Déficit de la Scène Nationale d’Aubusson : histoire d’une incompréhension politique

Déficit de la Scène Nationale d’Aubusson : histoire d’une incompréhension politique
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En avril dernier, la scène nationale d’Aubusson (SNA) mettait au grand jour les pertes de subventions qui la menait au déficit financier, qu’elle apprenait fin mars. Les titres dans la presse mentionnent cet état de fait, criant au loup contre les pouvoirs publics et la baisse générale des subventions, si décriée actuellement dans le milieu artistique. Une pétition est lancée pour la soutenir. Mais si des subventions ont effectivement manqué, il semble que le problème ne soit pas d’abord financier, mais plutôt politique… Enquête sur un combat artistique et politique.

Le théâtre d’Aubusson est la plus petite scène nationale de France mais sans doute l’une des plus nécessaires sur le plan économique. Située dans la Creuse, elle représente un vivier économique inégalé. Au-delà de la disparition d’un phare local de l’activité artistique, la disparition de la scène d’Aubusson entraînerait des enjeux bien plus vastes qu’une privation pour les habitants d’un accès à l’art.

La baisse de subventions et le déficit prévisionnel qu’elle entraîne pour la scène, 100 000 euros d’ici fin 2018, induit cette conséquence si les partenaires publics ne se mettent pas d’accord sur un plan de soutien et d’accompagnement clair, et un minimum pérenne pour son projet artistique. Aujourd’hui, l’association qui gère la SNA accuse son déficit de 100 000 euros qui n’est pas de son fait : « La Scène Nationale d’Aubusson est en pleine santé, à tous points de vue, assure son directeur Gérard Bono, elle a un taux de remplissage de 90 % ». Le département et la communauté de communes de la Creuse sont les deux partenaires locaux qui ont fait défaut à leur promesse de subventions, pour des raisons différentes ; depuis, les discussions sont toujours en cours…

Qui est en cause ? Le déficit est-il lié à une mauvaise gestion de la scène ? Quel est l’enjeu qui sous-tend ces pertes de financements ? Qui donc apporte véritablement son soutien à la SNA ? Autant de questions qui complexifient le fait seul de la perte imprévue de subventions.

Une annonce tardive des coupes budgétaires

Créée en 1981, au moment où le ministère de la culture bat son plein et continue de pourvoir la France et tous ses territoires de projets artistiques, la scène nationale d’Aubusson bénéficie encore actuellement de la faveur de l’État. Ce sont maintenant les partenaires financiers locaux qui sont dépositaires du soutien essentiel et complémentaire, permettant à ce lieu de se maintenir en place. Or les voix ne résonnent pas de concert ; les mouvements politiques et géographiques pèsent sur la cohésion ainsi que sur une vision inscrite dans une continuité. Le département et la communauté de communes de la Creuse sont les deux partenaires locaux ayant manqué à leur décision de subventionner la SNA et se retrouvent, pour ainsi dire, dans deux camps différents.

Le 23 avril dernier, l’association Jean-Lurçat, qui gère la SNA, tient une réunion menée par son président Gérard Crinière avec l’ensemble du bureau. En apprenant les mauvaises nouvelles, tout le monde finit par quitter la salle. Le 8 juin, le président décide de réunir les partenaires financiers et le conseil d’administration ; en cas d’absence de solution à cette date, il déclare : « On confiera la Scène au préfet de la Creuse ».

Le premier point qui a mis en péril l’équilibre budgétaire de la scène a été que « les annonces sur les baisses de subventions ont été trop tardives, déplore le directeur de la SNA, alors que notre saison 2018-2019 était totalement engagée. Le 30 mars, la communauté de communes nous a annoncé la baisse de subventions. Pour le département, il y a eu une première annonce en novembre 2017, qui n’était pas la même que février 2018. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes querellés. Car au départ, il y avait une baisse annoncée pour 2019, mais pas 2018″. Cela implique des contrats signés avec les artistes, les compagnies, les programmations artistiques ainsi que les projets de résidences ou d’ateliers proposés aux locaux : tout est remis en cause ou en suspens, le temps de connaître la volonté des politiques publiques sur les années à venir.

