Augustin Mouchot, génie de l’ombre ou fou illuminé ?

Augustin Mouchot, génie de l’ombre ou fou illuminé ?
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Dans son séduisant et tourbillonnant nouveau roman, L’inventeur, qui paraît ce mois-ci aux éditions Rivages, Miguel Bonnefoy nous conte la vie d’Augustin Mouchot, génial inventeur d’outils de conversion de l’énergie solaire, injustement jeté aux oubliettes de l’histoire des sciences. Le portrait est lumineux, l’histoire savoureuse.

Qui est donc Augustin Mouchot dont le « visage n’est sur aucun tableau, sur aucune gravure, dans aucun livre d’histoire […] Personne n’est présent dans ses défaites, rares sont ceux qui assistent à ses victoires […] Son existence n’intéresse ni le poète, ni le biographe, ni l’académicien » ?

Naissance d’une passion

Augustin Mouchot naît le 7 avril 1825 à Semur-en-Auxois – une commune de la Côte d’Or en Bourgogne – « à l’ombre des rues du Pont-Joly et de Varenne, à l’endroit le plus éloigné de la lumière, dans l’arrière-salle d’un atelier de serrurerie ».

« À six mois, Mouchot était déjà épuisé de vivre. Il n’avait pas la rondeur bouffie des nourrissons en bonne santé ni l’éclat inattendu des prédestinés, mais semblait toujours à quelques minutes d’une apoplexie, tout fripé et décharné, comme un crapaud malade dont la couleur de peau, même nourrie au lait épais des vaches de Montbard, gardait encore l’aspect d’une auge de pierre. »

Miguel Bonnefoy, L’inventeur, éditions RivagesToute sa vie est à l’image de ses débuts souffreteux, Augustin demeure chétif, délicat et maladif – « Il attira vers lui toutes les maladies que la Bourgogne avait accumulées au fil des siècles » –, à tel point qu’il prend l’habitude de laisser sur sa table de nuit ce mot d’avertissement : « Bien que j’en aie l’air, je ne suis pas mort. »

Sa mère, remarquant ses exceptionnels dons en mathématiques, l’inscrit à la seule école du village. Le petit Augustin, terne et taiseux, passe pour arrogant et n’attire pas les amitiés, qu’il ne recherche d’ailleurs pas. Plus tard, il ne se laisse emporter par aucune passion adolescente, ne s’émouvant de rien. La vie semble lui être fardeau, punition – « À dix-sept ans, il eut l’aube d’une calvitie et des mèches blanches. À vingt ans, Mouchot en paraissait quarante. » En août 1845, bachelier ès lettres, il devient maître d’école, le reste treize années durant. Une vie sans remous, sans saveur, à sa mesure.

Mais c’est sans compter sur l’espièglerie du destin ! À trente-trois ans, il se voit proposer la suppléance de la chaire de mathématiques pures et appliquées au lycée d’Alençon. Il hérite par la même occasion de l’appartement du colonel Buisson, mort écrasé par sa bibliothèque après avoir survécu aux champs de bataille, bibliothèque qu’il aura le loisir d’explorer à sa guise, devenu oisif après une terrible congestion pulmonaire. Il est impressionné par la lecture d’un ouvrage de Claude Pouillet sur la chaleur solaire et par la « marmite solaire » d’Horace Bénédict de Saussure. Une passion est née…

« La première réussite de Mouchot fut due à un hasard, comme souvent dans l’histoire des sciences. »

Et toucher le soleil

Augustin se met en tête de fabriquer sa propre marmite, c’est un prime échec qui n’atteint pas sa persévérance. C’est en 1861, à l’âge de trente-cinq ans, qu’il dépose son premier brevet avec une machine qu’il nomme l’« héliopompe » – « Il avait sorti du néant un appareil pouvant chauffer sans bois ni charbon, sans huile ni gaz, uniquement par la lumière d’une étoile. » Augustin a enfin trouvé un sens à sa vie, un but vers lequel tendre, avec une invention à propos de laquelle son associé, Abel Pifre, dira, des années plus tard, à un parterre de sommités : « Un entonnoir et un verre de loupe… rien de plus simple. En effet, messieurs, mais encore fallait-il le trouver. C’est l’histoire de l’œuf de Colomb. »

Affecté au lycée de Tours à la suite de la perte de son poste, devenu un tantinet plus audacieux, Augustin obtient du directeur dudit lycée l’autorisation de présenter sa découverte devant le gratin du monde scientifique.

« À l’heure où l’on faisait les premières tentatives d’un moteur à combustion, où l’on découvrait l’électromagnétisme, où l’on commençait à forer les premiers puits de pétrole en Allemagne, nul ne voulut manquer d’assister à cette nouvelle promesse du progrès. »

Las ! Le jour tant attendu, au moment le plus inopportun, le soleil se voile, de même que les illusions d’Augustin. Dépité, il envoie tout son matériel à la décharge de Montfaucon. À nouveau, le destin s’en mêle. Un article sorti sur lui attire l’attention de Raphaël Bischoffsheim, protecteur des hommes de sciences, grand amateur d’astronomie, qui éveille la curiosité du commandant Verchère de Reffye, célèbre pour avoir inventé la première mitrailleuse française. Il trouve la machine d’Augustin géniale, qui permettrait de se passer d’allumer des feux lors des campagnes militaires, transformant les soldats en cibles idéales. Voilà Augustin remis en selle ! Il est convié à faire une démonstration devant Napoléon III. Bonaparte ! La voie vers l’immortalité !

