Interview. Antoine Desrosières : un film sur le consentement sexuel

Interview. Antoine Desrosières : un film sur le consentement sexuel
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À genoux les gars, troisième long-métrage du réalisateur français Antoine Desrosières, sort ce mercredi 20 juin dans les cinémas. Rebaptisé – plus efficacement mais moins « poétiquement » – Sextape sur la scène internationale, ce film a été sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard, lors du dernier festival de Cannes.

Synopsis – En l’absence de sa sœur Rim, que faisait Yasmina dans un parking avec Salim et Majid, leurs petits copains ? Si Rim ne sait rien, c’est parce que Yasmina fait tout pour qu’elle ne l’apprenne pas. Quoi donc ? L’inavouable… le pire… la honte XXL, le tout immortalisé par Salim dans une vidéo potentiellement très volatile.

Entretien Cineuropa avec Antoine Desrosières.

Pourquoi avoir voulu traiter le sujet de l’oppression sexuelle des hommes à l’encontre des femmes et les moyens pour ces dernières de s’en libérer ?

C’est un film sur le consentement et les différentes manières de le comprendre. L’une des grandes parties du problème vient précisément de la difficulté de compréhension de cette notion par un certain nombre de personnages, y compris les personnages féminins qui vont mettre tout le film à comprendre et affirmer leurs droits. Avant, j’avais fait un film (le moyen-métrage Haramiste) sur la manière dont l’interdit provoquait la frustration ; cette fois, j’avais envie de travailler sur le lien entre frustration et violence. L’histoire de À genoux les gars permettait d’étudier tout cela. C’est une histoire vraie, tirée d’un témoignage que j’avais recueilli parmi beaucoup d’autres lors de mon film précédent, une histoire tristement banale puisqu’elle arrive très fréquemment.

Le film est aussi un portrait de la jeunesse des quartiers populaires.

D’abord, comme c’était dans le prolongement de Haramiste, j’ai retravaillé avec les mêmes actrices et j’aurais difficilement pu les placer dans un autre univers que celui-là. Ensuite, c’est aussi parce que j’ai l’impression que l’on souffre de ne pas voir ces jeunes femmes suffisamment représentées au cinéma. On les réduit régulièrement à quelques signes et on en nie l’humanité. J’ai l’impression que, soit on regarde ces personnages de loin avec finalement une certaine forme de mépris, soit quand on les regarde de près, ceux qui les connaissent n’ont pas forcément les moyens de les représenter avec toute leur complexité. Ma démarche était de leur donner la parole (les actrices sont d’ailleurs également coscénaristes du film), précisément parce que j’avais l’impression qu’on ne les entendait pas assez. Et je leur donne la parole sur ce qu’elles connaissent, c’est-à-dire sur l’univers décrit dans le film.

Pourquoi avez-vous choisi le ton de la comédie pour un sujet aussi dramatique ?

C’est une manière d’ouvrir une brèche dans la tête du spectateur pour lui permettre d’accueillir des questions qui, autrement, sont douloureuses et difficiles à accepter. Mais je ne me moque pas de mes personnages principaux ; je ne cherche pas à montrer à quel point ils sont monstrueux, même les méchants – avec l’idée que chacun a ses raisons -, qui peuvent être épouvantables dans ces actes qu’ils commettent ! J’espère qu’on comprend comment ils en arrivent à faire ce qu’ils font et comment ils sont finalement prisonniers d’une manière de voir les choses qui, d’une certaine façon, les dépasse. On donne peut-être à comprendre ces garçons qui agissent mal, sans qu’on ne relativise une seule seconde la gravité de leur geste car c’est très important de dire qu’on ne les excuse pas ; c’est intéressant de comprendre ce qui les amène à ça. Car le film est destiné à faire s’interroger aussi bien les filles que les garçons sur cette situation.

Comment avez-vous procédé pour atteindre ce degré de réalisme, en particulier verbal ?

Ce que j’ai pu constater lors de mon film précédent avec les deux mêmes actrices, c’est que plus les spectateurs étaient loin du monde décrit, plus ils soupçonnaient que c’était de la caricature, et que plus ils en étaient proche, plus ils s’y reconnaissaient. C’est une forme de réalisme, mais un réalisme concentré dans le texte puisque nous avons fait quatre mois de répétitions avant de tourner dix-huit jours. Durant ces répétitions, chacune des situations du film a été développée en improvisation avec les comédiens, puis réécrite en alimentant le scénario de leurs trouvailles. Ensuite, les comédiens ont encore répété à partir du texte réécrit, donc à partir d’un texte qu’ils avaient inventé en grande partie. Le naturel vient du fait que ce sont leurs mots et leurs idées filtrées par l’écriture, ce qui permet d’échapper aux travers de l’improvisation.

Quid de la prise de conscience par les filles de leur liberté de choisir et du pouvoir de la libération de la parole ?

Je n’avais pas simplement envie de montrer que ces jeunes femmes pouvaient se battre contre l’adversité, mais aussi comment elles pouvaient se libérer en se réappropriant leur désir et en affirmant que c’était elles qui choisissaient ce qu’elles font et avec qui. Mon idée n’était pas de stigmatiser la sexualité, mais de stigmatiser la sexualité mal vécue, la sexualité non consensuelle, la sexualité qui ne respecte pas l’égalité des femmes et des hommes dans le désir. Il était très important que le film dise au contraire que la sexualité bien vécue, consensuelle, est épanouissante et absolument pas négative. C’est beaucoup la culpabilisation de la sexualité dans la société en général qui finalement amène le mal-vécu, les abus et les violences. On ne se contente pas de dénoncer les violences : le film part du réel mais va jusqu’à l’utopie d’un monde où l’égalité sexuelle et l’égalité vis-à-vis-à-vis du désir existerait et serait libératrice aussi bien pour les femmes que pour les hommes.

Propos recueillis par Fabien LEMERCIER

 



 

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