Le rôle central de la scène nationale

En effet, Marie Jeandarme, chargée de communication de la communauté de communes Creuse Grand Sud, le reconnaît : « Nous ne sommes pas obligés de subventionner la SNA, mais le risque est que l’État nous la retire. C’est pour cela que c’est important pour les collectivités locales d’envoyer un signal politique fort : malgré nos difficultés, nous ne pouvons pas en plus nous priver de cette scène nationale, car elle est irremplaçable. Nous y tenons ». 

Pour Marie Jeandarme, le rôle de la SNA est central : « Tous les scolaires ont accès à cette scène. Il y a des spectacles délocalisés sur l’ensemble du territoire et même au-delà. À l’heure du plan de revitalisation de la Creuse et du déficit abyssal de notre collectivité, cela augurerait des années de vache maigre et de déperdition de notre territoire. »

Si la scène assure un travail d’accompagnement et de coordination vis-à-vis des petites compagnies locales et régionales, elle est aussi un véritable employeur sur le territoire. « On est au-delà des trois euros moyens rapportés pour un euro investi dans la culture. On est plutôt autour des sept ou huit euros », explique Marie Jeandarme, quant Gérard Bono parle de neuf euros de gain pour un euro investi. « Cela permet à des personnes de vivre sur place, ne serait-ce que les techniciens qui y travaillent. Certains s’y installent même après avoir découvert la Creuse grâce à la SNA. » De quoi encourager la mobilisation en faveur du maintien de la Scène.

La scène nationale d’Aubusson en quête d’une cohésion politique…

Le département tient quant à lui un double discours au sujet de son soutien à la scène. En public, Valérie Simonet indique ainsi au quotidien La Montagne, le 24 avril dernier : « La participation 2018 du conseil départemental sera de 120 000 € de subvention pour la saison culturelle, ce qui représente 80 000 € de janvier à juin, et 40 000 € de septembre à décembre, soit 40 000 € par trimestre », alors qu’un montant de 173 000 euros avait été voté en 2017 par le conseil départemental. La perte est donc de 53 000 euros.

Une enveloppe pour mise à disposition d’espaces complète l’apport financier du département, à hauteur de 89 000 euros, qui permet à l’association de régler les loyers et charges. Valérie Simonet s’est engagée « à verser 70 % de l’ensemble des aides après le vote prévisionnel du budget », afin d’atténuer le déficit. Par ailleurs, « le directeur général des services du conseil départemental de la Creuse a déclaré vouloir s’engager auprès de la SNA, au nom de la collectivité départementale, propos que Valérie Simonet a refusé d’assumer, déplore Gérard Bono. Elle nous a dit clairement que sa parole ne valait pas devant tous les autres partenaires financiers ». Une telle déclaration met effectivement en porte à faux une démarche qui va dans le sens d’une solution collective entre les différents partenaires financiers.

Mais ceci n’explique pas la baisse des subventions. Selon Gérard Bono, « le département n’est pas en déficit, au contraire. Il y a eu un basculement politique de la gauche vers la droite à la suite des élections, tandis que la ville et la communauté de communes restent à gauche. La situation économique du département a été modifiée ; le département a augmenté la fiscalité et baissé les subventions, mais sur l’année 2017, il y a 2 millions d’euros de bénéfices. La baisse du département vis-à-vis de nous est de 53 000 euros sur un budget de plus de 180 millions d’euros. Donc la raison de cette baisse n’est pas économique. Elle serait plutôt politique ».

