Déclin d’un corps, fatigue de l’Europe : le Conte est bon

Déclin d’un corps, fatigue de l’Europe : le Conte est bon
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Vivant dans un corps qui décline, dans un déclin que Giuseppe Conte associe à celui de la vieille Europe, il faut dès lors au poète quitter les rivages fatigués pour renaître ailleurs et autrement. Une poésie de la blessures et du refleurissement.

« Donner voix à ce qui n’a pas de voix, faire voir l’invisible dans le visible, dialoguer avec ceux qui ont disparu… voir l’Amour qui meut toutes choses. » Tels sont l’objet et la raison d’être des poèmes de Blessures et refleurissements, recueil du poète italien Giuseppe Conte publié par les éditions Arfuyen.

Le livre, porté par la puissance de communion qui semble la matière même de sa poésie, célèbre la luxuriance, la force et la fécondité de la vie. Et le miracle de l’Amour, qui est aussi miracle de la poésie, opère.

Giuseppe Conte est vieux de plus d’un demi-siècle lorsque s’ouvrent les années 2000. Riche certes d’une œuvre abondante et diverse qui comporte aussi bien des recueils de poèmes que des romans, pièces de théâtre, essais et traductions. Mais vivant dans un corps qui décline, dans un déclin que le poète associe à celui de la vieille Europe et dont il lui faut dès lors quitter les rivages fatigués pour renaître ailleurs et autrement :

« Mon corps toi qui déclines comme décline
L’Europe
[…]
mon corps d’un demi-siècle
mon corps aux os que le radiologue
dit plus vieux que leur âge
[…]
mon corps, ô toi corps cherche loin
de cette Europe de nouvelles jeunesses
sois albanais, éthiopien, maghrébin
ne subis pas le destin
fatigué de ton continent
ne te perds pas dans son néant 
»

« Ma journée est faite ; je quitte l’Europe » dit Rimbaud dans « Mauvais sang », poursuivant : « L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. » Une même soif de départ, de nouveau départ, anime Giuseppe Conte. Le voici donc qui l’étanche dans la contemplation de cette douceur et de ce miracle qu’est le retour du printemps, dans l’amour et la célébration de ce qui toujours renaît, devant soi, pour soi et à l’intérieur de soi. Je désire, dit-il en effet, « sentir dans mes veines, dans mes branches / cette frénésie de feuillage ». Et la voici dans le printemps ligure, « dans ce vacillement de l’hiver / qui ouvre des passages aux amandiers / et aux tourbillons des genêts blancs / qui parfument jusqu’à étourdir ».

Elle est retrouvée, l’éternité de la jeunesse, dans les courses de l’enfance, quand devant la porte de la maison, la rue s’ouvrait comme une prairie dans laquelle le jeune garçon s’élançait, s’imaginant « officier / d’un régiment nordiste / qui escortait une caravane / de pionniers vers l’Ouest ».

Elles sont retrouvées, la fécondité de la jeunesse et la puissance de l’amour, dans les élans des poètes frères. Dans le voyage à l’île Maurice du jeune Baudelaire découvrant « les bananes aux feuilles comme des quilles / de canoë » et la peau des jeunes filles « qui provient du soleil et du miel / et des épices brûlées dans un encensoir ». Dans l’amour fou du poète latin Ausone pour sa jeune esclave Bissula, amour auquel G. Conte donne consistance et voix, écrivant :

« Bissula, ton corps est ma fête
il est le bois de tous les arbres de la forêt
[…]
il est fleuve il est courant il est estuaire
il est mon martyre nécessaire
 »

L’Amour en effet donne la vie, la croissance et l’être ; il est la force et l’énergie de toutes les renaissances, il en est la promesse et l’élan.

En tout cela, c’est aussi une langue charnelle, fécondée et fécondante, saturée d’odeurs, de couleurs et de matière, qui est célébrée. Une langue, pourtant, qui sait aussi être simple et humble, parfois même miséricordieuse, comme dans le magnifique poème intitulé « Choses qui appellent les larmes », qui atteste de la pleine communion du poète aux douleurs et aux joies, à la vie tout simplement, de ses frères :

« Un enfant qui joue avec son père dans une cuisine
mal éclairée le soir.
Avoir jugé un peu pauvre un cadeau trouvé
sous le sapin à Noël.
[…]
L’amour qu’on ne peut avoir.
L’amour qui est donné sans mesure.
[…]
Economiser sur les mouvements du cœur.
Douter pour un instant de la poésie.
Dire : le rêve est mort, le charme est mort.
Ce sont des choses qui appellent les larmes.
Ce sont les sources de chacune de mes larmes
. »

Frédéric DIEU

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Giuseppe Conte, Je t’écris de Bordeaux, Blessures et refleurissements, poèmes, Traduction et présentation de Christian Travaux, Arfuyen, 2022, 236 p.

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