“Kanata – Episode I – La controverse” : Robert Lepage ne fait pas vibrer le Soleil

“Kanata – Episode I – La controverse” : Robert Lepage ne fait pas vibrer le Soleil
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En confiant les rênes de la troupe du Théâtre du Soleil au metteur en scène canadien Robert Lepage, Ariane Mnouchkine continue d’écrire l’histoire d’un Théâtre Monde se jouant des frontières. Il y avait longtemps qu’une pièce de théâtre n’avait pas déclenché une polémique au point de risquer l’annulation du projet… C’est probablement le principal intérêt de cette pièce obscure, pourvue d’images puissantes malheureusement alourdies par trop de pathos.

Les premiers habitants du Canada, les « peuples autochtones », sont au cœur de la pièce Kanata – Episode I – La controverse. À nouveau, le Soleil nous fait chevaucher de grands espaces, ici entaillés des stigmates de la colonisation. Mais le voyage laisse entrevoir des paysages qui manquent de relief. Une succession de tableaux d’hier et d’aujourd’hui met en jeu 32 comédiens inégalement habités par les enjeux de la pièce. Premier nuage qui plane sur Kanata. Bien-sûr, l’interprétation varie d’une représentation à l’autre. Et la pièce a été vue dans les premières dates. La tectonique du théâtre est toujours en mouvement.

Il reste que trop nombreuses sont les situations où il est difficile d’y croire. Certaines vibrent comme le témoignage vidéo d’une femme ayant été placée dans un « pensionnat autochtone » : à l’économie, assise face caméra, elle fait surgir la violence d’État, froide et organisée, qui fit perdurer ces pensionnats où étaient isolées les enfants inuits ou métis… Jusqu’en 1996. Ravage psychologique de l’univers concentrationnaire afin de circonscrire une culture.

Tutoyer les étoiles

La méthode de Robert Lepage, consistant à créer sur le temps long (deux années pour Kanata) via des rencontres artistiques espacées, est-elle en cause ? Ou est-ce tout simplement le défi de diriger une troupe nombreuse habituée au “magister” de la figure Ariane Mnouchkine ? Première du genre pour le metteur en scène, il reconnaît lui-même les limites de diriger en restant dans la fibre participative du Soleil : « Il faut écouter tout le monde et dans le même temps il serait illusoire de croire qu’il y a une démocratie dans l’art ».

La scénographie est un autre nuage qui obscurcit le paysage. Des projections vidéo formatées viennent habiller en continu le mur du fond. Par leur aspect « image de synthèse », elles plombent l’intention poétique. Des percées de lumière viennent sauver quelques tableaux : ballet onirique d’un canoé renversé avec ses deux matelots shootés à l’opium, têtes en bas, ciel au sol, fleuve au plafond. Mystique.

L’abattage de cylindres-arbres par les mains des colons blancs est aussi une image puissante rappelant que les ravages de la colonisation vont souvent de pair avec le saccage écologique. Le cri sourd des premiers habitants des forêts canadiennes est balayé par le vacarme des tronçonneuses. Mais même dans ces images iconiques, le pathos vient alourdir le jeu. Dans l’ensemble, l’utilisation de l’espace, des décors et des lumières est fonctionnelle alors qu’on aurait voulu tutoyer les étoiles.

Percer les nuages

Le plus grand intérêt de Kanata se joue probablement hors plateau. La pièce nous rappelle qu’au théâtre, il y a ce qui se passe sur scène et la résonance sur le monde. Il y avait longtemps qu’une pièce de théâtre n’avait pas déclenché une polémique au point de risquer l’annulation du projet.

Peut-on représenter des minorités opprimées sans qu’elles soient présentes sur scène ? Ariane Mnouchkine et Robert Lepage ont fait face avec courage à ce questionnement sans succomber aux présomptions de racisme (signe des temps ?). « L’aventure se passera sans nous, encore une fois », avait affirmé en juillet un collectif d’origine amérindienne dans une lettre déclenchant un flot de commentaires sur les réseaux sociaux.

Sujet éminemment sensible devant l’histoire d’un peuple qui a dû attendre 2008 pour des excuses publiques de la part de l’État canadien. Devant l’onde sismique, les créateurs sont restés sur leur position ; dans le dialogue ; au motif de l’universalité d’un théâtre qui transcende les identités. Même par mauvais temps, le Soleil perce les nuages.

Emmanuel GAGNEROT

Robert Lepage, Kanata – Episode I – La controverse (crédits Michel Laurent)



Spectacle : Kanata – Episode I – La controverse
  • Création : décembre 2018 à la Cartoucherie
  • Production : Théâtre du Soleil, avec le Festival d’Automne à Paris
  • Coproduction : Printemps des Comédiens (Montpellier), Napoli Teatro Festival
  • Durée : 2h40
  • Langue : Français et anglais
  • Mise en scène : Robert Lepage
  • Avec les comédiens du Théâtre du Soleil, entre autres, par ordre approximatif d’entrée en scène : Shaghayegh Behesti, Vincent Mangado, Jacques Pelletier, Man Waï Fok, Dominique Jambert, Sébastien Brottet-Michel, Eve Doe Bruce, Frédérique Voruz, Sylvain Jailloux, Astrid Grant, Duccio Bellugi-Vannuccini, Maurice Durozier, Nirupama Nityanandan, Ana Dosse…
  • Dramaturgie : Michel Nadeau
  • Direction artistique : Steve Blanchet
  • Scénographie et accessoires : Ariane Sauvé, avec Benjamin Bottinelli, David Buizard, Martin Claude, Pascal Gallepe, Kaveh Kishipour, Etienne Lamasson
  • Peintures et patines : Elena Antsiferova, Xevi Ribas
  • Lumières : Lucie Bazzo avec Geoggroy Adragna, Lila Meynard
  • Musique : Ludovic Bonnier
  • Images et projection : Pedro Pires avec Etienne Frayssinet, Antoine J.Chami, Vincent Sanjivy, Thomas Lampis, Gilles Quatreboeuf
  • Costumes : Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran
  • Coiffures et perruques : Jean-Sébastien Merle

Crédits photographiques : Michel Laurent

Robert Lepage, Kanata – Episode I – La controverse (crédits Michel Laurent)

En téléchargement


OÙ VOIR LE SPECTACLE ?

Spectacle vu le 19 décembre 2018 au Théâtre du Soleil (La Cartoucherie, Vincennes)

  • Du 15 décembre 2018 au 17 février 2019 : Théâtre du Soleil, La Cartoucherie.

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Robert Lepage, Kanata – Episode I – La controverse (crédits Michel Laurent)



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