Penda Diouf : « Les violences policières ne sont pas nouvelles pour les personnes racisées »

Penda Diouf : « Les violences policières ne sont pas nouvelles pour les personnes racisées »
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Penda Diouf est auteure de théâtre, cofondatrice du festival Jeunes Textes en Liberté et directrice de médiathèque. Ses pièces PoussièreLa Grande OurseLe Symbole et Pistes… ont été remarquées par le Tarmac, la Huchette, À Mots Découverts, la Comédie-Française, le Panta Théâtre ou le théâtre de la Tête Noire, où elle a reçu le prix du public.

Penda Diouf est l’invitée des rencontres ALT avec sa pièce La Grande Ourse, pour le mois de février 2019.

La soirée Émulsion Culturelle, ouverte à toutes et tous, aura lieu à Paris au Pitch Me le vendredi 8 février. Cette soirée proposera des lectures d’extraits de La Grande Ourse ainsi que de multiples propositions artistiques inspirées par la pièce.

La soirée Infiltration, sur inscription, au Tarmac le mercredi 21 février. Cette soirée est l’occasion de discuter avec l’auteure dans un cadre intime et convivial, et d’échanger au côté de lecteurs et lectrices curieux.

Entretien avec Penda Diouf.

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Comment décrire ta pièce La Grande Ourse en quelques mots ?

C’est l’histoire d’une femme confrontée à une société complètement anomique, injuste, dans laquelle les valeurs se sont perdues. Pour survivre, elle va à la recherche de ressources au plus profond d’elle-même. Sur fond de vidéosurveillance, d’arrestation, d’enfermement, le texte emprunte beaucoup au chamanisme.

À quoi fait référence le titre?

Dans le chamanisme, il y a trois mondes : celui dans lequel on vit, celui du « bas » où sont les animaux totems et celui du « haut » où vivent les esprits. Pour sortir de sa situation, le personnage est obligé de faire un choix radical : celui de s’éloigner du monde des hommes, qui ne lui fait pas assez de place, et d’aller chercher des forces dans le monde du bas, le seul endroit où des transformations peuvent s’opérer. L’ourse est donc son animal totem. On me parle souvent de cette pièce comme d’un récit éco-féministe.

Pour nous mettre dans l’ambiance, quelles odeurs, couleurs et sons composent la pièce ?

Des bruits d’animaux, de forêts, des craquements de branches, le vent dans les feuilles… L’odeur de l’humidité dans les arbres, sur la terre. Des couleurs entre le marron et le vert, pour la forêt, mais aussi car le vert est la couleur de l’espoir.

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de cette pièce ?

Il y a eu plusieurs points de départ car je l’ai écrite sur plusieurs années. Ma première inspiration est venue lors d’une installation de caméras de vidéosurveillance parlantes à Londres ; pour l’inauguration des caméras, il était demandé à des enfants de disputer, en direct et par haut-parleur, la personne qui avait commit un délit.

Puis je souhaitais écrire sur la question de l’humiliation et des violences policières. C’est une question dont on parle davantage en ce moment, mais qui n’est pas nouvelle pour les personnes noires, racisées [terme sociologique exprimant l’assimilation d’une personne à une « race », NDLR], vivants en banlieues, vivant le délit de faciès au quotidien. Au volant de ma voiture, j’ai été arrêtée quatre fois en deux ans, pour rien. Les policiers ont vidé toute ma voiture, du coffre à la boîte à gants en passant par mon paquet de bonbon. On m’a fouillée, palpée, les mains sur le capot. La dernière fois, cela c’est passé à quelques centaines de mètres de mon travail, d’une des bibliothèques dont je suis responsable. Je me suis demandée : « S’il y a des enfants, des parents, qui me voient entourée de quatre flics, que vont-il penser ?! ». Aujourd’hui, lorsque je pense à la police, en réalité j’ai peur. Je pense à Adama Traoré, à toutes les personnes mortes entre les mains de la police et je m’interroge. Le mouvement des gilets jaunes a cet effet malheureux de montrer au grand jour les violences policières. Qu’est ce que cela dit sur nos sociétés ?

Dans La Grande Ourse, on retrouve alors les questions d’humiliation et de pressions mises pendant une garde à vue. J’ai aussi été inspirée par la notion de « femme sauvage », qu’on retrouve notamment dans l’ouvrage Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés.

Pourquoi écrire du théâtre ?