Cependant la malédiction est tenace – autant drôle que triste. Le jour J, une pluie diluvienne empêche la consécration tant attendue. Ne vaut-il pas mieux renoncer au soleil, remiser le matériel à la cave et retourner à la poussière de craie ? Pas tout de suite. Une seconde chance lui est offerte, à la Villa Eugénie, à Biarritz : c’est un jour de triomphe. Devant un parterre ébaubi, Augustin réussit à mettre en marche un moteur uniquement avec la force du soleil. Le « professeur » Mouchot devient le « savant » Mouchot. Poussé par les insidieux commentaires des journalistes qui trouvent qu’un livre manque pour soutenir l’invention, Augustin se met à la tâche et sort La chaleur solaire et ses applications industrielles en 1872, pile au moment où éclate la guerre. Quelle ironie !

À nouveau terrassé par la maladie, qu’aucun médecin ne paraît apte à guérir, Augustin ne s’inquiète pas de la mort de ses congénères et rêve des plaines désertes d’Égypte, des vallées ensablées du Maroc, de la Thaïlande et de l’Algérie, autant d’horizons sans ombre où le soleil est roi. Il envoie mille lettres afin d’obtenir de quoi financer un voyage vers ce soleil.

Une fructueuse collaboration

L’Académie des sciences lui octroie une bourse, passeport pour l’Algérie, nouveau cadeau du destin car il est choisi pour représenter le Pavillon algérien lors de l’Exposition universelle. C’est à cette occasion qu’il rencontre Abel Pifre ; il sait que cet homme « droit, assuré, la poitrine solide comme un jeune rhinocéros » est celui qu’il cherche comme associé. Abel, quant à lui, voit en Augustin une possibilité d’avenir. « Bâti pour la presse et les honneurs, pour la popularité et le clinquant », il supplée le manque de charme et d’entregent d’Augustin. Abel a compris qu’inventer ne suffit pas, il faut surprendre.

« Les gens voulaient dorénavant assister à des exploits éblouissants. Des algèbres nouvelles. Des promesses qui défiaient les lois de la physique : un globe céleste de soixante mètres, des ballons captifs pouvant survoler la ville, un trottoir roulant qui promenait les hommes à une vitesse prodigieuse, la première machine à écrire et le premier télégraphe. »

Leur heureuse collaboration est génératrice de nombre de brevets. L’Exposition universelle de 1878 les couronne de la médaille d’or. Et puis l’ombre, fatalement, l’amélioration des chemins de fer et la découverte de nouveaux gisements de charbon en France ayant signé le glas de l’énergie solaire.

« Si Augustin Mouchot est un des grands oubliés de la science, ce n’est pas qu’il ait été moins persévérant dans ses explorations, moins brillant dans ses découvertes, c’est que la folie créatrice de ce savant têtu, froid et sévère, s’est acharnée à conquérir le seul royaume qu’aucun homme n’a jamais pu occuper : le soleil. »

L’élégance d’un hommage

Miguel Bonnefoy sauve Augustin Mouchot des limbes abyssaux de l’histoire des sciences et redonne du lustre au pionnier de l’énergie solaire dont le travail a été minoré. Augustin Mouchot, un homme pâlot à la vie fade et soporifique, déprimante ? La verve de l’auteur lui donne des couleurs et emporte dès les premiers mots. Miguel Bonnefoy maîtrise cet art subtil des débuts de roman accomplis, son talent narratif diablement séduisant emporte, ses portraits sont finement ciselés, son humour subtil.

Je peux vous assurer que la vie d’un petit pois dans sa boîte serait passionnante à lire sous la plume de cet auteur ! Il arrive à parer la réalité la plus triviale d’élégance, à donner un ton d’aventure à la plus insipide des vies.

Sans affèterie, les mots choisis sont gourmands, brillent d’une lumière particulière qui n’appartient qu’à l’auteur, une aisance raffinée au style chatoyant qui s’amuse de connexions surprenantes. En effet, nous croisons, dans ce nouvel opus, clins d’œil complices, deux personnages de précédents romans : Benoît Bramont, le seul à avoir accepté d’aider Augustin  à construire sa machine pour la démonstration devant l’empereur, est le père d’Octavio, héros du premier roman de l’auteur, Le voyage d’Octavio (2015) ; Michelle René, celle qui réussit là où les médecins ont échoué et vole à Augustin sa virilité tardive, se déguise en homme, devient Michel René, pour fuir on ne sait quoi, cheminant vers celui qui lui offrira les clés de son domaine viticole – un épisode narré dans Héritage, paru en 2020. L’auteur se plaît, pour le plus grand bonheur du lecteur, à des digressions qui suivent un moment certains personnages avant de les laisser à leur destin.

Puisse l’hommage rendu au génie injustement méconnu inspirer notre époque, notre monde au bord de l’épuisement. Il est de bon ton, à l’heure où toutes les sources d’énergie se tarissent, de remettre à l’honneur les recherches d’Augustin Mouchot sur l’énergie solaire, comme celui-ci l’écrit dans La chaleur solaire et ses applications industrielles : « Il arrivera nécessairement un jour où, faute de combustible, l’industrie sera bien forcée de revenir au travail des autres agents naturels. Il est prudent et sage de ne pas s’endormir à cet égard dans une sécurité trompeuse. »

Stéphanie LORÉ

Miguel Bonnefoy, L’inventeur, éditions Rivages, 2022, 199 p., 19,50 €

 

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