Art de rue – “Möbius” de la Compagnie XY : le témoignage muet d’un grand patrimoine humain

Art de rue – “Möbius” de la Compagnie XY : le témoignage muet d’un grand patrimoine humain
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Möbius, nouvelle création de la Compagnie XY en collaboration avec Rachid Ouramdane, fait vibrer le public à l’unisson. Cette cinquième création du collectif est une détonation sourde. « Veuillez retenir vos applaudissements pour la fin », nous avait-on demandé ; on a failli ne pas réussir à le faire.

Jean-Marie Songy, après avoir maintenu le festival d’Ax-les-Thermes en juillet dernier, a également maintenu le festival Furies de Châlons-en-Champagne, au cœur d’un mois de septembre masqué. Par concours de circonstances, c’est aussi le retour de la Compagnie XY qui n’a pas pu jouer son spectacle depuis six mois.

5e spectacle : quand l’acrobatie se fait mouvement pur

Möbius démarre pour ne s’arrêter qu’à sa fin. Entre les deux, c’est le grand voyage. Est-il descriptible ? On pourrait évoquer les portés qui nous coupent le souffle, les corps ba-lancés et réceptionnés au millimètre, les enchaînements circulaires de chutes et de sauts, les montagnes de corps escaladées jusqu’à leur sommet vertigineux – en somme ce qui constitue les prouesses de la compagnie XY.

Mais Möbius démarre et a peut-être même déjà démarré en amont, en coulisse : quand les corps entrent et marchent silencieusement vers le centre du Vieux Cirque de Châlons-en-Champagne, le mouvement à venir est effectivement déjà là, bouillonnant à l’intérieur des corps. Möbius a peut-être déjà commencé il y a plusieurs années ; il était déjà-là au fondement du reste. Möbius, c’est la trace en dessous. Celle qui était toujours là : l’incarnation du continuum collectif et acrobatique qui réunit les artistes de la Compagnie XY depuis cinq créations.

En effet, lorsque les dix-neuf acrobates rejoignent au fur et à mesure le sol blanc, ils ne commencent pas le spectacle, mais poursuivent ce qui avance déjà depuis des années ; ils charrient avec eux leur passé, nous regardent présents, dans une présence spécifique, et laissent murmurer le futur à venir. À peine le temps de prendre sa respiration – car c’est une plongée – et Möbius a commencé sa course… l’avait déjà commencé… la continue… et nous prend dans le grand voyage.

Une collaboration avec Rachid Ouramdane : une cosmogonie des corps et des êtres

La cinquième création du collectif est une détonation sourde. Tout semble avoir été abandonné et écarté pour ne garder que l’essentiel : les corps – le mouvement – les êtres. Grâce à la collaboration de Rachid Ouramdane, le collectif unit à l’art acrobatique, un art de la gravité à l’horizontal. Ensemble, ils créent leur espace-temps et explorent les confins d’une écriture de ballet qui jouit d’une vertigineuse verticalité. Résultat : un manège humain qui tourne sur toutes les latitudes et méridiens.

Au fil du spectacle, une sensation de « grand tout », de complétude infinie, ravit nos perceptions. Les corps sont à eux seuls des paysages, le mouvement continu suspend l’éternité, la relation collective s’écrit par les jeux de regards et de chutes, les présences viennent de loin et sont pourtant toutes proches. Des images s’érigent, s’immobilisent, puis disparaissent. On croit voir des géants, puis des oiseaux, un homme sur le sable, une hécatombe, un conflit, un pardon. Les corps dansent, bougent, rebondissent, se régénèrent, s’agrègent et se désagrègent. Enfin, dans Möbius, il y a une harmonie dans la gestuelle de tous et toutes : que l’on soit voltigeur ou porteur, tout le monde a droit à la grâce. En support, la musique ne campe pas un imaginaire, mais semble bien être là comme matière, pour soutenir la course infinie qui s’ouvre.

Möbius cherche à retourner au premier visage de l’humanité, et y parvient.

Sans collectif pas de géants

Le sentiment de l’universel est un bien précieux, « un bien public mondial » – si jamais on en venait à la politique. À chaque fois qu’il est convoqué, c’est un petit bout de l’humanité qui se réconcilie, se retrouve avec elle-même. Où l’infiniment grand se relie à l’infiniment petit. Möbius orchestre cette rencontre entre l’intime et la certitude d’un tout qui nous relie. La compagnie XY a le mérite précieux de donner à voir un artisanat du « faire ensemble », une orfèvrerie des corps et de la gravité. Et à force d’en explorer les rouages, ils deviennent des géants, géants à deux têtes… géants à trois têtes… et même quatre.

En mêlant l’exigence du travail acrobatique collectif et celui d’art l’écriture du mouvement d’ensemble de Rachid Ouramdane Möbius résonne comme un témoignage muet d’un grand patrimoine humain.

Zelda BOURQUIN

 

Spectacle : Möbius
Création collective : Abdeliazide Senhadji, Airelle Caen, Alejo Bianchi, Arnau Povedano, Andres Somoza, Antoine Thirion, Belar San Vincente, Florian Sontowski, GwendalBeylier, Hamza Benlabied, Löric Fouchereau, Maélie Palomo, Mikis Matsakis, Oded Avinathan, Paula Wittib, Peter Freeman, Seppe Van Looveren, Tuk Frederiksen, Yamil Falvella
Collaborations artistiques : Rachid Ouramdane, Jonathan Fitoussi, Clemens Hourrière
Lumières : Vincent Millet
Costumes : Nadia Léon
Collaboration acrobatique : Nordine Allal
Remerciements à Cosmic Neman, Agalie Vandamme, Mayalen Otodon
Direction de production : Peggy Donck, Antoine Billaud
Site internet : compagnie XY

Prochaines dates
– 7- 10 octobre 2020 : théâtre de Sénart Lieusaint
– 12 novembre au 6 décembre 2020 : La Villette Paris
– 9- 12 décembre : Maison de la danse Lyon
– 15-16 décembre : Espace Marcel Carné à Saint-Michel-sur-Orge
– 18- 20 décembre 2020 : théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines

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Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage

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