Iris Laurent : “J’ai besoin de la fiction pour accéder au réel”

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Aux cœurs des monstres : tel est le titre de la nouvelle pièce de la dramaturge Iris Laurent, cofondatrice de la compagnie Des Orientés avec Sarah Doukhan en 2020. Elle sera présentée lors de la 2e édition du FLIRT, festival consacré à la lecture théâtrale, en janvier prochain. Entretien.

La deuxième édition du Festival des lectures itinérantes et rencontres théâtrales (FLIRT), dont Profession Spectacle est partenaire, aura lieu à Paris du 10 au 15 janvier 2022. L’événement met à l’honneur six pièces récentes à travers des mises en lectures, des rencontres thématiques avec les auteurs et les autrices, des ateliers d’écriture, ainsi qu’une édition numérique accessible en ligne pendant le festival.

C’est dans ce cadre que la pièce Aux cœurs des monstres sera présentée à Paris, le mardi 11 janvier. Son autrice, Iris Laurent, est diplômée des universités de Lille et de Toulouse, respectivement en “arts de la scène” et “création littéraire”. Celle qui a déjà écrit la pièce Voyager (texte inédit) et fondé la compagnie Des Orientés avec Sarah Doukhan en 2020, poursuit actuellement sa formation d’autrice au sein du Studio 7 de l’École du Nord.

Rencontre.

Comment résumerais-tu ta pièce en quelques mots ?

Aux cœurs des monstres est une dystopie sur le rapport à l’identité et à l’individualité, en particulier quand on se retrouve en dehors de son milieu d’origine. Elle dévoile comment notre individualité s’adapte parfois à celle d’autrui, lorsqu’il est notamment question d’appartenance raciale et familiale.

La pièce est mise en scène : les membres de l’équipe artistique ont-ils influencé ton processus d’écriture ?

En 2019, la metteuse en scène Sarah Doukhan a lu une de mes anciennes pièces et m’a proposé d’en extraire une partie de sa matière pour la travailler au plateau avec des comédiens. À partir de là, nous avons travaillé ensemble, en alternant des résidences de plateau avec l’équipe et des temps d’écriture plutôt solitaire de mon côté. J’ai notamment constitué un dossier dramaturgique sur la base d’interviews réalisées auprès de chaque comédien, interrogeant le rapport qu’ils entretenaient avec leurs couleurs de peau, leurs situations familiales, leurs changements de pays ou de continents pour certains… Pendant ce temps de recherche, je me suis beaucoup intéressée aux noirs étasuniens et à ce qui les faits faire communauté : aux États-Unis, le fait que la plupart des personnes ignorent les origines de leurs ancêtres est véritablement constitutif de la communauté afro-américaine. Pour moi, il y avait donc une nécessité d’interroger l’individualité des acteurs et actrices du projet ; leurs vies, très différentes les unes des autres, ont beaucoup apporté au récit.

As-tu composé les personnages principalement à partir des comédiens ?

Pas exactement, car une partie vient directement de mon texte. Ce qui est sûr, c’est que nos discussions au sujet de ces personnages ont énormément influencé ces derniers et les ont en partie construits. Les comédiens ont fait de nombreuses propositions lors d’improvisations au plateau, que j’ai récoltées pour les différentes phases d’écriture de la pièce. Le personnage du Lutteur Mort, par exemple, est présent depuis l’origine mais a beaucoup évolué avec le comédien Khadim Fall ; celui-ci a fait en sorte que le personnage ne soit pas simplement vu comme un martyr. Le personnage nommé Celle qui se souvient, incarnant la mémoire de la colonisation, a été très influencé par la comédienne Aline Yankal et sa propre expérience du colonialisme.

Tu as indiqué le pluriel dans le titre : pourquoi ? Est-ce que les monstres existent vraiment ?

Nous avons trouvé le titre ensemble avec Sarah Doukhan. C’est un pluriel symbolique pour signifier que les personnages ne viennent pas du même endroit et poursuivent des quêtes de cœurs différentes. Est-ce qu’une personne peut être tout à fait monstrueuse ? Je ne le pense pas. En revanche, je pense qu’on a tous du monstrueux en nous. Dans cette pièce, j’ai cherché et tiré ce qu’il y avait de monstrueux dans chaque personnage, ce qui était souvent en lien avec sa quête, voire en constituait la faille. Je crois qu’il faut dédiaboliser le monstre en le ramenant à un individu qui agit et a des raisons pour le faire. Puis le diaboliser à nouveau ! Le personnage d’Antonio est un tyran : si je le rencontrais dans la vie, ce serait l’angoisse, mais j’ai pourtant trouvé intéressant de l’écrire, d’essayer de le comprendre et d’imaginer sa vie.

À tes yeux, que permet la dystopie pour aborder le racisme et les inégalités sociales ?

Pour ce projet, cela a permis de constituer un univers qui nous appartenait et dans lequel on avait envie d’évoluer, tout en mettant à distance nos réalités personnelles. Nous avions besoin de passer par la dystopie pour accéder au réel et, de manière générale, je crois avoir besoin de la fiction pour cela. Dans le processus d’écriture, la dystopie provoque une grande liberté. Je pense que ce genre élargit le réel, qu’il crée une certaine proximité du fait de changer le cadre de référence, et permet de toucher ainsi plus de gens que les premiers concernés par un sujet ou un autre. Quand j’écris sur des thèmes historiques, cela ne m’intéresse pas de rentrer dans un pur réalisme car il me semble que tout est déjà là et que tout a déjà été dit. Je préfère alors déplacer plutôt que décalquer ; ça donne un meilleur angle pour tirer et aller droit au but.

La pièce se joue-t-elle actuellement ?

Elle est en cours de production. Nous serons en résidence au printemps et la création est prévue pour l’été. La pièce est portée par la compagnie Des Orientés, que j’ai fondée avec la metteuse en scène Sarah Doukhan. Une lecture aura lieu pendant le FLIRT le mardi 11 janvier et l’édition numérique sera accessible en ligne pendant tout le festival.

En ce moment, sur quoi travailles-tu ?

Je viens d’entrer en parcours « autrice » à l’École du Nord et suis donc au début de trois années de formation ! Je souhaite continuer à écrire en dehors de l’école mais la formation étant très riche, je veux profiter de ces années pour explorer le plus possible… Je pense donc essentiellement travailler sur les projets en lien avec l’école.

Propos recueillis par Annabelle VAILLANT

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Programme complet, lectures et inscription : festival FLIRT.

FLIRT 2022

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Photographie à la Une : Iris Laurent (DR)



 

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