la mort impose certainement la simplicité, l’honnêteté et l’humilité. Sa vertigineuse disposition requiert une concentration totale avec soi-même et avec son partenaire. Aussi, lorsque Mathieu Lagaillarde et Thibaut Brignier en rejoignent les deux extrémités, la musique vient-elle accompagner et faire entendre le centrage (le cumcentrum) des deux acrobates. Rien d’appuyé, rien de souligné ou de spectaculaire à ce moment là, mais seulement une sorte de coulisse à vue, tout en transparence, de ceux qui partent faire un tour en l’air. Un moment juste et tout en finesse.

De ce naturalisme, l’équipe de La Meute a souhaité explorer une esthétique, une symbolique du rite autour de leur agrès – donc ajouter au rite du circassien déjà donné à voir, celui d’un rite plus symbolique. La musique interprétée par Gabriel Soulard offrait des nappes vocales accompagnées de guitare ou de violoncelle. Elle habillait d’un paysage sonore et sacré la roue de la mort qui tenait désormais en mouvement et en son sein les deux acrobates.

Au gré des tours, on entend un compte – ou décompte – qui ira de 1 à 78 : un repère indispensable pour les deux acrobates, une nécessité érigée en mantra et qui structure la suite du spectacle. Compter le nombre de tours, pour se repérer, pour ne pas se perdre et ne pas chuter. De là, et sans tomber dans un crescendo performatif, 78 tours traverse différentes configurations du duo dans la roue de la mort, avec des sensations tantôt aériennes et tantôt résolument terrestres. Il y a dans ce duo une grande délicatesse, où la virtuosité se fait humble. À cela s’ajoute un véritable moment d’immobilité suspendue, lorsque le duo s’arrête dans son décompte circulaire et que chacun dans sa hauteur regarde le musicien, seul sur terre. Une image forte et singulière qui s’inscrit parfaitement dans l’intention du spectacle.

Circularité infinie et questions existentielles

Alors, du naturalisme à l’ambition du rite et de la musique méditative à sa puissance sacrée, la circularité hypnotique de 78 tours permet-elle de nous plonger – nous, spectateurs – au seuil de notre propre existence ?

Si, au début le texte, le discours mentionne clairement cette dimension sans pour autant nous la faire vivre, elle pourrait continuer à se déployer véritablement par une « écriture » encore plus liée entre le musicien et les deux acrobates. C’est-à-dire aller encore plus au bout de cette proposition à trois interprètes et non à deux, c’est-à-dire, risquer à trois – vraiment à trois – de se perdre dans la circularité infinie de la roue de la mort.

Zelda BOURQUIN

 



Spectacle : 78 tours

De et avec : Thibaut Brignier, Mathieu Lagaillarde, Gabriel Soulard
Regards extérieurs : Pauline Dau et Sidney Pin
Composition musicale : Gabriel Soulard
Régisseur général : David Demené
Production/Diffusion : Virginie Moy
Compagnie : La Meute

Production : Los muchachos production/La meute
Coproduction : Le Plus Petit Cirque du Monde
Soutenu par Le plus petit cirque du monde dans le cadre de la Pépinière Premiers Pas
Accueils en résidence : En complicité avec la Compagnie Off/La Cascade Pôle national de Cirque-Ardèche/ Compagnie accueillie en chantier artistique de création par Éclat(s) de rue –  Ville de Caen/ CIRCa – Pôle National Cirque – Auch Gers Occitanie/ Le Plus Petit Cirque du Monde

Où voir le spectacle ?
Spectacle vu le 16 août 2020 à Sansac-de-Marmiesse

– 26 septembre 2020 : Rully, festival La Planche à Clou (71)

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Crédits photographiques : Jean-Pierre Estouret

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