Au début, j’écrivais de la poésie ; puis, naturellement, des dialogues me sont venus. La forme théâtrale m’intéresse car les choses ne sont pas figées : j’aime la surprise, le fait de transmettre quelque chose qui évolue. Aussi cela me correspond-il bien car je suis à la fois très solitaire ce qui correspond aux moments d’écriture et sociale ce qui correspond aux moments de transmission. Au théâtre, j’aime l’émotion ressentie dans la salle, le fait de partager des choses avec des gens que je ne connais pas du tout. Que ce soit au théâtre ou dans un concert, je suis une spectatrice très vite happée et toujours émue !

Tu es directrice de quatre médiathèques, auteure, organisatrice de festival… Quels liens trouves-tu entre tes différents métiers ?

Dans tout ce que j’entreprends, les questions de médiation et de transmission sont très présentes. Aujourd’hui, si j’écris, si j’organise “Jeunes Textes en Liberté”, c’est qu’enfant je passais mon temps à lire, notamment dans les bibliothèques. Une médiathèque est un lieu de vie, de rencontre, de débat, d’échange, un lieu où tout le monde est bienvenu, un des derniers endroits où il n’y a pas besoin de pièce d’identité ou d’argent pour entrer ! Les médiathèques sont également les lieux les plus inclusifs à mes yeux : il y a des enfants, des adultes, de toutes classes sociales, de toutes origines, des personnes diplômées, des non diplômées, des sans domicile fixes… Ce sont des lieux où tu peux toucher tout le monde, ce qui n’est pas du tout le cas au théâtre par exemple. Le slogan « venez comme vous êtes » devrait être celui des médiathèques, des théâtres, des musées, des institutions culturelles, et pas de MacDonald !

Comment expliques-tu ce manque d’accès aux textes et salles de théâtre ?

Le texte théâtral est très peu diffusé ; c’est le parent pauvre de la littérature avec la poésie. De fait, tu ne peux pas t’intéresser à quelque chose que tu ne connais pas ou ne trouves pas. S’il y avait une politique plus offensive, les lecteurs et spectateurs seraient plus nombreux. Il y a par ailleurs la question des histoires, de ce qui est raconté, de ce qu’on voit sur les plateaux : beaucoup de récits ne se voient pas sur les scènes de théâtre. À la médiathèque, j’entends des gamins dire que le théâtre n’est pas pour eux, car ils ne se reconnaissent pas dans les histoires racontées.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

La version longue de ma pièce Pistes… sera créée en septembre prochain à Ouagadougou par Aristide Tarnagda, qui s’en est déjà emparé pour une version courte aux Récréatrales à Ouagadougou. C’est un monologue, un texte à la fois autobiographique sur mon vécu de femme noire en France et documentaire, abordant le génocide des Herreros et des Namas entre 1875 et 1915.

En résidence au théâtre du Peuple à Bussang en novembre dernier, j’ai écrit une courte pièce sur la thématique des faits divers et des erreurs judiciaires. Cette pièce s’appelle J’mêle ; j’y lie les parcours de Patrick Dils et de Brenton Butler, deux mineurs condamnés à tort. L’un est Français, issu d’une famille populaire, l’autre est Afro-américain aux États-Unis. Ils ont tous les deux avoué, lors de garde à vue, sous la pression, des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Je m’interroge sur celles et ceux qui vont en prison car ils ne peuvent pas se défendre, car ils méconnaissent leurs droits et ignorent les codes… Je cherche ce que cela dit sur nos sociétés.

Par ailleurs, Anthony Thibault et moi-même avons créé le festival-label “Jeune Textes en Liberté” il y a quatre ans. Nous avons trois objectifs : accompagner les auteurs de théâtre contemporain en organisant des lectures, travailler à la question de la diversité pour que cela n’en soit plus une et favoriser la rencontre en organisant notamment des lectures hors-les-murs. Nous organisons entre douze et dix-huit événements par an ; la quatrième saison s’ouvre en ce moment.

As-tu un mot à partager pour cette nouvelle année ?

Se serrer les coudes, être solidaire, humble et à l’écoute. Se donner de l’amour aussi !

Propos recueillis par Annabelle VAILLANT

Découvrez toute la programmation 2018-2019 de ALT

Soirées autour de La Grande Ourse de Penda Diouf :

Émulsion culturelle

Infiltration (inscription obligatoire)

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ALT Émulsion Penda Diouf

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Photographie de Une – Penda Diouf (DR)



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