Débats autour de l’avenir des bâtiments à rénover

Se pose la question des bâtiments pour lesquels des travaux s’imposent. Valérie Simonet s’en réclame pour justifier sa lucidité et son implication vis-à-vis de la scène : « Nous avons plus d’un million de travaux à réaliser sur ce bâtiment… Mais ça, tout le monde s’en moque ! »

Le directeur de la SNA assure quant à lui que le « département ne veut pas faire de travaux ». Si la volonté du département est là, le geste ne semble pas se joindre à la parole. « L’État, le ministère de la culture et la région Nouvelle-Aquitaine ont annoncé qu’ils étaient prêts à suivre le département dans cette rénovation. Cela date déjà de deux ans ! Mais le département ne veut pas. Il voudrait avoir l’argent de l’État et de la région, mais pour faire tout autre chose du bâtiment. Il ne formule pas cet autre projet. De notre côté nous en avons un précis, comme faire aménager une résidence dans les bâtiments non utilisés. »

Une « lutte des cultureux contre les culs-terreux » ?

Si les arguments ne pèsent pas en faveur du département, pour justifier son retrait, cela s’explique aussi par les « échanges extrêmement vifs » à l’œuvre et le propos d’un vice-président du département résumant : « C’est la lutte des cultureux contre les culs-terreux », un propos « extrêmement grave » selon Gérard Bono. Alors que la pétition lancée courant mai a recueilli plus de 3 000 signatures en trois semaines, dont celles d’agriculteurs, de commerçants, de citoyens de toutes conditions qui ont signé en cette qualité.

La SNA n’en demande pas moins un vrai « oui » ou un vrai « non », c’est-à-dire une réponse claire, au lieu de se perdre dans un combat presque idéologique et infondé. « Que peut-on faire ? On doit mettre nos partenaires financiers en face de leurs responsabilités. S’ils n’ont pas les moyens ni la volonté d’avoir une scène nationale, elle arrêtera, elle partira ailleurs. » L’activité de la SNA ne peut continuer que s’il y a une volonté politique locale, ce qui « fait défaut de la part du département et un peu de la part de la région Nouvelle-Aquitaine », assure Gérard Bono.

Le 30 mai dernier a eu lieu le vote du budget du conseil communautaire de la communauté de communes Creuse Grand Sud. La situation de la SNA était en tête de l’ordre du jour, « puisque nous n’avions pas été en mesure de verser ce que nous avions voté dans le cadre du budget de l’année dernière. Entre temps, il a été indiqué dans l’avenant que nous verserons les 50 000 €, plus les 20 000 € votés l’an dernier », explique Marie Jeandarme, avant de préciser : « Même si la question de l’avenant à la convention de partenariat avec la SNA a été remise en vote, comme il doit l’être chaque année ».

L’art comme variable d’ajustement

« Cette réunion est très importante. Il y a eu 34 votants pour, 9 contre et 4 abstentions, commente le directeur de la SNA. Cela veut dire qu’ils ont compris que la SNA est l’un des facteurs de développement de cette zone géographique ». Et de résumer, « peut-être que, du côté du département, il y a les moyens mais pas la volonté politique, et que c’est l’inverse pour la communauté de commune, qui a connu un très gros déficit, beaucoup de difficultés. L’équipe qui en a repris la direction fait un énorme travail pour la sortir de cette situation ».

Outre les problèmes de subventions, la leçon que tire le directeur de la scène « est que les collectivités territoriales sont dans des périodes où les fusions, les regroupements, les changements de compétence et de géographie font qu’elles sont en difficulté ». Pour trouver des solutions, « ils ont trop tendance à prendre l’art pour la variable d’ajustement ».

Ce n’est pas l’État qui est absent, au contraire : plus de 50 % du budget de la SNA en provient, « et il faut en profiter, convient Gérard Bono. Il faut aussi que les collectivités territoriales se ressaisissent, elles ont peu à mettre en jeu pour que cela fonctionne ». Le risque est simple : l’État pourrait se retirer lui aussi, car il y a des besoins à d’autres endroits.

Si l’association envisage le pire, elle continue néanmoins de se battre pour conserver l’activité optimale de la SNA, ne serait-ce que pour les habitants et l’activité économique de la région. Un tour de table ultime entre les partenaires financiers, en ce début d’été, décidera de son avenir. En attendant, les « cultureux » semblent assez soucieux de la vie politique, au sens premier du terme, malgré ce que les politiques peuvent en penser.

Louise ALMÉRAS

Théâtre Jean-Lurçat - Scène nationale d'Aubusson



 

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